deux QPC déposées par la LDH transmises au Conseil constitutionnel


article de la rubrique démocratie > terrorisme : 13 novembre
date de publication : dimanche 17 janvier 2016
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Victoire, pour l’heure procédurale, de la Ligue des droits de l’Homme : le Conseil d’État accepte de transmettre au Conseil constitutionnel, deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) liées à l’état d’urgence.

La première concerne la liberté de réunion. L’article 8 de la loi de 1955 prévoit que, lorsque l’état d’urgence est institué, le ministre de l’Intérieur ou le préfet peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ... Pour la LDH, cette interdiction administrative de la liberté de réunion doit être assortie des garanties appropriées, « tenant à la protection du droit d’expression collective ».

D’autre part, la LDH remarque que le ministère de l’Intérieur « reste mutique concernant l’absence totale d’encadrement légal des conditions d’exploitation, de conservation puis de destruction des données collectées » au cours d’une perquisition informatique,« aucun délai n’ayant en particulier été fixé pour ce faire ».


État d’urgence : le Conseil constitutionnel va examiner les perquisitions informatiques

par Marc Rees, publié le 15 janvier 2016 sur Next Inpact


Victoire, pour l’heure procédurale, de la Ligue des droits de l’Homme : le Conseil d’État accepte de transmettre deux questions prioritaires de constitutionnalité liées à l’état d’urgence. L’une concerne spécialement les perquisitions administratives, notamment dans les ordinateurs.

Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) permet à quiconque de faire examiner par les sages de la rue Montpensier la conformité d’une disposition aux textes fondateurs. Elle est soumise cependant à une série de conditions. Elle doit être posée à l’occasion d’un recours, présenter un caractère sérieux et évidemment être nouvelle. Il revient au Conseil d’État et à la Cour de cassation de filtrer ces questions, pour les transmettre éventuellement au Conseil constitutionnel.

Comme déjà exposé, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) avait attaqué plusieurs dispositions de la loi sur l’état d’urgence de 1955, récemment modifiée après les attentats du Bataclan. Deux des trois reproches adressés à ces textes ont fait mouche au Conseil d’État.

Le premier concerne la liberté de réunion. L’article 8 de la loi de 1955 prévoit que « le ministre de l’Intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret » déclarant l’état d’urgence.

Pour la LDH, cette interdiction administrative de la liberté de réunion ne peut être ainsi prévue, sans être assortie des garanties appropriées, « tenant à la protection du droit d’expression collective des idées et des opinions » résume le Conseil d’État. Celui-ci a considéré cette problématique comme suffisamment nouvelle et sérieuse pour la renvoyer au Conseil constitutionnel.

État d’urgence et perquisitions notamment informatiques

Mais c’est le terrain des perquisitions administratives qui va davantage retenir notre attention : depuis la loi du 20 novembre 2015, qui a modifié celle de 1955, le ministre de l’Intérieur a la possibilité de décider de mener à bien des perquisitions dans le matériel informatique trouvés dans les lieux visités.

Désormais, en effet, les autorités peuvent accéder « par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial  ». L’application de cet article n’est pas un cas exotique si on en croit les professionnels du droit.

Le cabinet Spinosi-Sureau, défendant la LDH, s’est montré très critique sur sa constitutionnalité. Selon lui, ces perquisitions se heurteraient à l’article 66 du texte de 1958 selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle, et à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme, qui implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile : « de manière générale, réagit Me Patrice Spinosi, il y a en effet des interrogations sur l’absence du contrôle du juge dans la perquisition et l’atteinte à la liberté individuelle. Nous n’avons aucune jurisprudence claire pour ces mesures nées de la loi du 20 novembre 2015. Le Conseil d’État a estimé qu’il y avait là une question sérieuse » (la décision).

Le sort des données glanées lors des perquisitions

Surtout, s’agissant des perquisitions informatiques, on ne sait rien du sort des données copiées, alors que ces mesures ne font pas dans le détail : les autorités peuvent créer une image d’un disque dur ou une copie servile de la mémoire d’un téléphone ou d’une tablette trouvée dans un lieu perquisitionné. Tombent alors dans les filets quantité de données avec ou sans rapport avec les éléments ayant justifié la perquisition. Où vont ces données ? Quand sont-elles effacées ? Quid des retranscriptions ? Qui contrôle ces exploitations ? La loi sur l’état d’urgence est silencieuse.

Pour ce grief, poursuit Me Spinosi, « nous nous appuyons sur le précédent de la loi sur le renseignement où le Conseil constitutionnel a expressément considéré que la loi, quand elle ne prévoit pas d’encadrement suffisant pour conservation des données, était contraire à la Constitution. Mutatis mutandis, on ne voit aucune différence avec la loi sur l’état d’urgence qui ne prévoit pas plus de quelconque encadrement des données copiées. »

En effet, lorsqu’il a examiné la loi Renseignement, le Conseil constitutionnel avait décapité les dispositions relatives à la surveillance internationale parce que le législateur avait oublié de définir les conditions d’exploitation, de conservation, de destruction, et de contrôle des renseignements collectés. La sévérité de la décision du Conseil avait été à la hauteur de la gravité de cette brèche : « Le législateur n’a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » taclait le juge.

La position du ministère de l’Intérieur

Dans les QPC de la Ligue au Conseil d’État, le ministère de l’Intérieur s’est opposé à une partie de ces analyses. Pour lui, l’intervention du juge judiciaire commandée par l’article 66 de la Constitution ne s’impose pas : la perquisition n’amène aucune privation de liberté individuelle. Quant à l’inviolabilité du domicile, le Conseil constitutionnel a déjà jugé qu’il revient au législateur, dans le cadre de l’état d’urgence, « d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République » (décision QPC du 22 décembre 2015).

Et s’agissant tout particulièrement des perquisitions informatiques, il s’est contenté de dire que « les fonctionnaires mandatés par le préfet pour procéder aux perquisitions peuvent copier sur tout support les données accessibles par ce biais (sur les ordinateurs, téléphones mobiles, tablettes ou systèmes de stockage à distance de données informatiques comme le précisent les travaux parlementaires) aux fins d’analyse et d’exploitation. Les matériels concernés ne sauraient en revanche être saisis en l’absence d’ouverture d’une procédure judiciaire ». Seulement, comme on peut le voir, Bernard Cazeneuve reste muet sur le sort des données aspirées lors de ces perquisitions.

Le scénario de la censure

Une question perdure : qu’adviendra-t-il des données informatiques copiées, si le Conseil constitutionnel venait remettre en cause ces perquisitions administratives ? « Si tant est qu’on obtienne satisfaction, il est à craindre qu’il y ait une modulation dans le temps de l’effet de la décision, estime Me Spinosi. Il n’y aurait pas de remise en cause du texte en l’état actuel, mais obligation pour le législateur de prendre une nouvelle disposition qui prévoirait un encadrement ».

Ce scénario éviterait donc une remise en cause des données glanées en dehors des clous de la Constitution, malgré une violation des normes fondamentales.


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