l’abolition de la peine de mort inscrite dans la Constitution française


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date de publication : lundi 19 février 2007
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« Nul ne peut être condamné à mort. » Cette phrase devrait bientôt figurer dans un nouvel article 66-1 de la Constitution. Le 30 janvier 2007, les députés ont adopté à mains levées ce projet de loi constitutionnelle. Le Sénat a voté dans le même sens le 7 février. S’agissant d’une révision de la Constitution, il a été ensuite soumis au vote du Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 19 février 2007. Le projet de loi a été entériné sans peine – par 828 voix contre 26 – seuls 20 députés et trois sénateurs UMP ainsi que trois autres élus ayant voté contre [1].

[Première mise en ligne, le 30 janvier 2007,
mise à jour, le 19 février 2007]

Communiqué de la LDH

Paris, le 19 février 2007

L’abolition inscrite dans la Constitution, c’est un verrou de plus pour dissuader une future assemblée nationale de rétablir la peine de mort.

30 ans après les dernières exécutions capitales en France, celle de Jérôme Carrein à la prison de Douai le 23 juin 1977 puis celle d’Hamida Djandoubi à la prison des Baumettes à Marseille le 10 septembre 1977 (Christian Ranucci a été exécuté le 28 juillet 1976 à la prison des Baumettes), 26 ans après l’abolition officielle (9 octobre 1981), 21 ans après la ratification par la France du VIème protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme prohibant la peine capitale en temps de paix, l’Assemblée nationale réunie en Congrès vient de voter à une écrasante majorité l’inscription de l’abolition de la peine de mort dans la Constitution française.

La Ligue des droits de l’Homme, pour laquelle le combat abolitionniste est l’une de ses luttes historiques, salue bien évidemment cette initiative de Jacques Chirac qui a voté l’abolition en 1981 et est intervenu « à titre humanitaire » auprès du gouvernement des Etats-Unis pour Mumia Abu-Jamal en 1995. Elle rappelle cependant que cette demande d’inscription est une exigence du Conseil constitutionnel afin de permettre au gouvernement français de ratifier le protocole n°13 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances. Conformément aux engagements qu’il a pris, le gouvernement français doit donc maintenant soumettre sans autre délai la ratification du protocole n°13 de la CEDH au Parlement.

La peine de mort est abolie depuis vingt-cinq ans en France. En 1986, la France a ratifié le protocole numéro 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui bannit la peine de mort en temps de paix. Mais il s’agit d’aller plus loin. Les nouveaux protocoles internationaux excluent la peine de mort en toutes circonstances ­ y compris en temps de guerre ­ et définitivement. C’est ce que prévoit le protocole numéro 13 de la convention européenne des droits de l’homme, signé par 37 Etats européens, et aussi le deuxième protocole de l’ONU. Interrogé sur la question, le Conseil constitutionnel avait répondu en 2005 que la France ne pouvait signer ces pactes sans passer par une révision constitutionnelle, car il s’agit d’un abandon de souveraineté important.

Deux sénateurs pour la peine de mort

Le Sénat a, le 7 février 2007, adopté le projet de loi constitutionnel relatif à l’interdiction de la peine de mort par 324 voix, contre 2 (Charles Pasqua et Maurice Blin, sénateur – depuis 1971 – UDF des Ardennes ...) et 4 abstentions (Nicolas About, Jean Arthuis, Muguette Dini, Anne-Marie Payet, tous UDF).

Christiane Hummel, sénateur-maire de La Valette, a voté l’abolition de la peine de mort, après avoir

« confié lors d’une récente réunion de l’UMP son embarras sur le sujet, et expliqué qu’elle ne savait pas encore si elle voterait le texte de loi. D’un côté, elle est favorable au maintien de la peine capitale pour certains crimes ; de l’autre, elle hésite sur le fait que soit “ délégué au seul chef de l’État la responsabilité ” et la “ conscience ” de décider de son application. » [2]

Dix-huit députés pour la peine de mort

[20Minutes.fr | 30.01.07 | 13h39]

Seize députés UMP ont signé les deux propositions d’amendement présentées par leurs collègues Lionnel Luca et Richard Dell’Agnola visant à maintenir la peine de mort « lorsque l’existence même de la Nation est menacée » et en temps de guerre, a annoncé mardi Lionnel Luca dans un communiqué.

Olivier Dassault, Guy Teissier (président de la commission de la Défense), Jérôme Rivière, Jacques Myard, François Guillaume, Richard Mallié, Jean-Michel Ferrand, Charles Cova, Eric Raoult, Roland Chassain, Christian Vanneste, Georges Ginesta [3], Daniel Mach, Jean Auclair, Bruno Gilles et Bernard Carayon ont signé les deux amendements des députés Luca et Dell’Agnola.

Le premier stipule que « nul ne peut être condamné à la peine de mort, sauf lorsque l’existence même de la Nation est menacée. » Le deuxième prévoit que « nul ne peut être condamné à la peine de mort, à l’exception des auteurs de crimes de caractère militaire, d’une gravité extrême et commis en temps de guerre. »

La seconde mort de la peine de mort

par Bertrand Le Gendre, Le Monde, daté du 31 janvier 2007

La seconde mort de la peine de mort est programmée dans un avenir proche lorsque le Parlement réuni en congrès à Versailles inscrira son abolition dans le marbre de la Constitution, un geste à haute valeur symbolique voulu par Jacques Chirac au crépuscule de sa vie politique. La patrie de Voltaire, Hugo et Camus, qui a tardé à abolir la peine capitale, se veut dorénavant aux avant-postes de cette grande cause, dont les partisans ne cessent de gagner du terrain partout dans le monde.

La France, qui accueille à Paris du 1er au 3 février le congrès mondial contre la peine de mort, est un excellent terrain d’observation de cette évolution historique. En 1981, lorsqu’elle a aboli la peine capitale, elle était la seule démocratie d’Europe occidentale à l’appliquer encore. Aujourd’hui, dans l’Europe entière, seule la Biélorussie fait de la résistance. Il y a un quart de siècle, la France était le 36e pays à y renoncer, alors que, aujourd’hui, quelque 130 Etats sont abolitionnistes de jure ou de facto.

Jacques Chirac, qui veut laisser de lui l’image d’un abolitionniste convaincu, a longtemps barguigné. Candidat à la présidentielle en 1981, il ne s’était prononcé qu’à la dernière minute contre la peine capitale. En février 1981 encore, il était d’avis de laisser les Français décider, en les interrogeant par référendum, ce qui supposait, sur une telle question, de réviser la Constitution. Autant dire que, en donnant ainsi la parole au peuple, la guillotine aurait encore eu de beaux jours devant elle. Car dans leur grande majorité les Français étaient opposés à sa disparition.

Par une ironie de l’histoire, c’est un repenti qui présentera dans quelques jours, au nom du gouvernement, le projet de loi voulu par Jacques Chirac : Pascal Clément, le garde des sceaux, qui fut longtemps réfractaire à l’abolition. En juin 1981, modeste député UDF de la Loire, il avait défendu à l’Assemblée nationale la question préalable, dont l’adoption aurait coupé court au débat voulu par le nouveau président de la République, François Mitterrand. "La société, affirmait alors M. Clément, a le droit de donner la mort pour se défendre." Sinon, plaidait-il, il faut être logique : "Soyons pacifistes et refusons d’armer les bras de nos soldats." A quoi Robert Badinter, le ministre de la justice, répliqua qu’il en allait, à cette heure solennelle, "d’une certaine conception de l’homme et de la société".

C’est cette conception de l’homme que Jacques Chirac a avalisée en décidant d’inscrire dans la Constitution le principe selon lequel "nul ne peut être condamné à la peine de mort". Comme le président de la République, comme le garde des sceaux, la société française a beaucoup évolué en vingt-cinq ans. Majoritairement favorable à la peine capitale lorsque celle-ci a été abolie - dans une proportion de 60 % -, elle se dit opposée aujourd’hui à son rétablissement, à 52 % selon un sondage TNS-Sofres de septembre 2006.

Seuls de tous les candidats à l’élection présidentielle, Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers parlent encore de la réhabiliter. Et il ne s’est trouvé que 47 députés de la majorité pour signer, en avril 2004, une proposition de loi rétablissant le châtiment suprême contre les auteurs d’attentats terroristes, parmi lesquels Alain Marleix, le secrétaire national de l’UMP chargé des investitures pour les législatives.

Certains abolitionnistes ne le sont qu’à demi. Abolitionnistes bien sûr, sauf pour : les terroristes, les violeurs d’enfants, les meurtriers de vieilles dames ou de gendarmes, selon les peurs du moment. Pour les abolitionnistes de principe, au contraire, c’est face aux terroristes, face à la violence aveugle qu’une démocratie affirme le mieux ses valeurs en refusant la loi du talion.

UNE VICTOIRE DU "SENS COMMUN"

En dépit des Le Pen, Villiers ou Marleix, la peine de mort est désormais perçue par les Français comme contraire aux principes républicains.

A quoi attribuer leur adhésion à cette éthique de la justice ? Le sociologue Raymond Boudon (Renouveler la démocratie, Odile Jacob, 2006) y voit une victoire de ce qu’il appelle, en se référant à Max Weber, le "sens commun". De même que la démocratie s’est imposée en France comme le mode de gouvernement le plus rationnel, la sagesse des citoyens les aurait instruits contre la peine de mort, qui ne leur semble aujourd’hui ni dissuasive ni morale.

Dans Contre la peine de mort (Fayard, 2006), Robert Badinter se dit lui aussi convaincu que la peine capitale "est vouée à disparaître de ce monde". Sous l’influence de juristes dont il est et conformément aux principes des Nations unies, ni la Cour pénale internationale ni les juridictions créées après les génocides en ex-Yougoslavie, au Rwanda et au Cambodge ne peuvent envoyer un homme à la potence. On mesure le chemin parcouru depuis le procès de Nuremberg.

Au nom de cette morale internationale, les Nations unies et le Conseil de l’Europe invitent aujourd’hui leurs pays membres à s’interdire de rétablir la peine capitale. Tel est l’objectif du "protocole facultatif [...] visant à abolir la peine de mort" (ONU). Et du protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme "relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances" (Conseil de l’Europe). Deux textes ayant valeur de traités que la France prévoit de ratifier lorsqu’elle aura révisé sa Constitution en février.

Nombre d’abolitionnistes se disent également persuadés que l’abolition universelle n’a des chances de progresser que si celle-ci l’emporte aux Etats-Unis. Après la Chine, l’Amérique est le pays qui procède au plus grand nombre d’exécutions dans le monde. Elle est aussi la seule grande nation industrialisée, avec le Japon, à les autoriser encore. Les abolitionnistes observent de ce fait avec attention le flux et le reflux de la peine de mort outre-Atlantique, persuadés que, si ceux-ci y renonçaient, l’effet de contagion serait décisif.

Deux tiers des Américains restent, malgré tout, partisans du châtiment suprême, selon un sondage Gallup d’octobre 2006. Mais le nombre d’exécutions recule dans ce pays : 53 l’année dernière, le chiffre le plus bas depuis dix ans. Et les Américains sont de plus en plus sensibles aux risques d’erreurs judiciaires révélées par la généralisation des tests ADN.

La route est peut-être encore longue. Mais, en révisant sa Constitution et en accueillant à Paris le congrès mondial contre la peine de mort, la France n’est sans doute pas fâchée de faire la leçon à celui que Robert Badinter appelle "Bush, le boucher".

Bertrand Le Gendre

Notes

[1Ont voté contre :

20 députés UMP : MM. Bernard Carayon, Charles Cova, Olivier Dassault, Richard Dell’Agnola, Mme Arlette Franco, MM. Franck Gilard, Louis Giscard d’Estaing, François-Michel Gonnot, Lucien Guichon, Gérard Hamel, Pierre Lang, Lionnel Luca, Daniel Mach, Richard Mallié, Pierre Micaux, Jacques Myard, Marc Reymann, Jérôme Rivière, Alfred Trassy-Paillogues et Christian Vanneste.
1 député non inscrit Mme Véronique Besse.

3 sénateurs UMP : MM. Joël Billard, Charles Pasqua et Jacques Peyrat.
1 sénateur UDF M. Maurice Blin.
1 sénateur non inscrit : M. Philippe Adnot.

[2Var-Matin du 5 février 2007.

[3En avril 2004, le député varois Georges Ginesta avait déjà cosigné une proposition de loi visant au rétablissement de la peine de mort.


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