la vidéosurveillance ne protège pas les citoyens, mais elle aide les enquêteurs


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : vendredi 27 janvier 2017
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Christian Estrosi, président LR de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a dévoilé, mardi 20 septembre 2016 un "plan de sécurité intérieure régional" d’un budget de 250 millions d’euros pour "accompagner, soutenir" le travail des forces de l’ordre en "renforçant [leurs] moyens matériels et humains".

"Ce sont 250 millions d’euros sur le mandat que nous engageons au service de la sécurité", a déclaré Christian Estrosi lors d’une conférence de presse à La Crau (Var). Une grande part est dévolue au développement de la vidéosurveillance : 20 millions d’euros seront ainsi consacrés à la création ou l’agrandissement des réseaux de caméras de vidéosurveillance dans les villes. Les caméras seront également déployées dans les transports en commun qui dépendent de la région.

Le parc des caméras de vidéosurveillance ne va cesser de croître, à Toulon comme à Nice, et cela sans tenir le moindre compte des enseignements de l’attentat du 14 juillet dernier, à Nice.


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Une des 1257 caméras de surveillance de la ville de Nice (Valéry Hache/AFP)

La vidéosurveillance ne protège pas les citoyens, n’en déplaise aux politiciens

par Laurent Mucchielli, le 24 décembre 2016


Si certains en doutaient encore, l’enquête de Mediapart (du 23 décembre 2016). sur l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice prouve une fois de plus que la vidéosurveillance ne protège pas les citoyens de la criminalité. L’auteur de l’attentat de Nice ne s’est pourtant pas caché. Au contraire, il a effectué de nombreux repérages avec son camion de 19 tonnes, avant de passer l’acte. Le tout au nez et à la barbe du système de vidéosurveillance et de police municipale le plus important de France. Loin d’en tirer une quelconque leçon d’humilité ou de meilleure gestion, le maire de Nice, Christian Estrosi, qui a construit toute sa carrière politique sur la posture sécuritaire, poursuit en tentant de faire oublier son arrogance (au lendemain des attentats de Charlie-Hebdo, il avait déclaré lors d’un conseil municipal : « Je suis à peu près convaincu que si Paris avait été équipé du même réseau [de vidéosurveillance] que le nôtre, les frères Kouachi n’auraient pas passé trois carrefours sans être neutralisés et interpellés »). Il continue ainsi à faire dépenser à la ville des millions d’euros dans ce système, et même des centaines de millions pour la région PACA qu’il préside.

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Novembre 2010 : inauguration d’un CSU à Toulon

par Ma. D., Var Matin, le 27 novembre 2010


Une grosse cinquantaine d’écrans plats reliée aux caméras disposées en ville et des agents missionnés pour regarder le film de la vie toulonnaise s’étirer devant eux. Bienvenue dans le nouveau Centre de supervision urbaine (CSU) : un PC de sécurité high-tech implanté au sein de l’hôtel de police municipale, place Pasteur. D’ici, toute la ville est surveillée. Police, zone piétonne, voirie : l’ensemble des moyens de vidéoprotection et de vidéosurveillance de Toulon y sont regroupés.

Opérationnel depuis septembre dernier, après cinq mois de travaux, le dispositif a été inauguré hier par le maire Hubert Falco, en présence du préfet Paul Mourier [1]. Rappelons que la seconde phase du chantier permettra à l’intégralité du bâtiment d’être réhabilité à l’horizon juillet 2011. L’opération aura coûté cinq millions d’euros, répartis entre la ville, le conseil général et l’État.

« Les citoyens veulent voir des uniformes »

Mais Hubert Falco n’a pas souhaité attendre que tous les murs soient repeints et les services réorganisés pour rappeler les moyens déployés ces dernières années en matière de sécurité : « Les effectifs de policiers municipaux ont été renforcés de 35,3 % entre 2001 et 2010. Les citoyens veulent voir des uniformes pour se sentir bien. » Tout comme les pouvoirs publics veulent désormais voir les citoyens pour les mêmes raisons. Ça fait maintenant sept ans que Toulon a mis en place son dispositif de « vidéoprotection urbaine », le renforçant année après année. Le centre-ville et le Mourillon sont aujourd’hui quadrillés. « C’est un outil précieux de prévention et de dissuasion », a justifié le premier magistrat de la capitale varoise. Lequel ne s’est pas privé de faire remarquer que « la lutte contre la délinquance et le sentiment d’insécurité » par ce biais ne faisait maintenant plus guère débat, même à sa gauche.

90 caméras de police en plus dans les trois ans

Hubert Falco a aussi annoncé que 90 nouvelles caméras de vidéosurveillance viendraient s’ajouter, dans les trois ans, aux 34 existantes. Avec les félicitations du préfet : « Nous saluons votre engagement pour faire reculer l’insécurité. Et soyez certain que nous serons là pour soutenir ce projet. » L’État, qui a déjà accordé une subvention de 110 000 euros pour le CSU, ne rechignera donc pas à de nouveau mettre la main à la poche.

Et pour cause : quand on pose la question du coût d’une caméra de vidéosurveillance au préfet, celui se veut intransigeant. « La sécurité, ça n’a pas de prix. » Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas cher.

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La montée de la vidéosurveillance à Toulon

[extraits d’un texte du site internet de la mairie de Toulon.]


[...] Tout a commencé dès 2003, après que le Conseil municipal a approuvé la mise en place d’une vidéoprotection tout en autorisant le maire à entreprendre les démarches administratives pour obtenir les autorisations nécessaires à sa mise en oeuvre.

Dès lors, de 33 caméras déjà installées sur le territoire de la commune, la Ville est passée à 58 (hors zone piétonne) : 18 implantées en centre-ville, 16 sur les plages et 24 dédiées à la surveillance de la circulation ainsi qu’à la Police municipale.

Fin 2009, le nouveau Centre de supervision urbaine (CSU) a regroupé sur un site unique l’ensemble des moyens de vidéoprotection et de vidéosurveillance (police, zone piétonne, voirie).

Une cinquantaine d’écrans surveillés, dans des conditions très encadrées, par des policiers municipaux relayés par des agents de la police nationale dans le cadre d’un partenariat conclu avec l’État.

Et en 2010, la décision est prise de faire évoluer le système de manière significative grâce à un plan pluriannuel d’installation de caméras supplémentaires. [...] En pratique, la 1re phase d’installation en 2012, a permis la mise en place de 47 caméras supplémentaires, tant en centre ville que dans les quartiers.

Il y en aura 45 de mieux fin 2014, au terme de la 2e phase, pour un maillage efficace du territoire et un outil supplémentaire et efficace au service de la sécurité de tous.

La volonté d’établir une procédure internationale sur la sûreté des installations portuaires et des navires est elle aussi apparue. [...]
À terme, 40 caméras seront positionnées sur 3 sites (Toulon Côte d’Azur en centre ville, Brégaillon et le môle d’armement) et deux postes de garde installés aux entrées de Brégaillon sud et nord.

Un dispositif (1,4 M d’euros d’investissement) qui permettra une surveillance des sites protégés 24h/24 et un contrôle permanent des entrants et des sortants de la zone portuaire.

La ville est aujourd’hui classée au 13e rang du palmarès des grandes villes françaises les plus sûres. [2]

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11 repérages effectués avant l’attentat de Nice : "la vidéosurveillance est un échec"

par Charlotte Cieslinski, publié le 23 décembre 2016 dans L’Obs.


Avant le 14 juillet, le terroriste avait fait 11 repérages sous l’oeil des caméras. "La vidéosurveillance est un échec par rapport à l’illusion de protection qu’elle entretient", nous explique le sociologue Laurent Mucchielli.

Manœuvres en plein jour, créneaux devant le Negresco et selfies sous les pergolas de la Prom’… Mediapart détaille les 11 allées et venues du 19 tonnes de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, sur le front de mer de la ville la plus vidéo-surveillée de France.

Ces repérages, opérés avec une déconcertante facilité avant l’attentat qui a ôté la vie à 86 personnes le 14 juillet dernier, remettent vivement en cause l’utilité de la politique de vidéo-surveillance dont Christian Estrosi s’est longtemps fait le chantre. D’ailleurs, lui ne parle pas de vidéosurveillance mais de vidéoprotection.

"La caméra ne protège rien du tout", explique à l’Obs le Niçois Laurent Mucchielli, sociologue au CNRS et auteur de travaux sur la videosurveillance. A Nice, plus qu’ailleurs, les caméras de surveillance font partie intégrante du mobilier urbain. Elles se sont même démultipliées ces dix dernières années, passant de 280 en 2008 à 1.257 actuellement.

"La vidéosurveillance, un échec"

Angles à 360°, filatures automatiques grâce à une fonction d’autotracking… Le Centre de Supervision Urbain (CSU), qui centralise tout ce que filment les caméras, s’est doté de logiciels de pointe. La caméra n°173 a donc logiquement capturé les différents passages de la camionnette de Lahouaiej Bouhlel sur la Promenade des Anglais, les 11, 12, 13 puis 14 juillet. Mais au CSU, "personne n’a réagi", note Médiapart.

"Les images de la ville de Nice ont ensuite été très utiles pour l’avancée de l’enquête", contrebalance l’ancien maire de Nice Christian Estrosi sur LePoint.fr, en réaction à l’enquête publiée ce vendredi par Médiapart. "Oui, les caméras aident à résoudre les enquêtes", admet Laurent Mucchielli. Mais, "à Nice comme à Marseille, le système a été détourné pour vidéo-verbaliser les gens", selon lui. "Tous ces agents seraient plus utiles sur le terrain..." En somme, déplore-t-il :
"La vidéosurveillance est un échec par rapport à l’illusion qui est entretenue, c’est-à-dire l’idée qu’elle va protéger les citoyens."

Sur ce point, les images de Lahouaiej Bouhlel effectuant ses repérages sont accablantes. "En tout et pour tout, il est constaté que son camion a circulé à 11 reprises sur la promenade des Anglais entre le 11 juillet 2016, moment où le véhicule apparaît pour la première fois dans le champ de vision des caméras de la ville de Nice, et le 14 juillet 2016, avant de servir comme arme par destination lors de l’attentat commis ce même jour en soirée", comptabilise un enquêteur de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (SDAT) dans un PV consulté par Médiapart.

Des repérages malgré les caméras

Manoeuvres en plein jour, demi-tour, stationnement sur le trottoir (piéton) du front de mer à coté des joggueurs... Mohamed Lahouaiej Bouhlel a même eu le temps de photographier sous différents angles la pergola installée en face du Negresco depuis la cabine de son poids-lourd, insiste le pure-player qui dévoile ces clichés (et d’autres, parmi lesquels un selfie ahurissant du terroriste avec Christian Estrosi pris en août 2015)

"La vidéosurveillance n’a jamais rien dissuadé", explique Laurent Mucchielli. Pour lui, ces caméras répondent à "une attente émotionnelle plutôt que rationnelle". "Après chaque attentat, on voit fleurir une demande accrue de vidéosurveillance", souligne-t-il. Un mois après la fusillade de Charlie Hebdo, une cérémonie a été organisée à Nice pour l’installation de la 1.000e caméra de la ville. "A présent, Christian Estrosi espère qu’on oublie ses déclarations de l’époque", dit Laurent Mucchielli.

En février 2015, lors d’un conseil municipal, l’ancien maire de Nice assurait :"Je suis à peu près convaincu que si Paris avait été équipé du même réseau [de vidéosurveillance] que le notre, les frères Kouachi n’auraient pas passé trois carrefours sans être neutralisés et interpellés".

Notes

[1Étaient également présents les députés Philippe Vitel et Geneviève Levy, le procureur de la République Marc Cimamonti, le commissaire principal représentant le directeur de la sécurité publique, les élus municipaux, etc.

[2Nous ignorons le nombre de caméras de vidéosurveillance en activité à Toulon aujourd’hui. Nous ne connaissons pas non plus le classement de Nice pour l’année 2016 — suivant quel critère ? ...


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