“l’affaire” de Signes (Var)


article de la rubrique droits sociaux > programme du CNR
date de publication : dimanche 9 janvier 2011
version imprimable : imprimer


Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) est-il aujourd’hui à ce point révolutionnaire que de chastes oreilles officielles ne puissent supporter que l’on s’y réfère ? Claude Roddier, présidente de la section du Var de l’Association des Anciens Combattants de la Résistance (ANACR) et les Amis de la Résistance, a eu le grand tort de célébrer, à Signes, les vertus de ce programme du CNR en les opposant à ce que nous vivons aujourd’hui. En est-on arrivé au point qu’un projet de société généreux, ayant guidé l’action de nombreux hommes et femmes pendant des années soit devenu à ce point inaudible, qu’il agace certaines oreilles ? À croire que parler de générosité dans notre société est devenu inconvenant.

Pourquoi s’étonner quand Denis Kessler, membre influent du patronat, et un des inspirateurs de la politique sarkozienne, déclare triomphant : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde » ? Il pense avoir trouvé en la personne de notre président celui qu’il attendait de ses voeux puisqu’il poursuit : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du CNR ! »

On ne peut être plus clair ! On comprend pourquoi le représentant du préfet et certains élus ne peuvent écouter Claude Roddier dans une cérémonie consacrée aux idéaux défendus par les martyrs de la Résistance. Rappelons à ces autorités du moment les propos du sénateur Bernie Sanders devant le Sénat américain : « Il y a une guerre dans ce pays [...]. Je parle d’une certaine guerre menée par certains des gens les plus riches et puissants de ce pays contre les familles de travailleurs ».

Mais une même question se pose à nous tous : ce qu’on nous propose aujourd’hui vaut-il le prix des sacrifices demandés ? Ne devrions-nous pas plutôt construire un monde dans lequel il ferait bon vivre ensemble, comme nos aînés le voulaient avec le programme du CNR ? Comment en effet se satisfaire d’une société d’exclusions, construite sur l’égoïsme et l’argent, conduite par la peur de l’autre, d’un monde de rejet parce que l’un est étranger et qu’on l’expulse, parce que l’autre est jeune et qu’il habite en banlieue et qu’en conséquence il est un délinquant potentiel ?

Oui, il est temps de reprendre les valeurs de la Résistance, vantées par Claude Roddier et que nous ont transmises nos aînés, et de remercier Stéphane Hessel, homme de bon sens et de vertu, de nous avoir rappelé ce que nous n’aurions jamais dû oublier : « Indignons nous ! » [1]


L’ANACR rend chaque année hommage aux dix maquisards assassinés par les nazis à la ferme de La Limatte, près de Signes dans le Var, le 2 janvier 1944. La cérémonie se déroule selon un protocole quasi-immuable : rassemblement et dépôts de gerbes au pied de la stèle où sont gravés les noms des martyrs et celui du berger venu les prévenir de l’arrivée des Allemands ; défilé dans les rues du village ; nouveaux dépôts de gerbes au monument aux morts ; recueillement dans le cimetière devant la tombe des Résistants ; enfin, discours et vin d’honneur dans une salle municipale. Cette manifestation annuelle, qui revêt un caractère sacré pour les Résistants, leurs familles et les amis de la Résistance du Var, attire toujours de nombreux élus auquel se joint le représentant du préfet.

Rien ne laissait présager que la dernière commémoration, le 2 janvier donc, donnerait lieu à un vif incident. Qui l’a provoqué ? Est-ce le discours iconoclaste de la présidente départementale de l’ANACR, Claude Roddier, résolue à dénoncer l’hypocrisie de ceux qui laissent « se dissoudre la France » ou bien, très en amont, ceux-là même qu’elle a dénoncés parce qu’ils ont déclaré une guerre totale au programme du Conseil national de la Résistance ? La présidente, rappelant que les martyrs de la La Limatte avaient aussi combattu pour l’instauration d’un monde plus heureux, expliqua que les Résistants et leurs amis ne pouvaient plus longtemps accepter ces atteintes réitérées aux acquis du CNR, en particulier les mesures contre les retraites et le démantèlement en cours de la Sécurité sociale. Présents à la tribune aux côtés de Claude Roddier, le représentant du préfet et la députée de la circonscription, Mme Josette Pons, donnèrent très vite les signes les plus évidents d’une grande nervosité. La présidente continuant d’appeler un chat un chat, tous deux se levèrent bientôt pour quitter la tribune et la salle, marquant leur désapprobation. Situation inouïe que le maire de Signes, Jean Michel, écartelé entre ses devoirs protocolaires et ses propres engagements de fils de Résistant, eut bien du mal à arbitrer.

Question : le consensus républicain, s’est-il brisé le 2 janvier à Signes ? Réponse : non. Jusqu’à ces deux dernières années, les élus, tous les élus, pouvaient en toute légitimité s’incliner sur la tombe des martyrs sans se déjuger car les gouvernements successifs de la IV° et de la V° République, quels que fussent leurs choix idéologiques, respectaient globalement les options de CNR auxquelles les Français doivent aujourd’hui les lois sociales les plus protectrices et les plus émancipatrices. Mais les temps ont brutalement changé. Depuis 2009, la majorité législative et l’exécutif multiplient les attaques contre les droits sociaux et démocratiques hérités de la Résistance. C’est à partir de là, donc (et non pas à Signes !) que l’unité du pays autour de ses valeurs, a commencé de se déliter. Faut-il se taire plus longtemps, interroge en substance Claude Roddier. N’est-il pas temps, avec Stéphane Hessel qu’elle cita, de se rebeller et de placer les élus qui cautionnent pareille politique devant leurs responsabilités ? Elle a répondu par l’affirmative.

Bernard Oustrières


Le discours, source de discorde

Ces Résistants de 44 nous regardent, se demandant jusqu’où nous allons accepter l’inacceptable [2]

M. le préfet, maires, conseillers généraux, régionaux,
Mesdames et Messieurs les présidents d’associations,
Chers camarades et chers amis de la Résistance ;

Merci de votre présence fidèle, année après année pour commémorer le souvenir des 10 maquisards et du courageux berger Ambroise Honnorat abattus à la Limatte le dimanche 2 janvier 1944 au matin.
Il y a maintenant 67 ans. C’est l’âge qu’avait le pauvre berger Honnorat. Tous les autres étaient très jeunes bien que vétérans de la Résistance armée, fondateurs pour la plupart du camp FAITA en février 1943. Leur groupe était le camp MARAT. Nous voulons rappeler leur noms :

Alphonso, officier aviateur de l’armée italienne
Paul Battaglia, 23 ans, ouvrier tailleur à Sainte Maxime
Joseph Gianna
Amédée Huon, 22 ans, pompier dans la région parisienne
Yvan Joanni, maitre skieur savoyard
Georges Lafont, 21 ans, matelot, originaire deGironde
Jean Perrucca, 24 ans, originaire de Savoie
Pierre Valcelli, 22 ans,ouvrier céramiste à Salernes
Serge Venturrucci, 22 ans, ouvrier boulanger au Luc
ainsi qu’Ambroise Honnorat, 67 ans, berger à Limattes.

A l’appel de leurs noms nous joignons toujours ceux de Lucien Henon, leur camarade, et de Sansonetti et Basset, disparus tous trois dans l’abjection des camps de la mort parce qu’ils avaient commis le crime de donner une sépulture décente aux maquisards massacrés avec férocité.

Au souvenir des 14 de la Limatte associons celui des 8 jeunes gens de Siou Blanc arrêtés sans armes, fusillés le 17 juin à la Rouvière, deux autres à Méounes le 20 juin, le souvenir des 29 patriotes assassinés au premier charnier le 18 juillet et enfin - nous disons enfin parce que le chiffre total est énorme, des 9 du deuxième charnier, le 12 août, après d’horribles tortures.
Une élite française et internationale depuis les Italiens tombés à Limatte le 2 janvier, jusqu’à l’Américain Muthular d’Errecalde, le 12 août.
Et souvenons nous de la population de Signes qui a fait preuve de courage et de dignité. Les enquêteurs n’ont jamais pu obtenir d’elle aucun renseignement. Nous la remercions au nom des suppliciés de Signes.
Ceci se passait voici plus d’un demi siècle.

Une question se pose toujours devant l’injuste sort réservé à ces jeunes martyrs. Pourquoi avaient-ils pris ce risque ? Quelles étaient leurs principales raisons ? Nous connaissons la réponse en ce qui les concernait au présent, en 1944. Tous les résistants l’ont dit et répété : leur première motivation a été la défense de la France. La deuxième, surtout pour quelques uns, dont ces jeunes FTP faisaient assurément partie, a été le projet de rendre les hommes heureux. Le programme du CNR s’appelait “les jours heureux”. Ils ont réussi leurs deux paris. La France libérée, libérée par nos alliés mais aussi par elle même, a pu mettre en place le programme pour lequel ces hommes avaient donné leur vie.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Que penseraient-ils de nous s’ils pouvaient connaître notre monde et nos actions ? Diraient-ils toujours “oui, je referais ce chemin” ? ou ne se demanderaient-ils pas s’ils n’ont pas donné leur seule vie pour des hommes et femmes indifférents aux deux causes qui leur tenaient tant à coeur ?

Leur regard ne peut être que sévère.
Nous avons laissé se dissoudre la France dans un magma informe et nous sommes en train de laisser se dilapider toutes les conquêtes sociales acquises à la Libération.

Faisons un état des lieux.
Des boutades en forme de provocations nous ont pourtant avertis.
Warren Buffet, milliardaire américain, 1ère fortune mondiale en 2008, nous a dit : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».
En 2007 c’est Denis Kessler qui nous a fièrement annoncé : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde !
Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance.
[…] Il est grand temps de le réformer ».
Comment imaginaient-ils réussir un pareil projet ? La réponse tient en partie dans cette autre boutade de Patrick Le Lay en 2004 « à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit ».

Comment concilier ce “métier” avec la 4ème des mesures à appliquer dès la libération du territoire
« assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères » ?

Ces Résistants de 44 nous regardent, se demandant jusqu’où nous allons accepter l’inacceptable. Ils peuvent être rassurés. La Résistance en 2011 a déjà bien commencé et elle se développe.
L’ANACR n’a cessé et ne cesse de rappeler les valeurs de la Résistance et l’importance du programme du CNR. Les résistants, malgré leur âge et leur fatigue continuent de témoigner sans relâche dans les lycées et collèges, décrivant la Résistance, ses valeurs, ses combats. Au cours des manifestations de cet automne contre la loi sur les Roms et celle de la réforme des retraites, ses membres à Draguignan comme à Toulon ont distribué des tracts expliquant notre refus de ces lois. Armand Conan, tenant un écriteau sur lequel était écrit “Moi, résistant, 90 ans, 34 ans de retraite=CNR ; Je vous soutiens” a été déclaré grand vainqueur à l’applaudimètre par Var Matin.

Armand Conan (photo Sylvain Gaillard)

Stéphane Hessel vient de publier un petit opuscule, que vous trouverez sur la table, qui s’appelle Indignez vous et dont le succès montre que l’indignation est dans le coeur de beaucoup de Français. Ce petit livre est un discours qu’il a fait en 2008 lors du rassemblement maintenant bien connu des Glières. Nous avons décidé d’organiser un semblable rassemblement dans le Var et le 22 mai un collectif d’associations mené par l’ANACR et la Ligue des Droits de l’Homme organisent un pique-nique républicain à La Seyne. Nous y présenterons le Pacte pour les droits et la citoyenneté de la LDH et des résistants prendront la parole. Vous êtes tous conviés au pique-nique et si vous le désirez à faire partie du collectif.

Moins connu mais tout aussi indigné est le sénateur du Vermont Bernie Sanders. Fin novembre 2010 il a prononcé un long discours devant ses collègues du Sénat américain. Vous pouvez l’écouter et le lire sur le blog de la lettre du lundi.

Le discours commence ainsi :
« Il y a une guerre en cours dans ce pays, je ne fais pas référence à la guerre en Irak ou en Afganistan, je parle d’une guerre menée par certains des gens les plus riches et les plus puissants de ce pays contre les familles des travailleurs, contre la classe moyenne qui rétrécit et disparaît. En 2007 le 1% des gros revenus a fait 23.5% de tous les revenus, plus que les 50% du bas de l’échelle... Il y a une guerre en cours, la classe moyenne lutte pour sa survie, elle s’attaque aux forces les plus riches et les plus puissantes dans le monde dont la cupidité n’a aucune limite et si nous ne commençons pas à nous battre avec elle et à représenter ces familles, il n’y aura plus de classe moyenne dans ce pays ».

Bernie Sanders vient de retrouver la solution que les Résistants avaient appliquée avec la création du CNR. Nous devons tous nous unir contre ce 1%. Dans cette salle où nous ne sommes pas cent, statistiquement il ne devrait pas y avoir de représentant de ce groupe. Nous sommes donc d’accord entre nous. Pourquoi croyons nous que nos positions politiques sont si éloignées les unes des autres que le mot “politique” doive être tabou ? Le CNR n’était-il pas un concentré de politique ? Et l’union de toutes les familles politiques en son sein n’a-t-il pas été plus efficace que leur négation ?

Oui, nous devons arriver à nous unir, ne serait-ce que pour pouvoir nous dire que les 10 maquisards morts le 2 janvier à Signes nous donnent raison.

Je vous remercie.

Claude Roddier


Notes

[1Le texte qui suit est la reprise d’un article paru le 6 janvier 2011 sur Mediapart.

[2Le titre a été ajouté par [LDH-Toulon].


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP