“discriminer pour mieux régner” de Vincent Geisser & El Yamine Soum


article de la rubrique discriminations
date de publication : jeudi 4 décembre 2008
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« En dépit du nouvel engouement pour la “diversité”, les partis politiques de l’Hexagone sont rongés par des discriminations quasi structurelles qui frappent en premier lieu les Français issus des migrations et des DOM-TOM, condamnés aux arrière-cuisines de la politique. Les derniers résultats des élections législatives de 2007 et des élections municipales de 2008 ne démentiront pas ce ­sombre constat : la “vague blanche” a déferlé sur nos assemblées politiques lo­cales et nationales, consacrant la domination inébranlable des notables gérontocrates, laissant quelques miettes à des candidats dits de la “diversité” qui ont dû se contenter des seconds rôles ou de places de figurants. En France, les minorités “visibles” sont étonnamment “invisibles” ».

El Yamine Soum & Vincent Geisser [1]

Discriminer pour mieux régner.
Enquête sur la diversité dans les partis politiques
,
de Vincent Geisser & El Yamine Soum

Présentation de l’ouvrage [2]

Alors que la « diversité » est devenue un thème à la mode, s’imposant désormais comme un impératif démocratique, cette enquête approfondie auprès d’élus, de militants et de dirigeants politiques issus de l’immigration et des DOM-TOM met en évidence une opération de « diversion » qui se traduit par une forme de colorisation superficielle de la vie politique française.

La diversité en politique, parlons-en ! Ils sont élus locaux ou nationaux, cadres et responsables chez les Verts, au PCF, au PS, au MoDem et à l’UMP, ont accumulé parfois plus de 20 ans de militantisme et sont pourtant aujourd’hui unanimes à dénoncer les discriminations qui sévissent dans leur parti politique. En deux mots, la diversité conduirait davantage à une gestion exotique des minorités dites « visibles », à un Second collège électoral, qu’à un véritable partage du pouvoir. Vue des sommets du pouvoir, la vie politique française paraît toujours aussi pâle et monocolore.

Dressant un bilan critique des élections législatives de 2007 et des municipales de 2008 qui se sont traduites par une totale invisibilité des « minorités visibles », ces militants issus de l’immigration maghrébine, africaine et des DOM-TOM réclament un « traitement de choc républicain », qui instaure une égalité réelle dans les partis. Sceptiques à l’égard de la « discrimination positive », majoritairement perçue comme un faux remède, ils proposent un certain nombre de mesures concrètes pour lutter contre ce phénomène de « plafond de verre » qui domine la vie politique française. Pour eux, le véritable communautarisme, c’est d’abord le communautarisme des partis qui fait que les institutions politiques ne sont plus aujourd’hui à l’image de la France.

Fondé sur une enquête inédite, cet ouvrage repose sur le témoignage de militants et de responsables de partis politiques, de droite et de gauche, femmes et hommes, de la région parisienne, et des territoires de la République, qui ont choisi d’exposer leur conception d’une « diversité à la française » qui ne soit pas simplement une voie de garage ethnique et exotique.

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Discriminer pour mieux régner. Enquête sur la diversité dans les partis politiques, de Vincent Geisser & El Yamine Soum, publié le 15 mai 2008 aux éditions de l’Atelier, 204 pages, 18,50 €.

Vincent GEISSER est politologue et sociologue au CNRS, à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) d’Aix-en–Provence. Président du Centre d’information et d’études sur les migrations internationales (CIEMI), il a notamment publié Ethnicité républicaine. Les élites d’origine maghrébine dans le système politique français, Presse de Sciences Po (1997), La Nouvelle Islamophobie, La Découverte (2003) ; Marianne & Allah, les politiques français face à la « question musulmane », La Découverte (en collaboration avec Aziz Zemouri, 2007).

El Yamine SOUM est diplômé d’études latino-américaines et de science politique, actuellement doctorant à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, au CADIS (Centre d’analyse et d’intervention sociologiques). Chroniqueur à Respect Magazine, il travaille sur les enjeux de l’ethnicité dans le système politique français et américain.

Le début de l’introduction du livre

Diversité ou diversion ?

« Ensemble, nous devons bâtir une France vivante, fière de sa diversité, capable de se regarder telle qu’elle est et de se rêver telle qu’elle peut devenir, une France qui participera au monde de demain fait de mélanges, d’ouverture et de rencontres entre toutes les cultures. »

Nicolas SARKOZY [3]

Le 8 février 2008, le président de la République, Nicolas Sarkozy, présentait à la presse et aux forces vives de la Nation sa « nouvelle politique pour les banlieues ». En dépit de la volonté affiché de rompre avec la « routine » des politiques de la ville du passé, aucune mesure majeure ne sera véritablement avancée, à l’exception d’une, qui suscitera précisément de nombreux commentaires : le projet d’inscrire dans la Constitution de la Ve République le principe de la lutte contre les discriminations et son corollaire, la promotion de la diversité : « À ce jeune issu de l’immigration, qui travaille à l’école, qui veut faire des études, je veux dire que notre pays ne doit plus répondre à son courage par la lâcheté des discriminations. Je veux le dire aux enfants d’immigrés, qui eux sont français et qui croient, souvent à tort, quelquefois à raison que la France les aime moins. Je veux leur dire qu’en France personne ne doit plus être jugé sur la couleur de sa peau, ou l’adresse de son quartier. Je veux lui dire que je serai toujours de l’origine de celui que l’on discrimine. Je veux une démocratie irréprochable et en graver les principes dans le Préambule de notre Constitution. J’ai demandé à Simone Veil de conduire un débat national sur ces principes, parmi lesquels il y a la diversité. Si pour des raisons éthiques, la diversité ne peut se définir sur une base ethnique, elle doit néanmoins refléter la richesse de notre société à tous les niveaux de responsabilité [4]. »

Liberté-Diversité-Fraternité : nouvelle devise républicaine ?

L’annonce du président de la République a de quoi surprendre : pour certains, c’est la confirmation du glissement progressif et pernicieux de sa politique vers le « modèle anglo-saxon » et le renoncement au sacro-saint principe d’égalité républicaine ; pour d’autres, c’est la naissance d’une nouvelle espérance démocratique, à savoir la réconciliation de l’idéal républicain avec la « politique en action », si chère au Président. La France officielle, centralisatrice et longtemps aveugle devant les discriminations, prendrait-elle enfin la mesure des « inégalités réelles » qui rongent à petits feux notre cohésion sociale ? La polémique est lancée et les tentatives de décryptage de la « nouvelle utopie » sarkozyenne se multiplient, les unes pour dénoncer l’imposture républicaine [5], les autres, plus rares, pour saluer l’audace et la clairvoyance du chef de l’État [6].

Pourtant, le bruit circonstanciel autour du discours présidentiel nous semble avoir masqué, sinon négligé, un phénomène plus profond, touchant les responsables politiques et, au-delà, l’ensemble des milieux dirigeants français (chefs d’entreprise, patrons de presse, membres de la Haute fonction publique). La diversité tend à devenir une figure imposée du discours des élites hexagonales, agissant comme la nouvelle « potion magique » d’Astérix, à la fois révélatrice d’une prise de conscience et d’une profonde impuissance à lutter contre les discriminations, sévissant dans notre société française. En ce sens, quitte à décevoir certains, il faut bien admettre que la « diversité à la française » n’est pas une pure invention de Nicolas Sarkozy – même si le président de la République se revendique volontiers comme son héraut – mais le fruit d’une longue maturation sociale et, disons-le tout net, d’une crise globale de la représentation, secouée par des tensions contradictoires. Car, en effet, la nouvelle coqueluche de la diversité s’inscrit à la fois en continuité et en rupture avec la bonne vieille rhétorique de l’intégration républicaine : elle marque le passage d’un État-providence, persuadé de sa supériorité sociale et culturelle dans son rapport à l’Autre (l’étranger, l’immigré, le nouveau Français, etc.), à un État néo-libéral qui doute de lui-même dans sa capacité à gérer la pluralité sociale, contraint ainsi d’expérimenter de nouvelles voies pour établir sa légitimité et renouer avec une croissance économique plus dynamique.

Toutefois, ne nous y trompons pas. Il s’agit toujours de renvoyer l’Autre et le « divers » (le Black, le musulman, le banlieusard...) à son supposé particularisme culturel et ethnique, reproduisant en cela la vision binaire du Eux et Nous [7].

[La suite de l’introduction : http://www.editionsatelier.com/ress....]

Notes

[1El Yamine Soum & Vincent Geisser, « Une “Obamania” française au-dessus de tout soupçon ? » Politis, jeudi 9 octobre 2008.

[2Présentation reprise du site des éditions de l’Atelier.

[3Nicolas SARKOZY, discours « Une nouvelle politique pour les banlieues », Palais de l’Élysée, 8 février 2008.

[4Nicolas SARKOZY, discours « Une nouvelle politique pour les banlieues », idem.

[5Paolo FLORES D’ARCAIS, André GRJEBINE, « La diversité dans la Constitution : danger ! », Le Monde, 5 mars 2008.

[6Yves JEGO, porte-parole de l’UMP : « Plutôt qu’un énième plan où s’alignent les chiffres et les ‘‘mesurettes’’, le chef de l’État a porté une vision globale de l’évolution de nos banlieues, en mettant l’accent sur l’éducation et l’accès à l’emploi », cité par Le Journal du Dimanche, 8 février 2008.

[7Joël ROMAN, Eux et Nous, Paris, Hachette Littératures, 2006.


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