harcèlement judiciaire contre Albert Lévy (suite)


article de la rubrique Toulon, le Var > Toulon sous le FN
date de publication : mercredi 11 octobre 2006
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Albert Lévy était à nouveau convoqué, les 9 et 10 octobre 2006, devant le TGI de Paris [1].

Le magistrat était poursuivi pour "violation du secret de l’instruction" : il lui est reproché d’avoir remis au journaliste Claude Ardid le PV d’audition d’un témoin-clé dans un scandale de détournement de fonds aux cantines scolaires de Toulon - à l’époque, la municipalité toulonnaise était aux mains du FN.
Albert Lévy, alors substitut à Toulon, avait été mis en examen une première fois en septembre 1998. Son contrôle judiciaire comprenant une obligation de soins psychiatriques avait suscité des remous au sein de la magistrature.
Albert Lévy, aujourd’hui en poste au parquet de Lyon, a toujours nié les faits, estimant être victime d’antisémitisme et d’« un montage organisé par l’extrême droite et la droite judiciaire la plus radicale ». Il est soutenu par le Syndicat de la magistrature qui dénonce une manoeuvre politique.

Mardi, le procureur François Cordier a requis 3 000 euros d’amende contre Albert Lévy et 2 000 euros contre Claude Ardid.
Jugement le 14 novembre.


« On a été écoutés, filmés, photographiés »

par Jacqueline COIGNARD, Libération, mercredi 11 octobre 2006

Au procès du magistrat Albert Lévy, poursuivi pour violation du secret de l’instruction, les témoins replongent dans le Toulon des années 90

Le Var, ses tueurs à gages, ses truands notoires, ses hommes
d’affaires douteux, ses politiciens véreux... Pendant deux jours à
la chambre de la presse du tribunal correctionnel de Paris où le
magistrat Albert Lévy était poursuivi pour violation du secret de
l’instruction, il n’a été question que de ça : du
« contexte », de
« l’ambiance », de
« l’atmosphère » qui régnait à Toulon pendant ces années 90. Au
cours de cette décennie marquée par l’arrivée du FN avec Jean-Marie
Le Chevalier à la mairie (1995), par de nombreuses affaires de
corruption et d’assassinats ­ dont celui de la députée Yann Piat en
1994 ­, Albert Lévy était chargé des affaires de grand banditisme
au parquet de Toulon. Et depuis 1998, il est accusé d’avoir donné
des pièces de dossiers d’instruction à Claude Ardid, alors
journaliste à
Var-Matin et pigiste pour
VSD. 

Lambeaux. C’est un dossier étrange, exceptionnel. Par
son existence même : le secret de l’instruction a beau être violé
en permanence, les poursuites de ce type sont rarissimes. Par sa
durée : plus de huit ans d’une procédure à rebondissements qui, à
mi-parcours, a été mise en lambeaux par la chambre de
l’instruction. Par l’ampleur des moyens utilisés pour confondre
celui qui, dans le cadre d’une enquête sur les versements de
pots-de-vin à des élus, a donné le PV d’audition qui a atterri dans
les colonnes de
VSD, en avril 1998. Ecoutes téléphoniques pendant des mois,
filatures, pièges tendus aux deux protagonistes par les gendarmes,
perquisitions, garde à vue... Rien n’aura été négligé pour
découvrir l’auteur de la fuite.
« Je n’ai jamais vu ça ! A croire que la justice toulonnaise
n’avait que ça à faire », 
s’étonne Me Alain Jakubovicz, défenseur
d’Albert Lévy.
« Ils savaient tout de ma vie et de celle d’Albert
Lévy », 
renchérit Claude Ardid.
« On a été écoutés, filmés, photographiés. Ils connaissaient
jusqu’au nom de mes chats... Tout ça pour un simple délit de
presse. » 

Lorsque l’affaire est
« délocalisée » au cabinet de la juge parisienne Marie-Paule
Moracchini, la tension monte encore de plusieurs crans. Florence
Augier, compagne d’Albert Lévy et magistrate elle aussi, n’est pas
prête d’oublier le débarquement de l’équipe parisienne, le dimanche
6 septembre 1998 au matin, à son domicile.
« Une femme et une dizaine d’hommes ont investi le jardin. La
femme a entraîné Albert dans un coin et je l’ai entendue lui parler
d’un ton méprisant, lui dire qu’il était un magistrat indigne.
Puis, elle est entrée dans la maison, et a lancé d’un ton
péremptoire : la femme et les enfants dehors ! » 
Quand Florence
Augier revient une demi-heure plus tard, la maison est vide, son
compagnon en garde à vue. Mais la juge Moracchini téléphone dans la
soirée pour lui dire qu’il va être placé sous contrôle judiciaire
avec obligation de soins psychiatriques, car
« il est très malade » : c’est un juge paranoïaque qui voit des
fachos, des antisémites et des complots politito-mafieux
partout.

Pas besoin d’être dérangé pour entretenir de telles visions,
estime Philippe Val, directeur de
Charlie Hedbo, cité comme témoin. Le journaliste explique que
« grand banditisme » est
 synonyme de
« politique » en langage toulonnais. Et alors qu’il a quitté la
juridiction depuis six ans, Lévy maintient avoir été saisi, à son
arrivée à Toulon, par
« l’implication surréaliste et exceptionnelle d’une partie de la
classe politique avec la pègre ». 
Or, explique Me Jakubovicz,
« c’est cette perméabilité entre le monde politique, le monde
judiciaire et la pègre locale qui est au coeur des débats,
ici ». 
Lévy n’acceptait pas certaines pratiques locales, et il
s’est fait ostraciser.
« Si un magistrat ne s’occupe pas de politique, il ne s’occupe
pas de grand banditisme. En fait, c’est ce qu’on lui
demandait », 
explique l’avocat.
« Son obstination lui a valu des inimitiés, des menaces, des
articles de presse ignominieux sans que sa hiérarchie ne bouge d’un
iota », 
poursuit Me Jakubovicz. Et de brandir la une de
Minute où Albert Lévy est dessiné en tenue de déporté avec
une étoile ; on y réclame la révocation du magistrat. Il cite aussi
l’article d’une revue de magistrats d’extrême droite où un avocat
général à la Cour de cassation commente ainsi ses déboires :
« Tant va Lévy au four qu’à la fin il se brûle. » 

Contrat. Florence Augier raconte que son compagnon et
ses enfants ont été placés plusieurs fois sous protection
policière, en raison de menaces. Elle égrène les « épisodes ». Celui
des hommes à moto qui suivent Lévy, puis le dépassent, le passager
le visant avec un fusil imaginaire. Celui où Max Perletto,
lieutenant de Francis Le Belge, l’accoste en plein tribunal pour le
prévenir qu’il a un contrat sur la tête et lui proposer ses
services... en accord avec le préfet Marchiani. Florence Augier se
souvient aussi d’un couple qui se retourne vers sa famille en
crachant et d’une dame qui lance :
« Et en plus, ils font des enfants. » 

Albert Lévy n’est ni paranoïaque ni chevalier blanc, mais un
magistrat intègre déjà puni : il est passé du grand banditisme à
Toulon aux contraventions à Lyon, plaide Me Jakubovicz. Ses avocats
font valoir l’absence de preuve formelle contre lui. Le procureur a
réclamé 3 000 euros d’amende. Jugement le 14 novembre.

Notes


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