« la République, les journalistes, l’argent et le président », par Michel Tubiana


article de la rubrique démocratie > coups de gueule
date de publication : vendredi 16 juillet 2010
version imprimable : imprimer


Cette tribune de Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, a été publiée le 16 juillet 2010 sur le site LeMonde.fr.


La République, les journalistes, l’argent et le président

De ce qui fût un sordide conflit familial destiné à faire les premières pages des magazines "people", on en est venu à un entrelacs mêlant le président de la République, deux ministres, un procureur, une présidente de chambre correctionnelle, des journalistes, des soupçons de fraude fiscale et de financements frauduleux de la campagne présidentielle.

Voici qu’un homme est contraint de se justifier, sa femme de démissionner de ses fonctions, les journalistes accusés de méthodes fascistes. Disons-le tout de go : au-delà de la liberté d’informer, du devoir d’informer, qui est l’essence même de la liberté de la presse, on ressentira toujours un malaise face au déferlement d’accusations qui acculent les uns et les autres jusqu’à faire du jeu normal des questions-réponses une forme de tribunal public.

A coup sûr, s’il y a quelque chose de salutaire à ce que les faits puissent être débattus, un récent sondage montre que c’est bien la politique et sa forme représentative qui sont doublement ébranlées. Sa capacité à changer l’état des choses était déjà atteinte, c’est maintenant sa capacité à disjoindre l’intérêt général des intérêts privés qui est mise en cause.

On peut s’en prendre à la presse, accusée de ronger jusqu’à l’os la nourriture qu’on lui a servie. C’est ignorer qu’elle est dans son rôle dans la recherche de l’information, quitte à répondre de ses éventuels abus devant les tribunaux. C’est surtout ignorer la main qui a dispensé cette nourriture.

Pour être ancienne, l’image reste toujours d’actualité : César doit être insoupçonnable. Or de l’apparence à la réalité, Nicolas Sarkozy a donné au soupçon la forme du réel. César d’abord, lorsqu’il fait de l’exercice de son mandat une sorte de finale permanente entre lui et la France, voire le reste du monde. Rien ne lui échappe, ce qui veut dire aussi que nul n’est à l’abri, parfois au mépris des règles de la République, de sa volonté. De cette empreinte permanente sur toute chose, naît le soupçon d’être d’une autre caste et de la servir. Ce que l’apparence atteste dès le début du mandat en conjuguant Fouqet’s, yacht et séjour aux USA. Ce que la loi concrétise par des mesures sociales et fiscales qui justifient publiquement les inégalités insupportables qui rongent notre société.

Nicolas Sarkozy a échoué à construire une République irréprochable

Tout embrasser, c’est aussi ramasser les pouvoirs des institutions sous son contrôle au travers de nominations ad hoc (que d’autres nominations ou quelques prébendes ne suffisent pas à compenser) ou de réformes institutionnelles faisant de l’Etat, de ses rouages et de ses serviteurs les relais d’une fidélité bien peu républicaine à un homme et sa politique.

C’est jusqu’à la fraternité, cette huile sans laquelle la liberté et l’égalité peuvent tourner à vide, que va le délitement quand la xénophobie d’Etat tient lieu de politique et s’étend de proche en proche à ceux et celles dont l’identité n’est supportable qu’à dose modérée, la quantité d’une certaine catégorie de français semblant la source de nos maux.

Non seulement Nicolas Sarkozy a échoué à construire une République irréprochable mais il en a défait les tenons qui permettaient d’assurer l’articulation des institutions et qui permettaient à chacun, même en désaccord, de s’y sentir reconnu.

Dans la violence des affrontements d’aujourd’hui, c’est tout cela qui affleure. On peut répondre à ces affrontements, à ces soupçons, par le déni ou l’insulte. On peut crier à la manœuvre politique. Nul ne sait comment se poursuivra un feuilleton qui apporte chaque jour son lot de révélations.

Mais, s’il reste une parcelle de bon sens à ceux qui nous gouvernent, s’ils sont encore en mesure de comprendre ce que peut avoir de mortelle la plus petite ambiguïté, revenons-en à un fonctionnement normal de la République. Qu’une information judiciaire soit ouverte et qu’un juge d’instruction soit chargé d’enquêter sur la totalité de ces évènements. C’est la seule méthode pour quitter l’ère du soupçon et préserver notre démocratie.

Michel Tubiana



Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP