De quelle autorité disposera le groupe des “Cnil” européennes face au secteur de la « surveillance » — un marché juteux en plein développement [1]
— ?
Selon Sébastian Roché, directeur de recherches au CNRS, « rien ne prouve qu’il existe un lien entre l’installation des systèmes de vidéosurveillance et la baisse de la délinquance », mais Nicolas Sarkozy continue à être fasciné par la densité du réseau installé en Grande-Bretagne. Dans la lettre de mission qu’il avait adressée le 30 juillet 2007 à Michèle Alliot-Marie, il lui demandait de proposer « un plan national d’équipement ». Le 9 novembre 2007, la ministre de l’intérieur a présenté un vaste plan qui vise à tripler en quelques années le nombre de caméras de vidéosurveillance installées en France.
Le 19 février 2008, Alex Türk, président de la CNIL, a été élu président du groupe des « CNIL » européennes — groupe dit de « l’article 29 » ou « G29 », en référence à l’article 29 de la directive européenne du 24 octobre 1995 sur la protection des données qui l’a institué. Elu à l’unanimité par les 27 délégations des Autorités de protection des données nationales des états membres de l’Union européenne, pour une durée de deux ans, Alex Türk entend donner plus de poids à cette enceinte réunissant toutes les autorités de protection des données d’Europe.
Vidéosurveillance : les inquiétudes du G29
par Capucine Cousin, Les Echos, le 24 février 2008Le 19 février, un membre de la Direction générale de la recherche de la Commission européenne a présenté au G29 deux projets financés par Bruxelles. L’un est un système de vidéosurveillance destiné à examiner les comportements des passagers à bord des avions. L’autre, doté d’un budget de 20 millions d’euros, vise à pister les passagers aériens avant leur embarquement, par la vidéosurveillance et des puces RFID insérées dans les billets. Officiellement, il s’agirait de « repérer les 5 % de flâneurs qui retardent le départ des avions en traînant dans l’aérogare », précise Alex Türk.
Un régime juridique « flou »
La vidéosurveillance fait aussi débat en France, où le ministère de l’Intérieur veut tripler, en deux ans, le nombre de caméras sur la voie publique, pour passer de 20.000 à 60.000. La CNIL va émettre une note au ministère de l’Intérieur, car le « régime juridique [NDLR : de la vidéosurveillance] est trop flou », pointe Alex Türk. Il remet en cause la composition de la Commission nationale de la vidéosurveillance, créée début février par la Place Beauvau, et à laquelle participent des élus, des juristes, des représentants de la police, de la gendarmerie et des transports publics.
La conservation et la réutilisation de données personnelles ont déjà fait couler beaucoup d’encre, et demeurent prioritaires pour le G29. Notamment le transfert de données des passagers aériens qui se rendent aux Etats-Unis (« Passenger Name Records », PNR), sur lequel le G29 n’a pas pu faire face au poids des Etats-Unis. Or le sujet n’est pas clos, puisque « la Corée, le Canada et l’Union européenne veulent mettre en place un système similaire », précise Alex Türk. Le G29 va aussi suivre de près le traitement des données personnelles par les réseaux sociaux comme Facebook, et la durée de conservation des informations stockées par les moteurs de recherche.
Capucine Cousin
Sécurité. La ministre de l’Intérieur a mis en place vendredi une
commission de contrôle.
C’est une véritable offensive des œilletons. Des 350 000 caméras
présentes sur le territoire français, on pourrait passer, d’ici à 2012,
au million. Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, installait
vendredi la Commission nationale de vidéosurveillance, qui pourra
contrôler déploiement des caméras et donner des avis sur leur emploi [2] .
La Commission nationale de la vidéosurveillance, qui compte vingt
membres, est présidée par Alain Bauer, criminologue, président de
l’Observatoire national de la délinquance (OND). Elus, juristes,
représentants de la police, de la gendarmerie, y participent. Michèle
Alliot-Marie souhaite la connexion des caméras avec les services de
police et de gendarmerie. Aujourd’hui, sur 260 communes équipées de
caméras en zone de police, seules 53 ont organisé un tel partage d’images.
Remis en septembre, le rapport de Philippe Melchior, de l’Inspection
général de l’administration (IGA), serait à l’origine de ce
déploiement. « C’est un document de travail », son auteur ne le
commentera pas. Dommage. Car l’analyse sur ces systèmes fait cruellement
défaut. En matière de vidéosurveillance, le volontarisme affiché
contraste avec l’absence d’évaluation des dispositifs.
Dérobades. - « Il n’y a aucune étude réalisée en France sur l’impact de
la vidéosurveillance », explique Pascal Veil, du Forum français pour la
sécurité urbaine, organisme qui fédère plus de 130 communes sur les
questions de sécurité. « En même temps qu’un plan de développement, il
en faudrait un autre d’évaluation », précise Eric Chalumeau, qui a
réalisé des études d’évaluation de la vidéosurveillance pour Lyon et
Marseille. Villes qui n’ont pas rendu publics leurs résultats. « Les
municipalités sont très opaques sur ces questions », constate Sebastian
Roché, directeur de recherches au CNRS. Il boucle une étude autour de
trois villes (Strasbourg, Lyon et Grenoble) sur les changements induits
par la vidéosurveillance. Et a enregistré beaucoup de dérobades pour
obtenir des chiffres et parler du sujet. Pourtant, il ne manque pas de
voix pour en vanter les mérites lors de résolution d’affaires :
attentats de Londres (mais pas de Madrid), meurtre d’un photographe,
filmé par les caméras d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) en 2005.
Dans cette ville, selon la mairie, la mise en place des 29 caméras a
fait baisser la délinquance de 11 % en 2005. Qui a à nouveau augmenté de
11 % en 2006, pour redescendre de 5 % en 2007. Ce qui donne le tournis
au directeur général des services de la ville, qui avoue : « Il n’y a
pas d’explication rationnelle. » Le commissariat n’a pas donné suite à
notre demande d’entretien.
D’autres villes équipées ont du mal à critiquer leurs dispositifs.
Fin 2007, Strasbourg, précurseur, comptera 200 caméras, surveillées par
25 personnes, en trois-huit. Depuis 2003, il y aurait eu 50 % de
voitures brûlées en moins au quartier de la Meinau. La délinquance
urbaine aurait baissé de 30 %. S’est-elle déplacée ? L’évaluation
réalisée donne des résultats mitigés.
A Montargis, ville du Loiret de 15 000 habitants, le maire, Jean-Pierre
Door (UMP), affirme qu’en cinq ans ses caméras ont permis de diminuer de
50 % le nombre d’actes délictuels en ville – incivilités, vols de carte
bleue au distributeur, agressions. Mais aussi d’améliorer la
circulation. Lui avance que c’est grâce à la vidéosurveillance. Des
21 caméras existantes, il en ajoutera 6. Coût : 3 % du budget de
fonctionnement.
Opposition. Sebastian Roché prévient : « Rien ne prouve qu’il existe
un lien entre l’installation des systèmes de vidéosurveillance et la
baisse de la délinquance. La délinquance baisse aussi dans des villes où
il n’y a pas de vidéosurveillance. » Qu’importe. Le maire de Montargis
ajoute que les personnes âgées ressortent enfin en ville. Dans les
municipalités de droite comme de gauche, l’opposition à l’installation
est devenue rarissime. Mais, malgré l’acclimatation aux caméras, les
réserves restent nombreuses.
« Il ne faut pas faire n’importe quoi avec cet outil », résume Francis
Jaecki, directeur général de la sécurité à Strasbourg. D’abord, savoir
où placer les caméras. Ensuite, les gérer efficacement avec les services
de police. Eric Chalumeau parle de « partenariat actif » entre police
nationale et ville qui améliore, dans certains cas, les taux
d’élucidation. Beaucoup louent les usages facilités par la vidéo.
Notamment les policiers qui peuvent visualiser pendant une bagarre la
présence d’armes. Et dans les endroits fermés, comme les parkings, son
efficacité n’est plus remise en cause.
Promesses. - Mais la vidéo ne peut en aucun cas suffire, ni être, selon
Sebastian Roché, « la potion magique ». Elle doit aider à améliorer
d’autres dispositifs. Jean-Pierre Hoss, qui fait partie du comité
d’éthique de la ville de Lyon, insiste : « Ce qui compte c’est une bonne
combinaison des moyens. » Il rappelle que les conclusions de l’enquête
lyonnaise : « Elles incitent à une certaine prudence sur le tout caméra.
Il y a des cas où il vaut mieux installer un réverbère qu’une
caméra. » Dans son étude, Sebastian Roché montre que l’usage de la vidéo
fait partie de la montée en force du maire en matière de sécurité, avec
la création des polices municipales. « Avec ces outils-là, les édiles
redeviennent crédibles. » L’accroissement des caméras faisait partie des
promesses du candidat Sarkozy. « En matière de lutte contre la
délinquance, l’insistance sur la vidéosurveillance révèle une absence
de stratégie », résume le chercheur.
Le programme national d’installation coûtera de 5 à 6 milliards d’euros.
L’Etat en prendra une partie à sa charge – pour un montant non encore
fixé – dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la
délinquance. Autant d’argent en moins pour les associations de terrain
qui œuvrent dans la prévention.
Nicolas Sarkozy entend développer le réseau de vidéosurveillance en s’inspirant du modèle britannique
par Nathalie Guibert et Jean-Pierre Langellier, Le Monde du 10 juillet 2007Le président Nicolas Sarkozy a annoncé, dimanche 8 juillet, dans un entretien au Journal du dimanche avoir demandé au ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, « de réfléchir à un vaste plan d’installation de caméras dans nos réseaux de transports en commun » pour combattre la menace terroriste. « Il y a 25 millions de caméras au Royaume-Uni, un million en France. Je suis très impressionné par l’efficacité de la police britannique grâce à ce réseau de caméras », a-t-il dit.
Cette efficacité s’est révélée ces derniers jours dans l’enquête menée après l’attentat de Glasgow et les tentatives d’attentat de Londres, où les caméras de surveillance ont joué un rôle décisif dans l’arrestation des suspects.
Les Britanniques sont le peuple le plus épié au monde : selon les chiffres les plus courants, le royaume abriterait en réalité 4,2 millions de caméras, soit une pour 14 personnes. Ces Close Circuit Televisions (ou CCTV) sont partout : dans la rue, sur les autoroutes, dans les trains, les bus, les couloirs du métro, les centres commerciaux ou les stades. Un Londonien peut être filmé jusqu’à 300 fois par jour.
Le citoyen ne se plaint guère de cette omniprésence et retient surtout l’utilité du dispositif dans la lutte contre le terrorisme. L’Association des officiers de police remarque que de stricts garde-fous légaux protègent le citoyen contre d’éventuels abus. Certaines associations s’inquiètent pourtant de la multiplicité des formes que revêt le contrôle des Britanniques, nourri d’une incessante collecte d’informations sur leurs déplacements et leurs comportements, et dont les caméras ne sont que l’indice le plus visible.
En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) lance elle aussi dans son rapport annuel 2006, publié lundi 9 juillet, « une alerte à la société de surveillance » qui menace « la protection des données et nos libertés ». « L’innovation technologique est à la fois porteuse de progrès et de dangers, met en garde Alex Türk, le président de la CNIL. Les individus sont tentés par le confort qu’elle procure, mais ils sont peu conscients des risques qu’elle comporte. Ils ne se préoccupent guère de la surveillance de leurs déplacements, de l’analyse de leurs comportements, de leurs relations, de leurs goûts. »
Les systèmes de vidéosurveillance sont en augmentation constante en France depuis leur autorisation par la loi Pasqua sur la sécurité du 21 janvier 1995. Ce texte a subordonné l’installation de caméras dans les lieux publics à des finalités précises (protection des bâtiments publics, régulation du trafic routier) et à un contrôle judiciaire : les communes souhaitant installer des caméras doivent demander l’autorisation du préfet, donnée après l’avis d’une commission présidée par un magistrat. Au nom du nécessaire respect de la vie privée, la vidéosurveillance ne devait pas permettre de visualiser des images de l’intérieur des immeubles d’habitation et de leurs entrées. Par ailleurs, hormis le cadre d’une enquête de flagrant délit ou d’une enquête judiciaire, les enregistrements doivent être détruits dans un délai d’un mois.
Garanties « insuffisantes »
Le ministère de l’intérieur a régulièrement réclamé un usage plus large de l’outil, dans deux directions : un élargissement du parc de caméras, et une augmentation de la durée de conservation des données enregistrées. Le nombre de caméras surveillant les rues de Paris (330 en surface, sur 30 000 au total dans la capitale contre 65 000 à Londres) est considéré par le préfet de police comme « un maillon faible pour la sécurité ».
En décembre 2005, la France a durci pour la huitième fois en dix ans son arsenal antiterroriste, en étendant l’usage de la vidéosurveillance aux abords des bâtiments privés. La loi a aussi donné aux services de police et de gendarmerie la possibilité d’accéder directement aux images, hors de tout contrôle de l’autorité judiciaire. En examinant le texte, la CNIL avait estimé qu’il appelait « des garanties particulières pour préserver la liberté d’aller et venir et le respect de la vie privée » et que celles prévues étaient « insuffisantes ».
Les matériels disponibles sur le marché, contrôlables à distance, peuvent suivre un passant sur un trajet complet dans la ville ou encore pratiquer la reconnaissance faciale en temps réel. La CNIL et les associations de défense des droits de l’homme s’inquiètent de la nécessité d’aller plus loin, alors que les moyens de contrôler l’usage de la vidéosurveillance n’ont pas suivi son développement.
Nathalie Guibert et Jean-Pierre Langellier
La vidéosurveillance et les Hauts-de-Seine ? Une vieille et longue histoire qui
remonte au début des années 1980 lorsque Patrick Balkany, alors maire RPR de
Levallois-Perret, provoqua une tempête en annonçant qu’il allait faire
surveiller les rues de sa ville par des caméras. Une décision qui déchaîna
manifestations et pétitions et amena à la saisine de la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL).
C’est un autre élu du département, Charles Pasqua, alors ministre de
l’intérieur, qui a donné à la vidéosurveillance son cadre législatif avec la
loi du 21 janvier 1995. Par la suite, M. Pasqua, président du conseil général
des Hauts-de-Seine, encouragera l’installation de caméras de surveillance à
l’aide de subventions départementales jusqu’à les inscrire dans les contrats
locaux de sécurité.
D’Asnières à Antony, villes UMP, les caméras ont poussé le long des rues et des
places publiques au fil des ans. Au risque de se retourner contre leurs
promoteurs : en février 2004, le directeur de cabinet du maire UMP d’Asnières
est surpris en train de visionner les images retransmises depuis les rues de la
ville pour reconnaître des colleurs d’affiches de l’opposition municipale.
En 2003, M. Pasqua envisage de faire "vidéosurveiller" les quelque 90 collèges
du département. Un plan ambitieux est mis en oeuvre par un ancien syndicaliste
de la police, Jean-Louis Arajol, devenu le conseiller en sécurité de M. Pasqua
au conseil général. Mais ce projet, jugé démesuré, est abandonné après
l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence du conseil général en 2004. M.
Sarkozy voyait aussi poindre l’hostilité des enseignants et de parents
d’élèves.
Lors de la campagne des régionales de 2004, Jean-François Copé, tête de liste
UMP, inscrit dans son programme "la généralisation de la vidéosurveillance".
"On va mettre des caméras partout, dans les gares, à l’entrée des immeubles",
promettait-il alors. Plus récemment, le nouveau préfet de police de Paris,
Michel Gaudin, que MM. Pasqua et Sarkozy recrutèrent dans les Hauts-de-Seine,
affirmait devant le Conseil de Paris que la capitale "n’est pas suffisamment
bien équipée en matière de vidéosurveillance, voire sous-équipée".
[1] Après les caméras capables de détecter les mouvements suspects ou dotées de modules de reconnaissance faciale, voici venir les caméras qui lisent sur les lèvres... avec un taux d’erreur de 50% (voir http://www.01net.com/editorial/3572...).
[2] L’intervention de Michèle Alliot-Marie lors de l’installation de la
Commission Nationale de Vidéosurveillance le vendredi 9 novembre 2007 : http://www.interieur.gouv.fr/sectio....