« Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme... A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
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« ... défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » Qui donc a écrit ces mots si pertinents qui explicitent si bien la politique gouvernementale ? Un opposant à la politique de Nicolas Sarkozy ? Un économiste ? Un politologue ?
Non ! Vous n’y êtes pas, pas du tout !
Ce texte est de M. Denis Kessler, agrégé d’économie. Il fut un des hommes forts du MEDEF où il détenait la réalité du pouvoir, aux côtés de l’inénarrable Baron Sellières. Denis Kessler espérait la présidence du MEDEF, dit-on. Mme Parisot lui a soufflé la place. Alors pour se consoler, il est entré au conseil d’administration de la BNP-Paribas et il est responsable d’une société d’assurance.
Voici in extenso le texte qu’il publia dans le magazine Challenges le 4 octobre 2007 :
Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde !
Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie.
Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme...
À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !
À l’époque se forge un pacte politique entre les gaullistes et les communistes. Ce programme est un compromis qui a permis aux premiers que la France ne devienne pas une démocratie populaire, et aux seconds d’obtenir des avancées - toujours qualifiées d’« historiques » - et de cristalliser dans des codes ou des statuts des positions politiques acquises.
Ce compromis, forgé a une période très chaude et particulière de notre histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général), se traduit par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc.
Cette « architecture » singulière a tenu tant bien que mal pendant plus d’un demi-siècle. Elle a même été renforcée en 1981, à contresens de l’histoire, par le programme commun. Pourtant, elle est à l’évidence complètement dépassée, inefficace, datée. Elle ne permet plus à notre pays de s’adapter aux nouvelles exigences économiques, sociales, internationales. Elle se traduit par un décrochage de notre nation par rapport à pratiquement tous ses partenaires.
Le problème de notre pays est qu’il sanctifie ses institutions, qu’il leur donne une vocation éternelle, qu’il les « tabouise » en quelque sorte. Si bien que lorsqu’elles existent, quiconque essaie de les réformer apparaît comme animé d’une intention diabolique. Et nombreux sont ceux qui s’érigent en gardien des temples sacrés, qui en tirent leur légitimité et leur position économique, sociale et politique. Et ceux qui s’attaquent à ces institutions d’après guerre apparaissent sacrilèges.
Il aura fallu attendre la chute du mur de Berlin, la quasi-disparition du parti communiste, la relégation de la CGT dans quelques places fortes, l’essoufflement asthmatique du Parti socialiste comme conditions nécessaires pour que l’on puisse envisager l’aggiornamento qui s’annonce. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait aussi que le débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération d’entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs n’est pas un problème qu’en psychanalyse.
Denis Kessler
Ce texte, prémonitoire de ce qui nous attendait sous la présidence sarkozienne, aurait du faire l’objet d’une large diffusion. Il nous aurait fait prendre la mesure de ce qui allait se passer.
On fait valoir, plus exactement le Président de la République, qu’il y a eu l’élection qui lui donna une large majorité [2].
On pourrait lui répondre que cette majorité date de trois ans, que les électeurs ne sont plus tout à fait les mêmes, et lui rappeler
que ce que le peuple a fait, le peuple peut le défaire !
[1] Le Conseil National de la Resistance, installé par De Gaulle en 1943, était l’organe de direction politique de l’ensemble des mouvements de résistance luttant contre l’occupant. Outre la résistance armée, il rassemblait les principaux partis politiques, de la SFIO aux Démocrates Chrétiens, des Communistes à la Droite Républicaine. La CGT communiste et la CFTC chrétienne en faisaient également partie.
Le programme du CNR, négocié par les participants, et adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944, sera appliqué par les premiers gouvernements après la Libération.
[2] Mais n’a-t-on pas entendu Nicolas Sarkozy lui-même se présenter en héritier du programme élaboré par le Conseil National de la Résistance, dans son discours du 22 juin 2009 devant le Parlement réuni en congrès ?