« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur des hommes. » Albert Camus
Depuis décembre 2000, la section de Toulon demandait que soit débaptisé le carrefour "général Raoul Salan" - vous trouverez plus bas une de nos lettres à Hubert Falco. Il aura fallu attendre le 24 juin 2005 pour que le carrefour se voit attribuer une dénomination moins contestable.
[Première mise en ligne, le 9 juin 2004,
mise à jour, le 24 juin 2005]
Le 14 juin 1980, à l’occasion du cent cinquantième anniversaire du débarquement des troupes françaises à Sidi Ferruch en Algérie, Maurice Arreckx, maire de Toulon, inaugurait un monument "à la mémoire des martyrs de l’Algérie française", glorifiant "ceux qui voulaient conserver un empire à la France".
Quinze ans plus tard, l’extrême droite menée par Jean-Marie Le Chevallier gagnait les élections municipales. L’incapacité notoire de cette équipe devait conduire à l’élection en mars 2001 d’une majorité UMP conduite par Hubert Falco.
L’extrême droite a laissé aux Toulonnais un souvenir de son passage à la mairie : un carrefour dénommé "général Raoul Salan - libérateur de Toulon 1944".
Toulon a été libérée en août 1944 par la 1ère Armée française conduite par le général De Lattre. Le 6ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais, commandé par le colonel Salan y a pris une part importante. Mais la dénomination "général Salan" [1] évoque l’un des conjurés du putsch d’avril 1961, qui devait ensuite prendre la tête de l’OAS (" Je suis le chef de l’OAS. Ma responsabilité est donc entière." devait-il déclarer en mai 1962, lors de son procès).
La section toulonnaise de la Ligue des droits de l’Homme avait immédiatement protesté et lancé une campagne pour que le carrefour soit débaptisé. Le 4 janvier 2001, Hubert Falco, répondant à un de nos courriers, avait exprimé "le souhait, pour retrouver la concorde, que cette dénomination fasse l’objet d’une décision collégiale du futur conseil municipal".
Mais depuis qu’il a été élu maire, Hubert Falco ne cesse de renvoyer ce débat à une date ultérieure. Il met en avant "la période particulière et difficile que nous vivons au plan international". "Les esprits sont tendus. Je ne sais pas s’il est bon d’avoir ce débat dans un pareil contexte. On nous demande, à droite comme à gauche, de ne pas attiser les haines, les conflits. Nous devons être prudents. "
Début septembre 2003, nous avons, dans un souci d’apaisement, proposé à Hubert Falco de remplacer l’inscription actuelle de la plaque par celle de "Colonel Salan - Libération de Toulon - août 1944". Cette dénomination conforme à la vérité historique aurait permis de mettre un point final à la polémique. D’ailleurs, on peut trouver la plaque suivante dans la commune voisine de Solliès-Ville.
Mais Hubert Falco ne nous a toujours pas répondu. Dans un entretien récent, il déclare " Moi, je tiens le couvercle sur la ville de Toulon. J’ai hérité d’une ville sinistrée par six ans de gestion Front national. [...] Si je lâche le couvercle, ce n’est pas la gauche qui risque de passer, c’est l’extrême droite " [2].
Le maintien du nom de ce carrefour est une concession à l’électorat d’extrême droite, au mépris de la vérité historique.
Cet été, nous allons fêter le soixantième anniversaire du débarquement de Provence et de la libération de Toulon. N’est-il pas temps de mettre fin à cette situation qui "est un outrage aux traditions françaises les plus généreuses et un affront fait au peuple algérien." ? [3]
Toulon, le 6 juin 2004
À Monsieur Hubert FALCO
Sénateur-Maire de ToulonMonsieur le Sénateur-Maire,
La Ligue des Droits de l’Homme a publié récemment un communiqué national contre la multiplication des « hommages aux combattants de l’Algérie française ».
Je vous adresse une copie de ce texte.
En ce qui concerne Toulon, nous savons bien les difficultés à évoquer ce passé douloureux.
L’ample succès de l’exposition Abd el Kader et des manifestations qui l’ont accompagnée, ont cependant montré que l’on pouvait enfin espérer, à terme, en une mémoire apaisée de la colonisation et de la guerre d’Algérie.En signant une convention de partenariat avec la LDH, vous avez clairement indiqué que cette mémoire devait avoir comme cadre les valeurs de la République.
C’est pourquoi, compte tenu de l’actualité et des progrès de la raison, nous réitérons notre demande concernant le carrefour Général Raoul Salan, afin qu’il porte à l’avenir un autre nom.
Dans le contexte actuel, face à une offensive révisionniste préoccupante, cet acte symbolique aurait un grand retentissement dont notre ville pourrait s’enorgueillir.
Au-delà, nous souhaiterions que vous fassiez part à Monsieur le Président de la République, de notre souhait d’un geste fort au sujet de la période coloniale, de même nature que celui de 1995, à propos de Vichy et de la collaboration.
Dans l’espoir que vous accueillerez avec bienveillance nos demandes, je vous prie de croire, Monsieur le Sénateur-Maire, en l’expression de mes salutations respectueuses.
Pour la section LDH de Toulon, le président,
Gilles Desnots.à Toulon, le 25 février 2005
[1] Lire article 219 par Madeleine Rebérioux.
[2] Le Point 03/06/04 - N°1655 - Page 32
[3] Alain Ruscio