la Convention internationale pour la protection contre les disparitions forcées


article de la rubrique droits de l’Homme > les grandes déclarations
date de publication : vendredi 9 février 2007
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La Coalition internationale
 [1], réunissant les familles de disparus et des ONG de défense des droits de l’Homme, se félicite de la signature par 57 Etats le 6 février 2007
 [2] de la nouvelle Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées approuvé par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 20 décembre 2006. Il importe maintant que ces Etats ratifient au plus vite la Convention, et permettent ainsi son entrée en vigueur rapide. La Coalition appelle les autres Etats à signer et ratifier la Convention dans les meilleurs délais.


[Editorial du Monde, 7 février 2007]

Les hommes armés, en uniforme ou non, font irruption dans une habitation et emmènent de force quelqu’un, qui peut être un opposant ou un défenseur des droits de l’homme. Ils le conduisent vers un lieu de détention secret, où, le plus souvent, ils lui font subir des tortures. Ses proches cherchent désespérément des informations auprès des autorités, qui font mine de ne rien savoir, s’en désintéressent ou procèdent mollement à l’ouverture d’une enquête, qui n’aboutira pas. Un homme, une femme, a disparu. Et si un jour cette personne est retrouvée, c’est peut-être au moyen d’une rançon, ou bien après une détention interminable, ou bien on ne retrouve qu’un corps, parfois mutilé, dans un charnier ou en bordure de route.

Ce scénario, les habitants de la Tchétchénie, du Népal, de la Colombie ou de l’Irak en font quotidiennement l’expérience. Pour la première fois, un instrument de droit international, la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée à l’ONU le 20 décembre 2006, fournit aux victimes de ces crimes et à leurs défenseurs une panoplie importante pour lutter contre l’oubli, obtenir justice et exiger des réparations.

La France a été en pointe, depuis la fin des années 1970 et l’époque des dictatures sud-américaines, pour mobiliser la communauté internationale sur cette question, et a été rejointe par l’Argentine pour parrainer ce texte à l’ONU. C’est à Paris que s’ouvre, mardi 6 février, la cérémonie d’ouverture des signatures de la convention, en présence du haut-commissaire pour les droits de l’homme des Nations unies, Louise Arbour. Jacques Chirac devait saluer à cette occasion une "avancée importante du droit international" et la "volonté des Etats d’en finir avec une pratique odieuse, fondée sur la terreur, le mensonge et l’oubli".

Mais, pour entrer en vigueur, le traité doit être ratifié par vingt Etats. Il faut souhaiter qu’il le soit le plus rapidement possible. Le texte a été adopté à l’unanimité par l’assemblée générale de l’ONU, mais de nombreux pays étaient réticents. S’ils ont finalement dit oui, c’était avec l’espoir, sans doute, de limiter ultérieurement les retombées du texte. Parmi ceux-ci figurent la Russie, l’Algérie, la Colombie, Etats où les forces de l’ordre sont accusées d’être impliquées dans de nombreux crimes et disparitions forcées.

La convention pose indirectement la question des "prisons secrètes" américaines de la CIA, une pratique employée par l’administration Bush dans sa lutte antiterroriste. Certaines prisons auraient été situées en Europe, ce qui met en cause la responsabilité des gouvernements concernés. Les grands pays démocratiques seraient donc bien inspirés de donner l’exemple, avant de faire la leçon au reste de la planète.

Nuit des disparus (Paris, octobre 2006).

Un traité international sur les disparitions forcées

par Natalie Nougayrède, Le Monde, 7 février 2007

Parce que la France s’est fortement mobilisée, au côté de l’Argentine, pour que la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 20 décembre 2006, voie le jour, c’est à Paris que s’ouvre, mardi 6 février, la cérémonie d’ouverture de signatures du texte.

Il s’agit du premier traité à interdire, en toutes circonstances, la pratique des disparitions forcées, c’est-à-dire l’enlèvement de personnes et leur détention dans des lieux secrets - souvent accompagnée de tortures - et cela quels que soient les auteurs de ces forfaits, qu’ils soient les agents d’un Etat (police, armée) ou tout groupe non étatique, telles milices ou guérillas.

Les premiers efforts diplomatiques français en la matière remontent à la fin des années 1970, en réaction aux disparitions forcées perpétrées sous la dictature militaire en Argentine. Une vingtaine de pays, représentés par leur ambassadeur ou leur ministre des affaires étrangères, devaient signer, mardi à Paris, ce texte qui, pour entrer en vigueur, doit être ratifié par vingt Etats.

La cérémonie doit se dérouler au Quai d’Orsay en présence notamment de la sénatrice Cristina Kirchner, épouse et représentante du président argentin, du Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, Louise Arbour, du président du Comité international de la Croix-Rouge, Jakob Kellenberger, et de la représentante des "Mères de la place de Mai" en Argentine, Marta Vasquez Ocampo.

Pour les militants des droits de l’homme, cette convention marque un tournant. Elle qualifie de crime contre l’humanité "la pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée". Elle instaure un régime important de prévention et de protection, reconnaissant notamment aux proches des victimes de disparitions forcées et à leurs défenseurs un droit à l’information, à la vérité, et à des réparations. Ces éléments reprennent certaines dispositions figurant dans les statuts de la Cour pénale internationale (CPI) siégeant à La Haye.

La nouvelle convention contraint les Etats parties à prendre les mesures nécessaires pour faire traduire en justice un responsable présumé de disparition forcée s’il se trouve sur leur territoire, ou bien de l’extrader, ou de le remettre à une juridiction internationale.

Le texte qualifie par ailleurs la disparition forcée de crime continu, c’est-à-dire que la prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le crime a été élucidé. Ce qui peut permettre aux familles de victimes de bénéficier de longs délais pour se porter devant la justice.

Enfin, la convention, fait observer Antoine Bernard, directeur de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), "consacre la responsabilité du supérieur hiérarchique", autrement dit, elle empêche que le donneur d’ordre soit soustrait à la justice sous prétexte que ce n’est pas lui qui a commis directement le crime.

La convention prévoit, en outre, la création, pour une période de quatre ans, d’un Comité des disparitions forcées, composé de dix experts indépendants. Celui-ci pourrait, en cas de violations massives et systématiques, porter une situation à l’attention du secrétaire général des Nations unies, lancer des appels urgents, ou effectuer des visites sur place.

La nouvelle convention, dont les militants des droits de l’homme espèrent qu’elle entrera rapidement en vigueur, a été négociée dans un contexte chargé, marqué par le scandale, apparu fin 2005, des "prisons secrètes" de la CIA dans le cadre de la lutte antiterroriste.

Loin de s’être raréfié depuis l’époque des dictatures militaires en Amérique latine, le crime de la disparition forcée "connaît un tragique regain d’actualité", souligne la FIDH. Les régions et pays comptant actuellement le plus de disparitions forcées au regard de la population locale sont le Népal, la Tchétchénie et la Colombie.


La Convention :

  • définit le crime de disparition forcée ;
  • fait reconnaître de nouveaux droits, en particulier le droit des victimes à connaître la vérité sur les circonstances des disparitions forcées, ainsi que leur droit à la protection et à la réparation ;
  • oblige les Etats à prendre des mesures préventives en renforçant les garanties autour de la détention ;
  • stipule que les adoptions issues de disparitions forcées peuvent être annulées. Elle met en place un mécanisme de suivi doté de pouvoirs d’enquête ;
  • crée un organe de suivi général : le Comité des disparitions forcées.
    Composé de 10 membres, pour une durée de 4 ans, il remplira, outre les fonctions classiques d’un organe de traité (examen des rapports des Etats), une fonction préventive en lançant des appels et en effectuant des visites sur place.
Natalie Nougayrède

Notes

[1Membres de la Coalition internationale :
ASOFAMD and FEDEFAM, Bolivie Madres de Plaza de Mayo, Argentine FEDEFAM, Argentine Kontras, Indonesie Asian Federation Against Disappearances, International Commission of Jurists (ICJ), HOM/Linking Solidarity, FEDEFAM, Geneva International, Federation for Human Rights (FIDH), Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (LDH).

[2Les Etats signataires : France, Albanie, Algérie, Argentine, Autriche, Brésil, Burkina Faso, Burundi, Congo, Croatie, Ghana, Guatemala, Haïti, Japon, Lituanie, Maldives, Moldavie, Maroc, Ouganda, Sénégal, Serbie, Sierra Leone, Macédoine, Tchad, Tunisie, Vamatu, Belgique, Bolivie, Bosnie Herzégovine, Cameroun, Cap Vert, Chili, Comores, Costa Rica, Cuba, Chypre, Finlande, Grenada, Honduras, Inde, Kenya, Liban, Luxembourg, Madagascar, Malte, Mexique, Monaco, Mongolie, Monténégro, Niger, Paraguay, Portugal, Somova, Suède, Uruguay, Mali, Azerbaïdjan.


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