insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie


article de la rubrique démocratie > insoumission
date de publication : jeudi 20 septembre 2007
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Dans sa thèse, soutenue le 15 octobre, Tramor Quemeneur distingue trois périodes :

  • de 1955 à 1956, les “manifestations de rappelés” posent la question de la désobéissance, au niveau individuel,
  • de 1957 à 1959, les réfractaires contestent dans le cadre militaire, s’organisent en exil pour les insoumis et les déserteurs, ou en prison pour les objecteurs de conscience et les “soldats du refus ” communistes,
  • le débat public explose en 1960, les réfractaires deviennent de plus en plus nombreux, contre la guerre d’Algérie (Jeune Résistance) ou en faveur de l’“Algérie française” avec l’OAS. Enfin, l’Action civique non-violente se mobilise en faveur des objecteurs de conscience.

Place Bellecour (Lyon) en 1961.

Une guerre sans « non » ?

La thèse de Tramor Quemeneur a été préparée sous la direction de
Benjamin STORA, Professeur d’Histoire contemporaine à l’INALCO. Elle sera soutenue lundi 15 octobre à 9 heures,
à l’Université de Paris 8 [1].

Présentation

Qui sont les réfractaires français de la guerre d’Algérie (1954-1962) ? Le terme générique de réfractaire regroupe trois catégories juridiques d’illégalités – les désertions, les insoumissions et les refus d’obéissance – définies dans le Code de justice militaire. Les Français de métropole et d’Algérie, regroupés dans les archives militaires dans la catégorie « Français de souche européenne » (FSE), servent de population de référence.

Le nombre de réfractaires a fait l’objet de controverses dès la guerre d’Algérie, c’est pourquoi chacune des formes de désobéissance est quantifiée d’après les statistiques militaires, tant en nombres absolus que relatifs. Ainsi, les insoumissions et les refus d’obéissance sont analysés par rapport aux recrutements de l’armée française, et les désertions par rapport aux effectifs mensuels de l’armée française en Algérie. Cette étude permet d’appréhender l’évolution de chacune des formes de désobéissance au cours de la guerre. Les limites, tant en terme de définitions que de statistiques, sont ensuite présentées. Une géographie de chaque forme de refus est également dressée, pour la France métropolitaine et pour l’Algérie. Enfin, une brève étude comparative par rapport aux réfractaires algériens de l’armée française et aux légionnaires déserteurs est effectuée. Cette première partie permet de dégager l’existence de trois périodes de refus de participation à la guerre d’Algérie.

La première période concerne « le temps des rappelés ». Deux phases marquent une contestation collective importante de la part des soldats. La première se déroule à la fin de l’année 1955. Différentes manifestations de soldats scandent cette période ; la question de la désobéissance surgit au même moment, dans les débats intellectuels et dans les publications militantes. Cette première phase de contestation de la guerre d’Algérie contribue à la chute du gouvernement à la fin de l’année 1955 et à la victoire du Front républicain en janvier 1956. Mais, au printemps 1956, de nouvelles mesures de maintien et de rappel sous les drapeaux entraînent une deuxième phase de contestation des rappelés encore plus importante que celle de 1955. L’évolution des manifestations de 1956 permet d’étudier dans quelle mesure il est question de la désobéissance au cours de ces manifestations et de remarquer que les violences augmentent au fur et à mesure que la contestation se prolonge et que les rappelés se sentent de plus en plus isolés. La fin de leur contestation collective au cours de l’été 1956 conduit à ce que les désobéissances se cantonnent à un niveau individuel. Les désobéissances qui sont alors étudiées constituent des « parcours précurseurs ». Trois d’entre eux (Henri Maillot, Noël Favrelière et Alban Liechti) ont été érigés au rang de figures emblématiques. En regard, des désobéissances beaucoup moins connues sinon anonymes, dites « ordinaires », peuvent aussi révéler des caractères originaux.

La deuxième période qui s’ouvre de 1957 à 1959 peut être qualifiée de « temps du témoignage et de l’organisation ». Le « témoignage » passe d’abord par la réalisation de « micro-désobéissances », commises par des soldats qui restent dans le cadre militaire, sans quitter la légalité. Ces « micro-désobéissances » se caractérisent essentiellement par une volonté des soldats qui les commettent de rendre compte à des tiers de leur désaccord par rapport à la guerre d’Algérie. Parallèlement à ces « micro-désobéissances », des soldats désobéissent. Les insoumis et les déserteurs, au départ isolés, commencent à se regrouper. A cet égard, certains font figure de « structurateurs » ou d’« organisateurs ». Ainsi, des réfractaires créent Jeune Résistance à la fin de l’année 1958 et commencent à tisser un réseau de soutiens à l’étranger. De leur côté, certains objecteurs témoignent de leur refus de participer à la guerre d’Algérie : ils font ainsi figure de « diffuseurs ». Louis Lecoin tente aussi de structurer les objecteurs de conscience en menant une campagne en faveur d’un statut. Au même moment, des soldats communistes refusent de participer à la guerre en Algérie, ce qui amène leur parti à développer une campagne qui démarre en 1957, s’intensifie en 1958, avant de prendre fin en 1959.

La troisième période est marquée par « le temps du débat ». La diffusion de l’information au cours de la période précédente et la structuration de réseaux entraînent un débat très important au début de l’année 1960. Des insoumis et des déserteurs sont en effet arrêtés et d’autres relatent leurs parcours dans des livres, ce qui amène la société française à s’interroger sur la désobéissance dans la guerre d’Algérie. Certains intellectuels français approuvent cette désobéissance, ce qui conduit à la publication du « Manifeste des 121 » en septembre 1960, au moment où s’ouvre le procès du « réseau Jeanson », jugeant des Français soutenant le FLN. Ce débat important amène des jeunes de plus en plus nombreux à désobéir sans pour autant se regrouper. Au contraire, Jeune Résistance se délite, s’enfonçant dans une action de type révolutionnaire. En cela, elle s’oppose à l’Organisation armée secrète caractérisée par des désertions et des actions violentes. Parallèlement, des non-violents se regroupent dans l’Action civique non-violente, se mobilisant contre la torture, contre les camps de regroupement et enfin en faveur de réfractaires qui choisissent l’emprisonnement. Leurs actions non-violentes suscitent aussi un débat public, qui se poursuit en 1962 et qui aboutit à l’adoption du statut des objecteurs de conscience en décembre 1963.

Tramor Quemeneur

P.-S.

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Notes

[1La soutenance se déroulera le lundi 15 octobre à 9 heures,
à l’Université de Paris 8-Saint-Denis, Salle des thèses — Bâtiment A — Salle 010.

Le jury sera composé de :

  • Jean-Charles JAUFFRET
    Professeur d’Histoire contemporaine à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence et à l’Université Paul-Valéry de Montpellier
  • Daniel LEFEUVRE
    Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-VIII
  • Abdelmajid MERDACI
    Professeur de sociologie à l’Université Mentouri de Constantine
  • Benjamin STORA
    Professeur d’Histoire contemporaine à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales
  • Danielle TARTAKOWSKY
    Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-VIII
  • Michel WIEVIORKA
    Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

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