la Grande-Bretagne dans le délire du fichage


article de la rubrique Big Brother > l’Europe de Big Brother
date de publication : dimanche 20 septembre 2009
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A mesure que se rapproche la date de sa mise en application, la contestation de la loi adoptée en 2006, qui prévoit de ficher tous les adultes exerçant une activité quelconque auprès de mineurs, se fait plus vive. Au point que le gouvernement britannique semble maintenant vouloir faire machine arrière... [1]

Selon cette loi, une personne ne peut être autorisée à travailler, de façon rémunérée ou bénévole, avec des enfants ou des adultes vulnérables, qu’après enquête sur ses antécédents. La loi concerne donc un très grand nombre d’adultes ! Les secteurs de l’enseignement, de la santé, des services sociaux sont les plus touchés, mais la loi s’applique également aux parents qui participent bénévolement à la vie d’un club sportif ou à des activités scolaires, à ceux qui transportent régulièrement des enfants autres que les leurs, qui reçoivent un correspondant étranger, qui emmènent en vacances des copains de leurs enfants... Les intervenants dans les établissements scolaires qui se font dédommager de leurs frais doivent en outre s’acquitter d’une somme de 65 £ pour être inscrits au fichier.

Le fait de ne pas s’être soumis à ce contrôle est sanctionné d’une amende de 5 000 £ et d’une mention au casier judiciaire. Au total, plus de onze millions de personnes sont concernées par ces nouveaux contrôles, soit un Britannique sur cinq !

On peut s’interroger sur la pertinence de cette loi censée protéger les enfants, alors qu’il semble que la plupart des affaires de pédophilie sont le fait de membres de la famille ou d’amis...


Londres va ficher les 11.3 millions de Britanniques qui s’occupent d’enfants

par Virginie Malingre, Le Monde du 18 septembre 2009


A Wandworth Common, un parc du sud-ouest de Londres, tous les samedis matin, un groupe de pères britanniques apprend le football à une centaine d’enfants, pour une participation annuelle de 30 livres (environ 33 euros). Pendant ce temps, les mères de famille distribuent le café. Dans moins d’un mois, ces parents dévoués seront fichés par l’Independent Safeguarding Authority (ISA), une agence gouvernementale. L’ISA procédera à une enquête sur leurs antécédents et jugera s’ils ne représentent pas un danger pour des footballeurs en herbe.

A compter du 12 octobre, tous ceux qui sont amenés à s’occuper "de manière fréquente (au moins une fois par mois) ou intensive (trois fois par mois)" d’enfants en Angleterre, au Pays de Galles et en Irlande du Nord devront s’inscrire auprès de l’ISA. Laquelle vérifiera qu’ils n’ont pas, dans une vie précédente, été suspectés de pédophilie ou de violence. Auquel cas ils devront se retirer.

Les enseignants, les infirmières, les médecins, les assistantes maternelles, les proviseurs ou encore les dentistes sont concernés au premier chef. Mais la loi de 2006, qui a créé ce dispositif, va bien au-delà. Un adulte qui accompagne régulièrement des sorties de scouts, par exemple, devra lui aussi être accrédité. Tout comme les familles qui accueillent des enfants étrangers désireux de perfectionner leur anglais.

Ceux qui oublieront de s’inscrire auprès de l’ISA encourent une amende de 5 000 livres. Tout comme leurs employeurs, qui seront passibles d’une peine de prison s’ils font travailler une personne que l’ISA a jugée inapte. "La base de données anti-pédophiles", comme l’appelle le Daily Telegraph, qui mène une violente campagne contre son entrée en vigueur, devrait in fine ficher 11,3 millions de personnes, soit un adulte sur quatre. Jusqu’ici, le gouvernement recensait exclusivement les professionnels de l’enfance, mais pas de manière exhaustive et avec une enquête à leur sujet plus limitée que ce qui est désormais prévu. Il a ainsi déjà collecté plus de 5 millions de noms.

Lors de son adoption à Westminster en 2006, la loi était apparue consensuelle. Les rares débats qu’elle avait suscités concernaient les 64 livres que doivent verser les fichés de l’ISA au titre des frais d’enquête qu’ils occasionnent. Il a été décidé que les bénévoles en seraient exonérés. Pour le reste, il n’y avait pas eu de polémique. Il a fallu attendre que l’ISA précise, il y a quelques jours, les modalités de sa mission pour que les critiques se fassent entendre.

Des écrivains pour enfants, comme Philip Pullman et Anne Fine, se sont offusqué des "exigences insultantes" de l’ISA et ont menacé de ne plus se rendre dans les écoles. Le travailliste Barry Sheerman, qui préside la commission à l’enfance et aux familles de la Chambre des communes, a condamné la manière dont la loi était mise en oeuvre et a appelé le gouvernement "à se saisir du dossier".

"Nous allons voir les clubs et les centres de loisirs pour enfants se vider et cela finira avec des jeunes qui s’ennuieront dans la rue", a ainsi commenté Chris Gayling, ministre de l’intérieur du cabinet fantôme conservateur. Dans le même ordre d’idées, la National Society for the Prevention of Children a jugé que cette législation mettait en péril "des activités parfaitement saines et normales". "Quand un dispositif destiné à protéger les enfants est critiqué de toutes parts, c’est qu’il va trop loin", a de son côté jugé Chris Huhne, pour les libéraux-démocrates.

Ed Balls, le ministre de l’éducation, a dû annoncer, lundi 14 septembre, qu’il allait faire réexaminer l’ensemble du dispositif pour vérifier que le gouvernement "a bien placé le curseur là où il faut". Sir Roger Singleton, le président de l’ISA, a jusqu’à décembre pour juger si des "ajustements" doivent être envisagés.

M. Balls a jugé utile de préciser que "les adultes qui rendent occasionnellement service à des amis en allant, par exemple, chercher leurs enfants à l’école, ne seraient pas concernés. Pas plus que les parents qui se rendent à l’école de leurs enfants pour le spectacle de Noël, ou autre".

La loi de 2006 qui a créé l’ISA et sa base de données trouve ses origines dans un fait divers qui a ému la Grande-Bretagne en 2002. Holly Walls et Jessica Chapman, deux petites filles de 10 ans, avaient été tuées à Soham (Cambridgeshire) par Ian Huntley. Cet homme travaillait dans le collège voisin, bien qu’il ait été impliqué dans des affaires d’agression sexuelle et de viols. Mais il n’avait pas été condamné dans ces dossiers.

"La fureur qui a saisi le pays avec l’affaire de Soham nous a tous rendus paranos", juge aujourd’hui le détective à la retraite Chris Stevenson, qui a mené l’enquête sur les deux meurtres. Londres "a surréagi", juge-t-il, alors que la plupart des affaires de pédophilie sont le fait de membres de la famille ou d’amis. M. Stevenson n’est pas certain que la nouvelle loi aurait empêché le drame : Ian Huntley a rencontré ses victimes parce qu’elles étaient les élèves de sa compagne, rappelle-t-il. Et cela, aucune loi ne pourra rien y changer.

Il y a quelques jours, M. Stevenson accompagnait son petit-fils de 9 ans à un match de football. Il était en train de le mitrailler avec son appareil photo quand un entraîneur lui a demandé de supprimer toutes ses prises ou de demander l’autorisation à tous les parents qui étaient présents.

Virginie Malingre


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Le père de la preuve ADN critique le fichage de ses concitoyens britanniques

C’état il y a vingt-cinq ans : alors qu’il travaillait dans son laboratoire de l’université de Leicester, le scientifique britannique Alec Jeffreys découvre, un peu par hasard, que l’ADN d’une personne constitue une « empreinte digitale génétique », et que l’on peut donc identifier une personne à partir de prélèvements ADN. C’est le début de la « preuve par l’ADN », rapidement adoptée par les services de police et les tribunaux du monde entier.

L’ADN permet en effet de résoudre des affaires autrement insolubles, et apporte une preuve quasiment irréfutable : il n’existe qu’une chance sur 37 millions pour que deux personnes aient des ADN suffisamment proches pour qu’on les confonde. En 1995, avec le soutien d’Alec Jeffreys, le Royaume-Uni met en place une base de données nationale d’empreintes génétiques. Depuis 2001, tous les mis en cause dans une affaire font l’objet d’un prélèvement ADN, qui reste stocké dans la base de données même s’ils sont reconnus innocents par la suite (sauf en Ecosse). Environ cinq millions de personnes sont répertoriées dans les fichiers du gouvernement.

Dans les années 1990, Alec Jeffreys, convaincu de l’efficacité de sa technique, prônait même le fichage génétique généralisé de toute la population du Royaume-Uni. Mais vingt-cinq ans après sa découverte, le père de l’empreinte génétique, qui a été fait chevalier par la reine, se montre aujourd’hui plus réservé sur les bases de données d’empreintes du gouvernement. Dans une interview à la BBC, il s’est prononcé en faveur d’une modification de la loi qui permette d’effacer des registres les personnes qui ont été innocentées. « Il y a aujourd’hui 800 000 personnes dans nos bases de données qui sont totalement innocentes. C’est plus que l’ensemble des personnes fichées génétiquement en Allemagne ou en France [2], a-t-il déclaré. Cela pose de graves problèmes de discrimination et de respect de la vie privée [...]. Ces personnes ne devraient tout simplement pas figurer dans ces bases de données ».

En décembre dernier, la Cour européenne a jugé que la conservation des empreintes génétiques de personnes innocentées était illégale, mais la loi britannique n’a pas encore été modifiée en ce sens.

Notes

[2[Note de LDH-Toulon] Le professeur Alec Jeffreys semble sous-estimer les performances de la police scientifique française qui, à la date du 1er septembre 2009, aurait fiché au FNAEG 1 080 000 personnes (Le Monde du 19 septembre 2009).


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