le Conseil de l’Europe dénonce les discriminations en France


article de la rubrique discriminations
date de publication : lundi 29 septembre 2014
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A l’issue d’une mission de cinq jours en France, Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a dénoncé vendredi 26 septembre 2014 l’intolérance et les discriminations dont font l’objet en France de nombreuses minorités, notamment étrangères.

Les immigrés, les demandeurs d’asile, mais aussi les Roms
migrants et les gens du voyage ainsi que des personnes
handicapées sont privés de certains de leurs droits
fondamentaux, a-t-il déclaré. Le Commissaire publiera prochainement un rapport sur sa visite en France.


La France doit tenir ses promesses en matière d’égalité

Paris le 26 septembre 2014 [1]

« Malgré les efforts déployés pour mettre en œuvre le principe d’égalité en France, les discriminations persistent. Ceci démontre qu’un nombre d’engagements majeurs de la République ne sont toujours pas tenus dans ce domaine crucial pour la cohésion sociale et les droits de l’homme  », a déclaré aujourd’hui Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à l’issue d’une mission de cinq jours en France.

L’intolérance progresse et se manifeste par une recrudescence des discours et des actes racistes, antisémites, antimusulmans et homophobes. Le solide cadre juridique qui permet de réprimer ces phénomènes devrait être complété par davantage de mesures de prévention et de sensibilisation, notamment des usagers d’Internet, où le discours de haine se développe. « La classe politique, tant au niveau national que local, a une responsabilité particulière en matière de lutte contre l’intolérance et les discriminations. Ses membres ne doivent pas seulement s’abstenir de tout propos stigmatisant ou discriminatoire. Ils doivent aussi condamner clairement et fermement tous les propos haineux et promouvoir l’égalité. »

Les immigrés et les demandeurs d’asile subissent de plein fouet l’intolérance et doivent, en outre, affronter des conditions de vie très difficiles. « Je suis très inquiet de constater que de nombreux demandeurs d’asile ainsi que des mineurs isolés étrangers ne bénéficient pas des conditions minimales d’accueil et se retrouvent dans des dispositifs d’hébergement d’urgence inadaptés à leur situation, voire à la rue. Je suis particulièrement attristé par la situation des demandeurs d’asile afghans sans abri que j’ai rencontrés avant-hier dans le nord de Paris », a noté le Commissaire. S’agissant de l’asile, le Commissaire Muižnieks a également déploré la faible participation de la France au programme de réinstallation des réfugiés syriens. Il a invité les autorités à permettre aux 500 personnes qu’elles se sont engagées à accueillir de gagner rapidement le territoire français et à prendre des engagements pour l’accueil de nouveaux réfugiés syriens. Il a aussi appelé la France à veiller à ce que la simplification et l’accélération annoncées des procédures d’asile ne se fassent pas au détriment des garanties procédurales et des droits des demandeurs d’asile. « Une série d’arrêts récents contre la France de la Cour de Strasbourg démontrent la nécessité d’examiner de manière plus approfondie les demandes d’asile et d’améliorer la qualité des décisions rendues par les juridictions françaises dans le domaine de l’asile ».

Les Roms migrants sont, eux aussi, particulièrement victimes de l’intolérance. Il s’agit pourtant d’une population réduite – moins de 20 000 personnes sur l’ensemble du territoire français – et apparemment stable depuis de nombreuses années. Leurs besoins fondamentaux ne sont pas différents de ceux de toutes les personnes en situation de grande précarité : accès au logement, aux soins, à l’éducation et à l’emploi. Selon le Commissaire Muižnieks, « il faut mettre un terme aux évacuations forcées de bidonvilles non accompagnées de solutions durables d’hébergement car ces évacuations ne font que déplacer et amplifier les problèmes. Il est, en outre, impératif de donner la priorité à l’accès de tous les enfants Roms à l’école. Il n’est pas acceptable que dans un campement comme celui où je me suis rendu à Marseille, aucun des 25 enfants qui y vivent depuis près de deux ans ne soit scolarisé » a-t-il ajouté.

Le Commissaire Muižnieks s’est également inquiété de la situation des Gens du voyage, qui continuent à rencontrer d’importantes difficultés du fait du nombre insuffisant d’aires d’accueil, malgré l’existence, depuis 1990, d’une loi visant à assurer la mise à disposition de telles aires. Il a encouragé les autorités à s’assurer que les communes respectent leurs obligations en la matière et à poursuivre les réformes en vue de l’abolition des dispositions dérogatoires au droit commun, comme celles concernant le livret de circulation et la commune de rattachement, qui s’appliquent encore aux Gens du voyage.

Enfin, le Commissaire a examiné la situation des personnes handicapées. Il a noté avec satisfaction la priorité donnée, dans les politiques publiques, à l’autonomie et à l’inclusion dans la société. Toutefois, il a déploré que cette priorité peine encore trop souvent à être mise en œuvre en pratique et que les personnes handicapées continuent de subir de nombreuses discriminations. « Les enfants handicapés doivent, comme tous les enfants, jouir pleinement et effectivement du droit à l’éducation. J’invite instamment les autorités à déployer tous les moyens nécessaires pour assurer la scolarisation de tous les enfants handicapés et à poursuivre les efforts entrepris afin de favoriser leur scolarisation en milieu ordinaire » a-t-il déclaré. Il a également encouragé les autorités à donner plein effet à la loi de 2005 sur le handicap en soulignant qu’il reste toujours d’importants progrès à accomplir pour garantir l’accessibilité des lieux recevant du public. « Les autorités françaises doivent veiller à ce que les reports des aménagements nécessaires à l’accessibilité soient strictement limités en nombre et en durée ». Le Commissaire a, de plus, regretté que, « malgré les condamnations de la France par le Comité européen des droits sociaux, au moins 6 000 personnes handicapées françaises restent toujours placées dans des établissements en Belgique » et a incité les autorités à accroître leurs efforts afin de proposer à toutes les personnes handicapées un accompagnement adapté à leur situation.

Le Commissaire publiera prochainement un rapport sur sa visite en France.

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« Les politiques doivent dire plus fortement que les discours de haine sont inacceptables »

par Alain Salles et Elise Vincent, Le Monde du 27 septembre 2014


Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe depuis 2012, Nils Muiznieks a achevé, vendredi 26 septembre, sa première visite en France.

  • Vous venez de passer quatre jours et demi en France. Constatez-vous une montée de l’intolérance ?

Vous avez un cadre juridique développé, des infrastructures solides : un défenseur des droits, une commission nationale des droits de l’homme, un contrôleur général des lieux de privation de liberté, etc. J’ai visité beaucoup de pays où il y a bien plus de problèmes. Ce qui manque, en France, c’est un discours fort des politiques contre le racisme et l’antisémitisme. La crise participe à l’augmentation des propos racistes, mais il faudrait que les politiques disent plus fortement que les discours de haine sont totalement inacceptables, que c’est contre les valeurs de la France.

Vous avez aussi de très bonnes lois, mais leur mise en oeuvre reste souvent incomplète. On le voit par exemple sur les évacuations de campements roms et la création d’aires d’accueil pour les gens du voyage. Je voudrais que la France soit vraiment le pays de l’égalité pour tous.

  • Pourquoi ce discours des hommes politiques n’est-il pas assez fort selon vous ?

Si on lit les journaux, si on regarde les discours, on trouve beaucoup de stéréotypes sur les Roms, les migrants. Avant de venir, je pensais qu’il y avait des vagues énormes de Roms partout, originaires de Roumanie ou de Bulgarie. Mais j’ai découvert que c’était une population stable, qui ne comptait pas plus de 17 000 à 20 000 personnes. Ils sont instrumentalisés par les politiques. Oui, il y a de la criminalité de la part des Roms, mais c’est une minorité. Il existe des réussites au sein de la communauté rom et personne ne les connaît.

  • Craignez-vous, après l’assassinat d’Hervé Gourdel par des djihadistes affiliés à l’« Etat islamique », que ressurgissent dans l’opinion beaucoup de préjugés antimusulmans ?

Ces préjugés antimusulmans existent partout en Europe et de tels actes peuvent les nourrir. Il faut mener un travail beaucoup plus actif sur Internet, parce que c’est sur les réseaux sociaux que beaucoup de discours de haine ont lieu et qu’une partie des actions de recrutement des extrémistes se passe. Je suis pour la pénalisation des discours de haine sur la Toile. En France, on le fait assez activement. Mais les sanctions pénales à elles seules ne vont pas tout résoudre. Vous avez un plan national de lutte contre le racisme et les discriminations, mais le travail me paraît très lent et peu visible.

  • Que devraient faire la France et l’Union européenne pour répondre au problème de l’asile ?

Je suis particulièrement inquiet pour les réfugiés syriens. Partout en Europe, plus de 90 % d’entre eux obtiennent l’asile quand ils le demandent. Donc ils vont continuer de venir car la situation n’est pas supportable en Turquie.

Mais les seuls pays qui font beaucoup pour eux aujourd’hui sont l’Allemagne et la Suède. Si les Syriens ne viennent pas en France, c’est parce que l’accueil, l’aide, l’insertion sociale fonctionnent mal. Il faut que la France revoie son système. En même temps, il faut ouvrir des voies légales sécurisées pour qu’ils accèdent à l’Europe sans devoir entrer par des réseaux clandestins. On peut développer les programmes de réinstallation ou les visas d’asile, sinon on va encore voir beaucoup de tragédies.

  • Quelle est la chose sur laquelle il faudrait agir le plus rapidement possible selon vous, en France ?

Arrêter les évacuations forcées des campements roms et aider ces populations très précaires à s’installer, s’insérer. J’ai pu voir un campement rom à Marseille où aucun des 25 enfants n’était scolarisé. Et, s’il n’y a pas de solution maintenant pour ces enfants, cela sera beaucoup plus difficile à gérer dans dix ans. Je sais qu’il y a des parents qui ne souhaitent pas scolariser leurs enfants, que certains se marient très tôt, qu’il y a du racisme. Mais je crois que c’est dans l’intérêt de la France de gérer ce problème.

Propos recueillis par Alain Salles et Elise Vincent, journalistes au Monde



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