le centre de rétention administrative du Canet à Marseille


article de la rubrique les étrangers > comment vivent-ils en France ?
date de publication : mardi 10 février 2009
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Des rassemblements ont eu lieu un peu partout en France le 7 février 2009, journée nationale « contre l’enfermement des étrangers », lancée par le Réseau éducation sans frontières (RESF), la Cimade et la Ligue des droits de l’homme [1].

A Marseille quelques centaines de manifestants se sont retrouvés devant le centre de rétention du Canet, qui a vu passer 2 871 « retenu(e)s » au cours de l’année 2008 – dont 1 053 ont été expulsés.

Ils dénonçaient en particulier la réforme envisagée par le gouvernement qui vise à démanteler la mission d’assistance aux personnes retenues dans les centres de rétention qui était assumée jusqu’à présent par la Cimade [2].


Des hommes, mais aussi des femmes et des enfants, éconduits en sous-hommes. (ph. Migué Mariotti)

« L’avenir, c’est ce mur devant moi »

par David Coquille, La Marseillaise du 9 février 2009


2 871 sans-papiers ont transité en 2008 par le centre de rétention du Canet à Marseille. Parmi eux Bilal, atteint de polio, Sam papa de deux enfants, Nelly, 8 ans en CE2…

94 étrangers étaient massés, hier, au centre de rétention administratif (CRA) du Canet à Marseille. Ouvert en juin 2006 pour remplacer le hangar d’Arenc, le 25ème centre du dispositif français d’éloignement des migrants ne dépareille pas du reste des 230 camps pour étrangers qui quadrillent l’Union européenne. Car ce nouveau centre se veut conforme à la « directive retour » adoptée en juin dernier par le Parlement européen, celle-là même qui recommande aux 27 Etats-membres de porter à 18 mois la durée de rétention des immigrés illégaux.

Coincé entre deux périphériques, ce bunker de haute sécurité ne donne rien à voir. « Le but est de ne rien montrer, de ne rien démontrer puisqu’il n’y a rien à voir, rien de visible y compris depuis l’autoroute », ont voulu les concepteurs. 2.871 étrangers en séjour irrégulier y ont transité en 2008.
Qui voit-on au Canet ? Des maçons turcs en bleu de travail, des saisonniers de la Crau, des Chinois, des Roms, etc. Samb, 37, maçon sénégalais est arrivé lundi dernier. Ce père de deux enfants en France depuis onze ans a été menotté au guichet de la préfecture d’Avignon. « J’étais venu me renseigner… », soupire-t-il, accroché au téléphone du parloir. Son voisin d’infortune, Nasreddine, s’est fait coincer sur un marché. Il est à bout : « Les douches marchent pas. On nous crie dessus. On me donne pas les médicaments. Je suis là depuis 13 jours. Je mange que le pain car c’est pas hallal », craque ce Tunisien de 28 ans, qui angoisse qu’on appelle son nom.
Chaque rapport annuel de la Cimade est un florilège de drames évités ou survenus. Imane, 19 ans, sortie de son lit chez ses parents à Draguignan par les policiers. Néli, 8 ans, fut la plus jeune retenue. Dénoncée, l’écolière de CE2 inaugura l’ « unité d’hébergement familial » à présent fermée, avec son père, un polytechnicien russe. Et puis il y a la cohorte de ceux que cette association d’entraide « voit et revoit presque quotidiennement ». Comme ce Tunisien de 25 ans, entré par l’Italie à l’âge 17 ans, sans identité certaine : « Je fais prison, centre, prison, centre. Je n’ai pas vu la liberté depuis 19 mois. Ils disent que je mens. La juge m’a dit de disparaître. Je ne regrette pas d’être venu, je regrette d’être né. L’avenir, c’est ce mur devant moi. »

Dans cette arche si peu biblique, on a compté 80 nationalités différentes. La politique du chiffre n’est pas un vain mot. Le ministère de l’Immigration revendique 29.796 éloignements en 2008 pour la métropole, plus que son quota de 25.000. Les « rétentionnaires » n’ont plus le profil des « clandos » des années 60. A l’époque, des policiers sans mandat faisaient la sortie des Baumettes et conduisaient les « double peines » à bord de camionnettes dans un hangar du port autonome. De 1965 à 1975, Arenc fut ainsi élevé au rang de prison clandestine de la police française. Trente ans plus tard, chômage, pression migratoire et dérives xénophobes ont eu raison de la tradition d’asile à la française. Ce fut le réalisme rocardien d’ « on ne peut plus accueillir toute la misère du monde » [3] (mais on a des hélicos à leur vendre), la porte défoncée de l’église Saint-Bernard, les « charters » pour le Mali, le « bruit et l’odeur » de Chirac.

Avec le centre du Canet, on est passé au « 20 Méga » de la reconduite. 4 unités d’hébergement, 114 lits et même un tribunal intégré ! L’univers est concentrationnaire, anxiogène à souhait. Barbelés, concertinas, courette de promenade, filets anti-évasion, caméras, contrôle d’accès badgétisé. Du high-tech déjà délabré qui a choqué Michel Vauzelle, le président socialiste du Conseil régional, qui l’a visité le 8 janvier : « C’est un univers carcéral avec des pièces minuscules, des sanitaires profondément dégradés et dégradant pour la dignité humaine. » C’est d’ici que la Police aux Frontières organise les exils, obtient les laissez-passer des consulats, booke les sièges d’avion. Un individu peut y être retenu jusqu’à 32 jours, après 2 prolongations de 15 jours, « le temps nécessaire pour mettre à exécution » les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière.

1 068 étrangers ont été effectivement renvoyés l’an passé. Bien moins qu’en 2007 du fait de la fermeture du sinistre bloc « famille » qui donnait l’impression de déportation. 1 803 retenus sont ressortis libres, assignés à résidence, libérés sur décision de justice ou en fin de rétention. Ce faible taux de reconduites s’explique beaucoup par les interventions de la Cimade présente dans les centres depuis 1984. « Pour une bonne partie, c’est le résultat de nos interventions. Nous montons les recours, nous faxons la jurisprudence aux avocats », reconnaît Birgit Breton, une des 4 assistantes de la Cimade, menacée de partir quand le lot n°3 de l’appel d’offres sera attribué. Car en représailles, le 22 août, Brice Hortefeux a livré aux enchères publiques la mission de soutien juridique des 25 centres divisés en 8 lots. Le nouveau cahier des charges de l’appel d’offres ne parle plus d’«  aide à l’exercice effectif des droits » des étrangers mais d’information « en vue de l’exercice de leurs droits » et dans une « stricte neutralité ».

« Il y a un afflux alarmant d’étrangers en souffrances psychiatriques, avec des troubles du comportement. Les juges continuent de placer en rétention des malades, des fous », constate Birgit Breton. La présence de la Cimade 6 jours sur 7 permet aux retenus d’exercer les voies de recours. L’an passé, 14 étrangers ont été libérés pour raisons médicales.

Pas de chance pour Bilal Akoua, 22 ans, poliomyélite expulsé avec ses béquilles. Miracle pour Ahamadi Ousseini, 25 ans, malade mental trouvé errant à Vitrolles. Un juge des libertés et de la détention (JLD) a daigné prêter attention au dossier de la Cimade. Ahamadi a été rendu à ses parents après 16 jours d’enfermement.

A l’infirmerie du Canet, c’est surtout des anxiolytiques que les retenus demandent. En octobre dernier, aux 3ème assises des unités médicales des centres de rétention, deux médecins et quatre infirmiers du Canet sonnaient l’alarme en révélant avoir décompté 37 actes d’auto-agressions en 10 mois et menaçaient de se retirer, ne voulant pas servir d’ « alibi social ». « C’est un univers de portes magnétiques et de sas. Pour voir la lumière, il faut lever la tête. Le nombre de retenus, leur confinement, la durée moyenne de rétention de 10 jours font que l’on a énormément de tentatives de suicide », confie Jacky Cruz, autre intervenante de la Cimade. L’un s’est tailladé le poignet avec sa fermeture éclair, d’autres ingérent fourchettes, boulons ou lames de rasoir. Il y eut aussi Kazim Kastule, jeune turc de 22 ans, retrouvé pendu à ses draps en décembre 2006. A Marseille, le premier mort remontait à 1999 : le coeur de Mohsen Sliti lâcha à l’instant d’être pousser au bateau. L’Etat fut condamné.

Pour hâter les départs, le CRA du Canet eut un tribunal intégré. Un JLD venait à scooter du Palais de Justice signer les liasses de prolongation de 15 jours. Le tollé des avocats devant cette justice d’exception ambiance talkie-walkie rendue dans l’enceinte de ce commissariat-prison fut telle que le 15 avril 2008 la Cour de Cassation a mis fin à cette confusion des pouvoirs. Le « juge 15 jours » a fait ses valises. Une nouvelle salle d’audience doit ouvrir ce mois-ci « à proximité immédiate » du centre cette fois-ci pour sauver « l’apparence d’impartialité ». Une salle et un camp si métaphoriques du sous-droit appliqué aux indésirables que la République chasse.

David Coquille

« Contre des lois injustes et inhumaines »

par Philippe Pujol, La Marseillaise du 9 février 2009


Le Canet. Ils étaient près de trois cents, hier, a manifester pour la fermeture des centres de rétention, la régularisation des sans-papiers et la dépénalisation du séjour irrégulier.

« On arrête dans la rue les frisés, les bronzés, les yeux bridés, et ceux qui n’ont pas de papiers, on les emmène ici dans le centre de la honte ! »
Devant 300 personnes réunies hier devant le Centre de Rétention Administrative (CRA) du Canet, Régine Aparicio de la Ligue des Droits de l’homme des Bouches-du-Rhône a appelé à la « résistance » contre des « lois injustes, malsaines et inhumaines » à l’encontre des sans papiers sur le sol français.

C’est dans le cadre d’une journée nationale d’action contre les centres de rétention que de nombreuses organisations ont exigé unanimement « la fermeture des centres de rétention, la régularisation des sans-papiers et la dépénalisation du séjour irrégulier ».

Jean Pierre Cavalié, délégué régional Paca de la Cimade assure que, dans leur projet d’exclure son association des CRA, l’objectif des autorités est « qu’il n’y ait plus de témoin ou que les gens qui y sont soient obligés de se taire ».
Les militants et élus communistes présents ont insisté pour que l’association reste dans les centres. « La Cimade fait très bien son boulot », martèle Suzanne Catelin chargé du collectif départemental anti-discrimination au PCF 13.

Et certain de dénoncer un « ministère détestable qui soustrait les étrangers des dispositions de droit commun », celui de monsieur Besson. « Pour la LDH, l’universalité des droits doit devenir le principe fondamental dans l’organisation de nos sociétés » ajoute Régine Aparicio. Tous craignent une société qui se replie sur elle-même, favorisant de racisme.

« Il y a les bons et les mauvais immigrés », constate une manifestante. Et voilà le concept de travailleur jetable, de travailleurs sans droit. «  Avec leur présence dans l’agriculture, dans le BTP, dans le tourisme, dans le nettoyage à risque, les sans papier sont au cœur de l’économie » explique Jean Pierre Cavalié qui dénonce le « cynisme » de la politique du gouvernement.
« On ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur » explique Yaro, un mauritanien qui travaille en France depuis 5 ans grâce à des faux papiers. Jamais malade, jamais en grève, ne comptant pas les heures supplémentaires il accepte tout « pour nourrir la famille ».

Réseau Education Sans Frontière (RESF) attire l’attention sur le traitement des jeunes majeurs sans papier. « Tant qu’un élève est mineur, il est protégé, explique Isabelle Marilier, une militante active. Si à sa majorité il n’a pas de titre de séjour, comment peut-il se projeter dans l’avenir ? »

Pour Jean Pierre Cavalié, demander la fermeture des CRA et la régularisation des sans papier, « demande un changement de société ».

« Je ne peux pas me permettre de balancer mes passeurs »

Homar est dans la manifestation, silencieux. Arrivé du Sénégal il y a deux ans, il travaille dans le BTP à l’aide de faux papiers. Le ministre de l’immigration, Eric Besson, a signé, jeudi dernier, une circulaire incitant les clandestins à dénoncer leurs passeurs en échange d’un titre de séjour provisoire. Mais Homar, fait plus confiance à ses faux papiers.

«  J’ai de la famille au Sénégal, explique-t-il, une famille que mes passeurs connaissent très bien ». Et si Homar est venu travailler en France « c’est pour pouvoir envoyer de l’argent à [sa] famille, pas des problèmes ». La proposition de Besson ne tient donc pas.
C’est reparti comme en 40 : il faudrait dénoncer des réseaux pour son salut. « Cela rappelle tellement de choses », se désespère Régine Aparicio de la Ligue des Droits de l’homme des Bouches-du-Rhône.

Se défendant d’appeler à la délation, Eric Besson a comparé le clandestin qui dénonce son passeur à la « femme battue » qui porte plainte contre son agresseur.
« C’est donc considérer que la femme battue à un intérêt à se faire battre », s’insurge Homar. Il ajoute : « Il y a une relation de dépendance entre le passeur et le clandestin. Lui veut notre argent, nous voulons ses moyens pour arriver jusqu’ici ».

« On ne leur offre de toute façon aucune garantie », ajoute Suzanne Catelin, chargé du collectif départemental anti-discrimination au PCF 13. La parole de M. Besson ne suffit pas. Et même si des clandestins maltraités par des passeurs, dont ils n’auraient plus aucune dépendance, pourraient se permettre de les « balancer », cette « proposition » ne ressemble qu’à un moyen de les débusquer.

Philippe Pujol


Notes

[2Voir une page de ce site et la lettre ouverte adressée à Eric Besson par un collectif d’associations.

[3A propos de cette citation de Michel Rocard, lire article 1769 (Note de LDH-Toulon).


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