l’expérience de Milgram


article de la rubrique démocratie > désobéir
date de publication : jeudi 23 mai 2013
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Cette célèbre expérience a fait couler beaucoup d’encre ! L’un des premiers comptes rendus a été l’article « Some conditions of obedience and disobedience to authority » de Stanley Milgram (1933-1984), publié en 1965 dans la revue Human Relations. Aujourd’hui, sa traduction française paraît, accompagnée d’une préface de Michel Terestchenko et d’une postface de Mariane Pazzi [1].


Voir en ligne : “la soumission à l’autorité” de Stanley Milgram


Expérience sur l’obéissance et la désobéissance à l’autorité, Stanley Milgram
Préface de Michel Terestchenko. Postface de Mariane Fazzi.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Richard
éd. ZONES – 96 pages – 11.50 €.



Le savant, en blouse blanche, vous ordonne de tourner encore la molette, d’appuyer à nouveau sur le bouton. Face à vous, à travers la vitre, vous pouvez voir l’homme assis se tordre de douleur et crier à chaque nouvelle décharge électrique. De plus en plus fort. On vous a dit que c’était une expérience scientifique. Que le cobaye était consentant. Ça a l’air sérieux. Vous êtes payé. « Augmentez le voltage, vous devez continuer », répète encore la voix derrière vous.

Allez-vous continuer ? Quand vous arrêterez-vous ? Irez-vous jusqu’à la décharge mortelle ?

Mais le cobaye n’est pas celui qu’on croit. L’homme là-bas était un acteur. Il n’y avait pas de courant dans les électrodes. Ce n’était qu’un simulacre. C’était vous et non lui qui faisiez l’objet de l’expérience.

Ce dispositif était celui que Stanley Milgram, professeur de psychologie à Yale, aux États-Unis, avait imaginé, en juillet 1961, trois mois après le retentissant procès du criminel nazi Adolf Eichmann, pour conduire une série d’expériences sur les « conditions de l’obéissance et de la désobéissance à l’autorité ».

Pourquoi obéit-on ? Pourquoi se soumet-on à l’autorité ? Et surtout : comment et pourquoi décide-t-on de désobéir ? Milgram entendait percer les secrets des mécanismes du pouvoir et de l’atrocité grâce aux instruments et aux méthodes de la psychologie expérimentale.

UNE LEÇON AUTANT POLITIQUE QU’ANTHROPOLOGIQUE

[...] Ce que l’expérience de Milgram nous révèle, c’est d’abord notre faiblesse et notre vulnérabilité, des traits tout autant individuels que distinctifs de la nature humaine. Prendre au sérieux cette leçon devrait nous conduire à une très profonde révision anthropologique et, partant, pédagogique. Il
ne suffit plus de définir l’homme comme un sujet rationnel autonome appelé à agir librement – selon la vision hégémonique au coeur de nos conceptions morales – dès lors que les meilleures résolutions se révèlent impuissantes à opposer un rempart aux contraintes sociales liées au poids de l’idéologie, du conformisme et de l’autorité. Le meilleur moyen de nous prémunir contre les conséquences potentiellement destructrices de l’obéissance est d’avoir pleinement conscience de l’extraordinaire puissance qu’elle exerce sur nous, afin, le cas échéant, d’être en mesure d’y résister.

Aussi la principale leçon de l’expérience sur l’obéissance est-elle, avant tout, politique. Si la vigilance que nous devons exercer doit être dirigée envers nous-mêmes – tel est, en effet, le cas –, elle doit surtout être orientée en direction des institutions sociales auxquelles, en bien des manières et en bien des lieux (à l’armée, dans la police, à l’école, ou encore dans les entreprises et les administrations publiques), nous sommes quotidiennement appelés à obéir. Nous devons veiller à pouvoir exercer un contrôle, non seulement sur nous-mêmes, mais également sur ces structures hiérarchiques qui, par nature, s’organisent en exigeant la docilité et la soumission de leurs membres. Et pourtant... Quelle institution réclamerait de ses employés qu’ils érigent leur conscience en une instance critique, à tout instant susceptible de discuter, de contester, voire de refuser ce qu’elle exige d’eux ? Un tel droit de critique, de contrôle, voire de désobéissance est au coeur de l’idée démocratique d’une société juste et décente. Nous rappeler à cette obligation générale de vigilance est l’enseignement le moins contestable et le plus durable que nous pouvons, aujourd’hui encore, tirer de l’expérience de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité.

Michel Terestchenko


Une autre vidéo :


Notes

[1Michel Terestchenko, maître de conférences de philosophie à l’université de Reims, est notamment l’auteur de Un si fragile vernis d’humanité. Banalité du mal, banalité du bien (Découverte/Poches, 2007). Mariane Pazzi, diplômée de Sciences Po Aix, est l’auteure d’un mémoire intitulé « La soumission à l’autorité, de Stanley Milgram à nos jours », dirigé en 2010-2011 par Michel Terestchenko.


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