la lutte antidopage et les droits de l’Homme


article de la rubrique droits de l’Homme
date de publication : samedi 10 novembre 2007
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Jusqu’où peut-on aller pour être sûr de l’honnêteté d’un sportif ? Contrôles "inopinés", "passeport biologique" comprenant des données partagées à la marge du secret médical, limites à la liberté de se déplacer...

Andreï Kashechkin, coureur cycliste kazakh, conteste les principes de la lutte antidopage (consignés dans le code mondial antidopage ) au nom de la Convention européenne des droits de l’Homme et notamment du droit à la vie privée et à un procès équitable.
Le jugement est attendu dans un mois.


Voir en ligne : La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Et si la lutte antidopage portait atteinte aux droits de l’homme ?

Libération, 6 novembre 2007
Andreï Kashechkin

Comme souvent, c’est devant la justice belge que démarre un feuilleton dont l’issue pourrait révolutionner le monde du sport. Le tribunal des référés de Liège étudie aujourd’hui l’affaire « Andreï Kashechkin contre Union cycliste internationale ». Kashechkin, Kazakh, vélocipédiste professionnel de son état, a été convaincu de dopage par transfusion sanguine homologue après un contrôle inopiné sur son lieu de vacances, un hôtel turc, le 1er août. Il risque une suspension de deux ans selon les règlements de l’UCI. Au-delà des arguties procédurières sur la question de savoir si le prélèvement sanguin s’est déroulé dans le créneau horaire autorisé pour ce type de contrôle – le coureur assure que non –, l’avocat de Kashechkin, le Belge Luc Misson, invoque la convention européenne des droits de l’homme pour contester les fondements même de la lutte antidopage.

Gain de cause. Luc Misson était déjà « mouillé » dans l’affaire Bosman, modeste footballeur belge dont le nom est associé à un arrêt de la Cour de justice européenne (en 1995) qui dérégula le sport professionnel, le foot en particulier, en déclarant illégaux les quotas limitant le nombre de joueurs étrangers par clubs. En février, Misson obtenait gain de cause devant la cour d’appel de Bruxelles pour trois joueurs de foot qui contestaient devant la justice le pouvoir disciplinaire de la fédération belge. Aujourd’hui, il argue que la lutte antidopage est une « violation des droits de l’homme dont tout cycliste est victime ». Pour Luc Misson, le contrôle inopiné de Kashechkin, mais aussi l’ensemble des contrôles sanguins contreviennent à l’article 8 de la convention européenne qui encadre l’atteinte à la vie privée. Selon l’avocat, toute ingérence dans la vie privée ne peut être le fait que d’une autorité publique – ce que ne sont pas les médecins préleveurs de l’UCI – et librement consentie par celui qui la subit, assurément pas le cas du cycliste qui ne peut pas refuser un contrôle.

Directeur du master professionnel droit du sport de la faculté d’Aix-Marseille, Jean-Michel Marmayou ne veut surtout pas « remettre en cause le principe de la légitimité de la lutte antidopage ». Mais admet que les moyens de l’appliquer peuvent poser problème au regard de l’article 8 de la convention. « Tout l’arsenal de la lutte antidopage porte atteinte au respect de la vie privée : les contrôles inopinés, au domicile, en villégiature, l’obligation de signaler ou l’on est… Et la question est de savoir si cette atteinte est proportionnée au but recherché. ». Jean-Michel Marmayou s’interroge à ce sujet sur passeport biologique que devront posséder les cyclistes la saison prochaine, et qui est une atteinte même au principe de secret médical [1].

Procès équitable. Pour Misson, le contrôle de Kashechkin contreviendrait également à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme qui garantit « un procès équitable ». « C’est-à-dire le droit à la défense, le droit d’avoir du temps pour la préparer, le droit à un avocat, le droit d’avoir communication du dossier, etc., énumère Marmayou. Là-dessus la justice sportive présente des faiblesses. Il y a de vraies difficultés. Particulièrement en matière de lutte antidopage. » Cette justice est-elle toujours bien rendue, demandait Libération en février à Sophie Dion, avocate spécialisée en droit du sport. « C’est le problème devant les multiples commissions de discipline des fédérations, répondait-elle. Peut-on accepter que ne soient pas respectés devant elles, et à toutes les étapes de la procédure, les principes fondamentaux de contradiction et de droit de la défense ? »

« Les organes disciplinaires des fédérations ne sont pas impartiaux, soutient Jean-Michel Marmayou. Il faut permettre à l’accusé d’apporter la preuve contraire à sa culpabilité. En l’occurrence, l’UCI a refusé à Kashechkin qu’il fasse pratiquer une expertise à son propre compte. » Et Jean-Michel Marmayou de pronostiquer : « Si cette affaire va jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme, Bosman, à côté, ce sera tout petit. »

Gilles DHERS

Le précédent Golbano : un recours comparable en Espagne

« Les fondements de la lutte antidopage contestés en justice », Le Monde, 8 novembre 2007

[...]

A l’agence mondiale antidopage (AMA), on se dit "pas préoccupé par les tentatives de déstabilisation des organisations antidopage émanant de sportifs impliqués dans des affaires de dopage". D’autant plus que plusieurs sportifs bardés d’avocats ont déjà tenté de remettre en cause les règles antidopage devant des juridictions civiles. En vain.

Ainsi, en septembre, dans un cas comparable à celui de Kashechkin, le tribunal d’Almeria, en Espagne, a rejeté la plainte du coureur Carlos Roman Golbano, qui déniait la compétence de l’UCI en matière de règlement antidopage. Le coureur de l’équipe Paternina Costa Almeria avait été interdit de départ de la Vuelta en 2004 après un contrôle sanguin anormal. Carlos Roman Golbano avait notamment contesté à l’UCI le droit de lui demander des informations sur sa localisation en vue des contrôles antidopage hors compétition.

Le tribunal d’Almeria a estimé que le programme de localisation des coureurs ne violait pas les droits individuels garantis par la Constitution espagnole et a confirmé le droit de l’UCI de procéder à des contrôles hors compétition sans préavis. Le tribunal a en outre reconnu que la fédération avait le droit de rédiger ses propres règlements antidopage.

Avant l’adoption du code mondial antidopage en 2003, l’AMA avait également demandé à deux experts indépendants de rendre un avis juridique sur la conformité du code avec les principes communément acceptés du droit international et des droits de l’homme. Cet avis concluait à la conformité des dispositions du code avec les droits de l’homme.

Stéphane Mandard

ADN-EPO : l’ère du soupçon

Libération, 8 novembre 2007

S’est-on aperçu que les tests ADN proposés (mais en fait exigés) par la loi Hortefeux pour soi-disant favoriser (mais en fait limiter drastiquement) l’immigration en France au mépris de toute justice, étaient dans un curieux rapport d’analogie avec les règles qui sanctionnent le dopage ? Aurait-on eu l’idée de cette réglementation si ne s’était pas imposée de longue date dans l’opinion publique et la conscience des autorités la conviction que, dans le sport à tout le moins, c’est la présomption de culpabilité qui doit prévaloir sur les faits dûment établis ?

La question va au-delà du procès d’intention. La vérité est que nous n’avons plus accès à nos semblables qu’au travers du soupçon. Qu’elle porte sur l’identité (pour la gauche) ou sur la différence (pour la droite), ce qui prime reste la méfiance. D’autant qu’il ne s’agit plus de régler le soupçon sur son objet, mais de régler tout objet sur le soupçon. Ultime révolution copernicienne. Idéologie de la prévention à outrance et de la stigmatisation dans laquelle dorénavant, la charge de la preuve repose sur les épaules de celui qui doit répondre de son être et non plus de ses actes.

Ce terrible glissement est ce que souligne aujourd’hui la guerre qui met aux prises les droits de l’homme en général et les devoirs du sportif en particulier. En effet, si l’affaire « Andreï Kaschechkin contre Union cycliste internationale » risque de savonner la planche de la lutte contre le dopage, c’est moins parce qu’elle pose la question de la vie privée que parce qu’elle demande ce qu’est en vérité le corps d’un homme et, partant, de quel statut il peut et il doit bénéficier sur le plan juridique. Elle conduit aussi à se demander si l’on n’est pas allé, pour conforter les idéologues du sport et renforcer ses règles, jusqu’à confondre la substance et la fonction, niant ainsi que l’athlète n’est sportif que par profession et non par essence, et qu’il a donc le droit, sinon le devoir, de défendre son intégrité contre les pouvoirs de la « morale sportive », la lutte antidopage dut-elle en sortir fragilisée.

Paul AUDI [2]

Consensus autour du "passeport biologique" de l’UCI

Le Monde, 24 octobre 2007

"Un changement radical qui marquera l’histoire de la lutte antidopage." C’est en ces termes que la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, Roselyne Bachelot, a salué, mardi 23 octobre, la mise en place d’un "passeport biologique" pour les coureurs cyclistes à partir de janvier 2008 (Le Monde de jeudi 18 octobre).

A l’issue de la Rencontre internationale contre le dopage dans le cyclisme organisée à Paris, Mme Bachelot ainsi que le président de l’Union cycliste internationale (UCI), Pat McQuaid, et le président de l’Agence mondiale antidopage (AMA), Richard Pound, se sont engagés à mettre en place ce "projet novateur".

Le passeport biologique devra consigner les résultats des contrôles sanguins et urinaires de chaque coureur professionnel. L’objectif est de dresser le profil hématologique et stéroïdien d’un coureur et d’observer l’évolution de plusieurs paramètres (hématocrite, hémoglobine...) afin de détecter de façon indirecte le recours à des manipulations sanguines ou à des stéroïdes sans avoir à retrouver ces substances dans les urines.

Un groupe de travail composé d’experts de l’UCI et de l’AMA doit se réunir dans les prochains jours pour définir les conditions logistiques et juridiques du projet. Les équipes cyclistes professionnelles devraient être sollicitées pour participer à son financement. Le nouveau code mondial antidopage, qui sera adopté mi-novembre, devrait donner une portée disciplinaire au passeport. Enfin, un bilan de cette expérience devrait être tiré, à l’automne 2008, avant de l’étendre à d’autres sports.

Stéphane Mandard

Notes

[1Voir ci-dessous. [Note LDH-Toulon]

[2Paul Audi est philosophe.


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