justice internationale : la France ne doit pas devenir une terre d’impunité


article communiqué de la LDH  de la rubrique international > justice internationale
date de publication : lundi 31 mai 2010
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La France a signé et ratifié le Statut de Rome de 1998 de la Cour pénale internationale, mais elle ne dispose toujours pas d’une loi d’adaptation du droit français à la CPI. Si le projet de loi voté par le Sénat en juin 2008 était adopté par l’Assemblée nationale, il ferait de la France « un véritable havre de paix pour les auteurs des crimes les plus graves ». Quatre « verrous » extrêmement restrictifs rendraient quasiment impossible la répression en France de crimes internationaux : le suspect devrait en effet avoir sa « résidence habituelle » en France, son crime devrait être puni à la fois par la loi française et par celle du pays où il a été commis, les victimes ne pourraient se porter partie civile et les poursuites ne pourraient avoir lieu en France que si la CPI avait décliné sa compétence.

La FIDH et la LDH ont exprimé le 19 mai dernier « leurs vives préoccupations concernant ces dispositions qui limitent l’application de la compétence extra-territoriale en France » [1], préoccupations partagées par le Comité des Nations unies contre la torture [2].

Ci-dessous une tribune de Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH, et de Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH, suivi d’un appel de la FIDH et la LDH demandant aux Etats présents au XXVe Sommet France-Afrique à Nice de répondre au droit des victimes à la justice en s’engageant à lutter contre l’impunité des crimes les plus graves – notamment en soutenant le principe de la compétence universelle.


La France escamote la justice universelle

[Tribune publiée dans Le Monde daté du 25 mai 2010]


La justice internationale est une aspiration universelle. Trop longtemps, les responsables des crimes les plus massifs et les plus abominables ont joui de l’impunité, les tribunaux de leur pays ne pouvant ou ne voulant les juger. Ce constat de l’inacceptable a conduit à la création de juridictions internationales ad hoc et enfin, en 1998, de la Cour pénale internationale (CPI).

Cette Cour est entrée en fonctions le 1er juillet 2002. La France a ratifié son statut. Elle a compétence pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide. Mais son champ d’action demeure limité dans la mesure où elle ne peut évidemment juger tous les crimes concernés. C’est pourquoi le préambule du statut de la CPI rappelle qu’"il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux". C’est le principe dit "de compétence extraterritoriale".

La mise en oeuvre d’une telle obligation implique pour les Etats parties à la CPI l’adoption d’une loi d’adaptation à son statut. La nécessité en est d’autant plus forte pour la France que sa législation actuelle comporte de nombreuses carences. Ainsi, par exemple, le code pénal français ne contient pas de définition du crime de guerre. De même, hormis les lois spécifiques concernant le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, il n’existe aucune disposition de droit interne, exception faite de la torture, permettant de poursuivre des ressortissants étrangers de passage sur le territoire suspectés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crimes de génocide.

Or la France n’a manifesté aucun empressement à remplir ses obligations. C’est seulement en juin 2008 qu’un projet de loi a été soumis et voté au Sénat. Deux ans plus tard, le texte n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. C’est peu dire que la justice internationale n’est pas une priorité. Mais, pire encore, le texte adopté par le Sénat et dont le contenu vient d’être entériné lors d’une réunion de la commission des lois de l’Assemblée nationale, comporte des dispositions totalement inacceptables qui conduisent à vider de toute substance le mécanisme de compétence extraterritoriale.

La première, qui à elle seule suffit à verrouiller le système, impose que les auteurs présumés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crimes de génocide possèdent une "résidence habituelle" en France pour pouvoir y être poursuivis. C’est donc une exigence beaucoup plus contraignante que celle qui existe pour le crime de torture, pour lequel la Cour de cassation a jugé qu’il suffit que le suspect "se trouve" sur le territoire. Surtout, il va de soi qu’aucun bourreau ne sera suffisamment stupide pour établir une résidence habituelle en France, et se satisfera volontiers d’y passer d’agréables séjours dans les meilleurs hôtels du pays. Autant dire que la condition ainsi posée revient pratiquement à interdire toute possibilité d’action.

La seconde restriction est celle prévoyant que seul le parquet pourra être à l’initiative des procédures, à l’exclusion des victimes qui se voient privées de la faculté de déposer plainte avec constitution de partie civile. Ainsi les victimes de crimes de masse d’une gravité exceptionnelle auront moins de droits que les victimes de délits mineurs de droit commun. La motivation est à l’évidence exclusivement politique, s’agissant de conférer l’initiative des poursuites à un parquet soumis au pouvoir, et dont l’expérience démontre, sauf rares exceptions, l’extrême frilosité dans toutes les affaires susceptibles de toucher aux relations entre Etats.

Deux autres dispositions du projet de loi d’adaptation sont aussi inacceptables. L’une est relative à la double incrimination qui subordonne les poursuites en France à la condition que les faits soient punissables à la fois par le droit français et par la législation de l’Etat où ils ont été commis. Ainsi, au cas où le crime de génocide n’est pas visé par cette législation, le présumé génocidaire ne pourra être poursuivi. Une dernière disposition consiste à prévoir que les juridictions françaises ne pourront être saisies qu’après que la CPI a expressément décliné sa compétence. C’est là une inversion du principe de complémentarité, qui dénature le statut de la CPI, lequel confère aux juridictions des Etats parties la priorité et la responsabilité de poursuivre les auteurs de crimes internationaux.

Si une telle loi devait être définitivement adoptée par le Parlement, tous les bourreaux de la planète pourraient continuer à séjourner sans encombre sur le territoire français. Dans ces conditions, la création, au Tribunal de grande instance de Paris, d’un pôle des juges d’instruction spécialisés en matière de génocides et crimes contre l’humanité serait d’une particulière hypocrisie.

Que vaut alors cet engagement pris par Michèle Alliot-Marie et Bernard Kouchner, qui ont, lors de l’annonce de la création de ce pôle, souligné que "les victimes de la barbarie humaine ont le droit de voir leurs bourreaux poursuivis et condamnés", ajoutant que "les personnes suspectes de génocides, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité doivent être jugées. Elles le seront. La France s’inscrit résolument dans la lutte contre l’impunité" ? En réalité, avec les dispositions du projet de loi, la France, loin de combattre les bourreaux, s’en fait la complice.

La justice universelle et non sélective à laquelle aspire l’humanité nécessite que les auteurs des crimes internationaux les plus graves répondent de leurs actes, y compris devant les juridictions françaises. Confier au seul pouvoir politique le soin de décider des poursuites, entraver le devoir de juger par des artifices de procédure, c’est organiser l’impunité. Le Parlement doit adopter un texte définitif qui ne soit pas un simple trompe-l’oeil, et qui permette à la France d’être non en retrait mais à la tête du long cheminement vers une justice internationale effective. Nous l’y appelons.

Patrick Baudouin
président d’honneur de la
Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme

Michel Tubiana
président d’honneur de la Ligue française des droits de l’Homme


Communiqué LDH et FIDH

Nice, 31 mai – 1er juin 2010 : Sommet France-Afrique

Lors des débats sur la paix et la sécurité en Afrique, les participants doivent s’engager à lutter contre l’impunité des crimes les plus graves

La FIDH et son organisation membre, la Ligue française des droits de l’Homme (LDH), appellent les représentants des Etats présents au XXVe Sommet France-Afrique qui va se tenir à Nice les 31 mai et 1er juin 2010, à s’engager en faveur du droit des victimes des crimes les plus graves à la justice comme base d’une paix durable et de la prévention des conflits.

Le Sommet abordera notamment le thème de la paix et de la sécurité en Afrique mais traité uniquement sous les angles de la lutte contre le terrorisme et du renforcement du système africain de défense collective. Nos organisations considèrent que la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves devrait être placé au centre de ce débat prenant en compte son rôle fondamental de répression et de prévention des conflits et des crises politiques qui jalonnent le continent africain.

Le droit à la justice des victimes des crimes les plus graves est souvent oublié des processus de résolution des conflits voire entravé, nourrissant ainsi rancœurs et esprit de revanche, propres à la déstabilisation et à l’insécurité. Les exemples d’impunité au motif de promouvoir la paix ou la sécurité sans pourtant en atteindre les objectifs sont nombreux : citons, entre autres, l’absence de justice pour les victimes des conflits au Darfour, en République démocratique du Congo, en République centrafricaine,
les victimes du massacre du 28 septembre 2009 en Guinée Conakry, les victimes des massacres commis au Beach de Brazzaville, en République du Congo en 1999 ou encore les victimes de la répression du régime d’Hissène Habré au Tchad.

L’impunité est bien souvent le fait d’un manque de volonté politique, comme nous pouvons le déplorer également en France. « Le projet de loi d’adaptation du Statut de la Cour pénale internationale voté par le Sénat en juin 2008 et sur le point d’être soumis à l’Assemblée nationale, comporte de nombreuses carences destinant ce pays à devenir un véritable havre de paix pour les auteurs des crimes les plus graves », déplore Jean-Pierre Dubois, président de la LDH.

Aussi, nos organisations appellent les participants au XXVe Sommet France-Afrique de Nice à s’engager à

  • adopter des législations nationales incriminant notamment les crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture ;
  • à soutenir le principe de la compétence universelle de leur tribunaux pour répondre au droit des victimes à la justice ;
  • à soutenir le travail de la Cour pénale internationale et à coopérer avec ses instances.

« Sans cet engagement, et alors que plus d’une centaine d’Etats se retrouveront à Kampala, en Ouganda, pour discuter de la paix et de la justice à l’occasion de la conférence de révision du Statut de la Cour pénale internationale, les discussions autour du thème de la paix et de la sécurité en Afrique lors du Sommet de Nice seraient vidées de leur sens », a affirmé Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH.

Paris, Nairobi, le 28 mai 2010

Notes

[1Le communiqué commun de la FIDH et de la LDH : http://www.ldh-france.org/La-France....

[2Voir les observations finales du Comité contre la torture concernant la France publiées le 14 mai 2010 : http://www2.ohchr.org/english/bodie....


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