“étranger, ici on n’aime pas les étrangers”, par Évelyne Sire-Marin


article de la rubrique démocratie > Sarkozy : campagne 2012 et bilan
date de publication : lundi 16 avril 2012
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Au cours de l’année 2011, l’activisme du gouvernement contre les étrangers a atteint des sommets. Stigmatisation des Roms, mise en cause des migrants, des étrangers, nouvelle loi « relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité »
 qui aggrave une fois de plus leurs conditions de séjour ...

Cette politique fait progressivement de notre pays une forteresse prétendument assiégée. C’est ce qui ressort notamment de l’édition 2012 de L’état des droits de l’homme en France récemment publiée par la LDH. Ci-dessous un extrait du chapitre 5 de cet ouvrage, rédigé par Évelyne Sire-Marin, magistrate, vice-présidente de la LDH [1].


Les étrangers en France...

Dans la France de 2011, la manière dont sont traités les étrangers, avec ou sans papiers, les Roms et les jeunes des quartiers populaires, sans cesse discriminés par les contrôles policiers, réactive en permanence le sentiment d’indignité de ces personnes et d’ineffectivité de la démocratie. Car l’année 2011 fut celle de la mise en oeuvre du discours de Grenoble du 30 juillet 2010 du président Sarkozy : démantèlement dans les trois mois de camps illégaux de Roms, alors que les communes ne respectent pas la loi Besson de 2000 imposant l’aménagement de terrains réservés aux gens du voyage, répression renforcée de l’immigration, nouvelles attaques contre le droit pénal spécifique des mineurs, recours élargi aux bracelets électroniques, installation de 60000 caméras de vidéosurveillance pour 2012 et déchéance de nationalité pour les Français naturalisés ayant commis des atteintes à la vie des policiers. Finalement, le vieux slogan « police partout, justice nulle part » pourrait retrouver toute sa pertinence...

« Étranger, nous avons tout pour te recevoir, un hôtel, une prison et un cimetière »

Cette phrase de Ma Dalton dans Lucky Luke ne saurait être désavouée par Nicolas Sarkozy. Après avoir été en 2011 le premier président de la Ve République parvenu à perdre sa majorité au Sénat, Nicolas Sarkozy a également réussi à réunir dans un même combat les plus illettrés des travailleurs sans papiers et les plus diplômés des étudiants étrangers. Son ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, a en effet refusé aux étudiants étrangers, dans une circulaire du 31 mai 2011, le droit de continuer à séjourner en France, et surtout d’y travailler et de rendre à la République l’espoir qu’elle avait mis en eux en les formant dans ses meilleures écoles. Même le Medef s’est indigné de cette politique de gribouille, dont il ne faut chercher le ressort que dans la servilité effrénée de la droite populaire envers le Front national. Une plate-forme initiée par la CGT et signée par la LDH a demandé le rétablissement des droits au séjour des étudiants étrangers.

En 2011, la politique du chiffre s’est transformée en industrie de l’expulsion des étrangers (28000 en 2010), y consacrant chaque année 533 millions d’euros. Cinq associations [2] ont
pour la première fois rendu un rapport annuel sur les 60000 étrangers placés en rétention, dont des familles avec enfants en très bas âge. Elles considèrent que l’ouverture de 300 places de rétention au centre du Mesnil-Amelot traduit clairement la volonté d’ignorer l’arrêt du 28 avril 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) interdisant d’emprisonner des étrangers en séjour irrégulier. Une loi du 16 juin 2011 a d’ailleurs repoussé de 48 heures à cinq jours le contrôle du juge des libertés sur les étrangers retenus.

Appliquant à la lettre le discours de Grenoble du président Sarkozy, selon lequel « nous subissons les conséquence de cinquante années d’immigration [...] qui ont abouti à un échec de l’intégration », le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, a annoncé en novembre 2011 qu’il envisageait désormais de
s’attaquer non plus seulement aux étrangers séjournant illégalement en France, mais aussi à l’immigration légale, en la réduisant de 10%.

Depuis 2011, les étrangers qui demandent la nationalité française par déclaration ou par naturalisation doivent d’ailleurs « déclarer à l’autorité compétente la ou les nationalités qu’ils possèdent déjà, la ou les nationalités qu’ils conservent en plus de la nationalité française ainsi que la ou les nationalités auxquelles ils entendent renoncer [3] ». Les imprimés sont déjà prêts dans les administrations, conformément à ce racisme de bureau d’autant plus dangereux qu’il est mécanique, impensé... C’est une première étape des idées UMP-FN vers l’interdiction d’avoir la double nationalité : d’abord on déclare qu’on a d’autres nationalités et on est donc fiché comme binational ; l’interdiction suivra ensuite... il suffit d’attendre la prochaine loi.

Face à ce pourrissement de la fraternité, qui sent très fort les années 1930, la nouvelle majorité de gauche du Sénat aura eu, en 2011, le courage de soutenir une proposition de loi sur le droit de vote aux élections locales (et d’éligibilité comme conseiller municipal), pour les étrangers extracommunautaires ayant cinq ans de résidence en France, comme dans dix-sept autres pays de l’Union européenne [4]. Donner une citoyenneté à ceux qui n’ont pas la nationalité française est pourtant la seule réponse à la montée des populismes. Depuis près de trente ans, dans le cadre de différents collectifs, et notamment celui de la « Votation citoyenne », la LDH se bat pour faire aboutir cette proposition, la situation actuelle lui apparaissant comme un déni de justice en contradiction avec les valeurs de la République. Elle continuera d’en faire une de ses principales exigences.

Evelyne Sire-Marin


Quelques lectures :

Notes

[1Chapitre 5 –.Pour une justice indépendante du politique et une police au service des citoyens.

[2La Cimade, France Terre d’Asile, l’ordre de Malte, l’Association service social familial migrants (ASSFAM) et Forum réfugiés.

[3Art. 18 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 et articles à 7 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011.

[4Cette proposition de loi avait été votée en 2000 par l’Assemblée nationale, mais Lionel Jospin avait renoncé à l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat, sachant qu’elle ne pourrait pas être adoptée faute de majorité. Même votée par le Sénat, elle ne pourra en tout état de cause pas entrer en vigueur, en raison de la nécessité de vote à l’identique des lois constitutionnelles.


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