la vidéo-surveillance dans le Var : jusqu’où va-t-on aller ?


article communiqué de la section de Toulon de la LDH  de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : samedi 19 juin 2010
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La ville de Toulon continue à développer l’implantation de caméras de vidéo-surveillance. Non pas que l’efficacité de cette technologie soit prouvée, mais le martelage sécuritaire auquel nous sommes soumis en a persuadé une majorité de nos concitoyens (à 65 %).

La vidéo-surveillance n’a pas d’effet dissuasif sur les infractions les plus graves, les crimes, les viols, les attaques à main armée ou les agressions ; son impact est marginal concernant l’élucidation des crimes et des délits. Et, d’après Eric Heilmann, spécialiste reconnu dans ce domaine, la délinquance dans les villes a progressé de manière quasi-identique, entre 2000 et 2008, qu’elles soient vidéo-surveillées ou pas. La présence de caméras peut avoir un effet dissuasif – repoussant la petite délinquance un peu plus loin – mais il s’atténue vite (18 mois).

Le 18 juin 2010, la section de Toulon de la Ligue des droits de l’Homme a adressé une lettre ouverte à Hubert Falco, maire de Toulon, pour lui demander de mettre un terme au développement de la vidéosurveillance.

[Mise en ligne le 15 juin 2010, mise à jour le 19]



Voir en ligne : Eric Heilmann : la vidéosurveillance, mirage technologique et politique

Lettre ouverte à Hubert Falco
Maire de Toulon
Secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens Combattants

Toulon, le 18 juin 2010

LA VIDEOSURVEILLANCE EST INEFFICACE ET LIBERTICIDE

Monsieur le Maire,

Vous venez d’annoncer l’installation de nouvelles caméras de vidéosurveillance à Toulon. D’ici trois ans, vous souhaitez en porter le nombre à 90. Vous avez confié que si cela ne tenait qu’à vous, vous multiplieriez ce nombre par dix.

La LDH-Toulon vous fait part une nouvelle fois de son opposition à ces projets principalement parce qu’elle pense que la vidéosurveillance est liberticide et aussi parce qu’elle lui conteste toute efficacité dans la lutte contre la délinquance.

La Ligue des droits de l’Homme est opposée à la surveillance systématique des citoyens : elle restreint leur droit à la vie privée. Le projet de suivre en permanence les allées et venues de chacun n’est pas compatible avec une société de libertés. Vous pensez sûrement que si l’on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à craindre de ces dispositifs. Nous pensons au contraire que parce que nous sommes tous présumés innocents, nous n’avons pas à supporter d’être surveillés sans cesse.

De plus, il est faux de dire que la vidéosurveillance est efficace pour lutter contre la délinquance. Même un rapport du ministère de l’Intérieur montre que la vidéosurveillance n’entraîne pas de baisse significative des chiffres de la délinquance : l’impact des caméras est faible, jamais durable et vite contourné. Au Royaume-Uni, qui en compte plus que tout autre pays européen, Scotland Yard conclut encore plus nettement à leur inefficacité dans un rapport publié en 2008. La nouvelle majorité au pouvoir compte d’ailleurs en réduire le nombre.

Contrairement à ce que vous affirmez, il n’y a donc aucun consensus sur la vidéosurveillance qui conduirait à l’installer partout, bien au contraire.

C’est pour ces raisons que nous vous engageons fermement à mettre un terme au développement de la vidéosurveillance à Toulon.

La Ligue des droits de l’Homme appelle les Toulonnais à s’opposer à cette prolifération liberticide.

Veuillez, agréer, Monsieur le Maire, l’expression de ma considération distinguée,

Luc de Bernardo
Président de la section de Toulon de la LDH
Pour la section de Toulon réunie le 15 juin

La vidéo-surveillance plébiscitée dans le Var

par Peggy Poletto, Var-matin, le 15 juin 2010


Si l’efficacité des caméras n’est pas prouvée, soixante-cinq communes varoises ont plébiscité leur installation sur la voie publique.

Quelle est la véritable utilité des caméras de vidéo protection installées sur la voie publique ? Depuis deux ans, les communes du département se les arrachent. Soixante-cinq en sont actuellement équipées. Sur les 2 072 installations autorisées par la préfecture du Var, 400 concernent directement des municipalités ; l’autre partie représentant des établissements privés (commerces, banques, supermarchés, bars-tabac).

30 demandes d’autorisations

De Baudinard – village qui détient certainement le record de France avec 12 appareils pour 156 âmes – aux plus grandes agglomérations, les élus ne jurent que par la vidéo protection pour éviter les phénomènes délictueux. Certains verraient bien des caméras partout. Partout. Une version géante de Secret Story. Des passants filmés 24 h sur 24 à tous les coins de rues.

Pour Simon Babre, chef de cabinet du préfet du Var, il faut éviter les excès. « On peut se demander jusqu’où on veut aller dans l’un des départements les mieux dotés. Cet outil doit être pertinent et utile. Il fonctionne pour la sécurisation des centres urbains, des zones commerciales, culturelles, autour de bâtiments prestigieux. »

Pas question donc de jouer à Big brother. D’épier les moindres faits et gestes. D’assurer une couverture totale.

« On assiste d’ailleurs à un phénomène très net. En France, le Var est le département où les demandes concernent essentiellement des extensions de réseaux déjà existants. Les villes s’équipent plus et mieux. » En 2010, près d’une trentaine de demandes d’autorisations ont déjà été déposées. « Elles seront étudiées de très près. Il ne faut pas tout faire n’importe comment ».

S’équiper, mais pourquoi ? Jusqu’à quel niveau ? « Il est difficile de quantifier l’efficacité réelle du système de vidéo protection », admet le représentant de l’État.

Depuis le début de l’année douze affaires ont été élucidées directement grâce à la caméra, dont des filouteries au carburant, une agression, un vol à main armée, mais aussi des vols de chaises et de tables.

Eric Heilmann est « critique sur l’efficacité de la vidéo-surveillance »

[Var-matin, le 15 juin 2010]


Spécialiste des fichiers de police et des empreintes génétiques, ce chercheur étudie depuis une dizaine d’années le développement de la vidéo surveillance
 [1].

  • Vous portez un regard (très) critique sur la vidéo-surveillance…

Je suis juriste et sociologue. J’étudie ce phénomène depuis une décennie. Depuis l’installation des premières caméras dans les hypermarchés, les gares… En tant que chercheur, mon regard est critique. Pas dans le sens péjoratif. Je constate. Invité à m’exprimer lors de cette journée de présentation sur ce thème, il ne faut pas attendre de moi que je dise que tout va bien. Je vais d’ailleurs dire le contraire.

  • Les caméras ne sont pas d’une efficacité prouvée ?

Les Français perçoivent cet outil comme étant efficace (à 65 %). Mais dans les faits qu’en est-il ? S’agissant l’élucidation des crimes et des délits, je dis que c’est faux. Avec ou sans caméras – entre 2000 et 2008 –, la délinquance dans les villes a progressé de manière quasi-identique. Un rapport du ministère (zone gendarmerie) estime à 3,5 % les personnes mises en cause grâce à la vidéo protection. C’est un outil, mais l’impact est marginal.

  • Leur présence peut avoir un effet dissuasif ?

On constate que la délinquance a baissé en moyenne plus fortement dans les communes équipées. Les atteintes volontaires à l’intégrité physique y ont été mieux contenues. L’effet préventif et dissuasif est mieux marqué en zone de gendarmerie qu’en zone police. À Cannes où 218 caméras étaient installées en 2009, la délinquance de rue a baissé de près de moitié.

  • Où se trouvent alors les limites du système ? Vous parlez d’un cycle de vie des caméras…

En Angleterre, une étude démontre qu’un dispositif est efficace 18 mois. Le système s’atténue au bout d’un certain temps. Il faut que l’installation de caméras soit couplée avec d’autres mesures complémentaires (éclairage, clôture, peinture…). Au niveau de la lutte contre le terrorisme, on a pu tirer des conclusions après les attentats de Londres en 2004. Les enquêteurs britanniques ont pu disposer rapidement des images du commando mais la vidéo-surveillance ne les a pas empêchés d’agir.

Toulon : bientôt quatre nouvelles caméras dans le centre-ville [2]

Durant le mois de juin, quatre caméras de vidéoprotection (ne surtout pas dire vidéosurveillance !) vont être installées dans le centre-ville et au Mourillon : place Sibille, place de la Visitation et place de l’Amiral Sénès, pour le centre-ville, ainsi que la Tour Royale pour le Mourillon.

Les secteurs isolés en priorité

« Ce sont des caméras police, explique Geneviève Levy, première adjointe. C’est une réponse à notre souhait et à celui de la population de se sentir protégé. » Ces lieux n’ont pas été choisis au hasard. « Ce sont des secteurs qui sont isolés à partir de certaines heures », poursuit-elle. Le but ? Aider les services de police à intervenir plus vite en cas de besoin ou à avancer à pas de géant dans leurs investigations. « Le dispositif des caméras monte en puissance, précise Éric Felten, le “boss” de la police municipale. Nous visons les lieux de rassemblement, les monuments, les lieux d’enseignement, les jardins et les lieux de brassage de la population. »

15 000 euros par caméra

Les autorités conserveront la même logique pour les futures installations de caméras. « Les lieux n’ont pas encore été arrêtés, reprend Geneviève Lévy. Nous menons actuellement un travail de compilation avec les lieux qui nous sont indiqués par la population, les services de police, les Cil, etc. Il n’y aura, bien sûr, pas que le centre-ville. On ira dans les quartiers aussi. » Avant qu’Éric Felten ne complète : « Nous devons aussi faire attention aux contraintes techniques qui sont très astreignantes. » Traduction : on ne peut pas installer des caméras n’importe où. « Il y a un tas d’éléments à croiser avec la technicité », ajoute Éric Felten.

Mais au fait combien ça coûte une caméra ? « [...] cela varie entre 10 000 et 20 000 euros, car chaque lieu mérite une attention particulière. »

Notes

[1Eric Heilmann a ouvert, hier à La Garde, la journée d’information des personnels communaux proposée par le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

[2D’après un article de Damien Allemand, paru dans Var-matin, le 1er juin 2010.


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