Renseigner un fichier d’élèves n’est pas sans risque pour l’avenir... de l’enfant. C’est ce qu’a voulu rappeler BigBrotherAwards-Deutschland, en décernant l’un de ses prix 2007 au Service Education et Sport de la ville-état de Hambourg, en la personne de sa responsable Mme Alexandra Dinges-Dierig, sénateur de Hambourg.
La mise en place du Schülerzentralregister (“fichier centralisé des
élèves”) dans le but de dénicher des élèves sans-papiers est un pas de plus dans le reniement des valeurs humanitaires que l’Union européenne affirme vouloir incarner.
En Allemagne, le Big Brother Award 2007, dans la catégorie Régions, a été attribué au Service Education et Sport de la ville-état de Hambourg,
représenté par sa responsable Mme Alexandra Dinges-Dierig, sénateur de Hambourg, pour la mise en place d’un “fichier centralisé des élèves” (FCE) dont le but (final) est de dénicher des familles d’origine étrangère en situation irrégulière. [1]
La ville de Hambourg est connue pour la brutalité et la rigidité de sa gestion des expulsions. Une fois c’est un Palestinien de Naplouse en Cisjordanie vivant en Allemagne depuis 21 ans qui devait être expulsé, une autre fois ce sont des élèves mineurs qui devaient partir pour leur pays d’origine, en laissant en Allemagne leurs parents — ces derniers disposant d’un titre de séjour.
Dans ces conditions, le recours à des méthodes très variées pour débusquer des familles expulsables n’a rien de surprenant. C’est ainsi que les services de l’immigration utilisent le FCE pour trouver des enfants et leurs parents en séjour irrégulier.
En Allemagne, la scolarisation est obligatoire pour tous les enfants, indépendamment de la nationalité et de la régularité du séjour. D’autre part, en Allemagne, chacun est tenu de se déclarer à sa commune de résidence — il sera donc inscrit dans le registre de cette commune.
En 2006, un amendement à la loi sur l’éducation (Hamburgisches Schulgesetz) a créé un « fichier central élèves » (FCE) — Schülerzentralregister — où les écoles sont tenues d’enregistrer les données personnelles de leurs élèves. Ce fichier est automatiquement comparé au fichier des résidents — On espère par ce moyen trouver des enfants non scolarisés. Officiellement il s’agit d’éviter que se reproduisent des situations analogues à celle de Jessica, une fillette de sept ans, retrouvée morte de faim en 2005 après avoir souffert le martyre pendant des années dans l’appartement de ses parents, sans que personne ne s’en aperçoive.
À vrai dire, le FCE n’aurait pas permis de sauver Jessica : elle était déjà connue des services de la scolarité, qui avaient même engagé une procédure d’amende administrative pour non-respect de l’obligation de scolarité. Mais personne n’avait pris la peine d’enquêter pour connaître la raison de l’absence de Jessica à l’école. Pour l’administration, une fois lancée la procédure d’amende, le dossier était clos.
Une autre jeune-fille a également eu des problèmes avec les services administratifs de Hambourg, mais pas pour les mêmes raisons que Jessica : un délateur anonyme avait signalé au service de l’immigration que Yesim (13 ans) et sa mère, toutes deux sans-papiers, vivaient dans l’appartement de la grand-mère. Pour ce service, il s’agissait d’un « cas banal » de regroupement familial illégal qui durait depuis 13 ans. Si la jeune fille n’avait pas été une élève modèle parfaitement intégrée, elle et sa mère auraient été expulsées depuis longtemps.
Dorénavant le service d’immigration n’aura plus besoin de la délation des voisins : grâce au FCE, on pourra non seulement trouver les enfants qui sont inscrits sur le registre de la commune sans être scolarisés, mais également ceux qui sont scolarisés sans être inscrits au registre : les deux fichiers, le FCE et le registre, sont en permanence automatiquement comparés.
Le FCE sera-il plutôt un « fichier Yesim » qu’un « fichier Jessica » comme le craignent les organisations d’aide aux étrangers ? C’est un fait, la recherche d’enfants sans papiers est l’une des finalités du FCE, comme le parti démocrate chrétien (CDU) de Hambourg l’avait demandé.
D’après l’administration scolaire, jusqu’à présent, le FCE n’a entraîné aucune expulsion : il n’a détecté aucun élève en situation irrégulière. Cela n’a rien de surprenant ! Les parents auront craint que la scolarisation de leurs enfants ne conduise à l’expulsion de toute la famille. De nombreuses familles avaient eu l’occasion de le redouter dans le passé, mais des organisations comme « Fluchtpunkt », avaient pu convaincre les parents que la scolarisation de leurs enfants ne présentait pas de risque. La création du FCE a changé la situation, et beaucoup de familles ont retiré leurs enfants de l’école. Il n’est donc pas étonnant qu’aucun enfant en situation irrégulière n’ait pu être trouvé. Voilà une loi faite dans l’intérêt de l’enfant et qui parvient au résultat opposé.
Chacun définit « l’intérêt de l’enfant » à sa manière : la CDU et la sénateur Dinges-Dierig pensent que vivre sans papiers est préjudiciable à l’enfant et qu’il est dans son intérêt de mettre fin à cette illégalité. On peut se poser la question de savoir s’il vivra mieux en Afghanistan, dans la bande de Gaza ou en Irak...
Dans la réalité, les parents préfèrent retirer leurs enfants de l’école plutôt que de risquer l’expulsion. Voila comment une loi peut aller contre le respect de certains droits (en l’occurrence, le droit à l’instruction).
Les écoles n’ont pas attendues le FCE pour être soumises à l’obligation de signaler des enfants sans papier, mais maintenant l’enregistrement d’un enfant dans le FCE entraînera automatiquement la comparaison de ses données avec celles du fichier des résidents
Les écoles sont soumises à une pression énorme pour enregistrer leurs élèves. Certes il leur serait possible de ne pas signaler les enfants qui ne sont pas en règle, mais ces enfants n’auraient pas de bulletins scolaires et ne seraient pas assurés en cas d’accident.
Qu’avons-nous appris, Madame Dinges-Dierig ?
Toutes nos félicitations, Madame Dinges-Dierig, pour votre distinction au palmarès BigBrotherAward !
Si l’on en croit la Cnil et le ministère de l’Education nationale, le dispositif Base élèves 1er degré ne comporterait actuellement aucune information de nature à provoquer la détection d’élèves sans-papiers.
Mais qui peut nous donner des garanties pour l’avenir ?
Le ministère de l’Education nationale a pu récemment modifier la déclaration de Base élèves auprès de la Cnil, sans rendre publiques les modifications apportées à sa précédente déclaration [3].
Espérons ne pas lire ce qui suit lors d’une prochaine rentrée scolaire [4] :
Enzo est assis à sa place, parmi ses 32 camarades de CP...
Enzo est au fond de la classe.
La chaise à côté de lui est vide.
Son ami Saïd est parti, son père a été expulsé le lendemain du jour où le directeur (un gendarme en retraite choisi par le maire) a rentré le dossier de Saïd dans Base Élèves.
Il ne reviendra jamais.
Enzo n’oubliera jamais son ami pleurant dans le fourgon de la police, à côté de son père menotté.
Il paraît qu’il n’avait pas de papiers...
Enzo fait très attention :
Chaque matin il met du papier dans son cartable, dans le sac de sa maman et dans celui de son frère.
[1] Cette page a été librement traduite — et légèrement abrégée — à partir de la version anglaise du texte allemand.
[2] En allemand : « Werden Daten gesammelt und zentral gespeichert, so können sie missbraucht, also für viele Zwecke genutzt werden. »
[3] « Supprimer certaines données », « en recueillir de nouvelles » et « modifier la liste de leurs destinataires ». Voir : la déclaration de Base élèves a été modifiée !.
[4] Extrait de La journée d’Enzo ou l’école de demain...
Une référence parmi d’autres : http://montataire.parti-socialiste....