Le 20 avril 2004, en inaugurant le nouveau centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède (Var), le garde des Sceaux d’alors, Dominique Perben, le présentait comme « une remarquable illustration de nos efforts pour
humaniser notre parc pénitentiaire » [1]. Une opinion démentie par Robert Bret, sénateur des Bouches-du-Rhône qui, après une visite de l’établissement le 21 novembre 2005, s’est dit frappé par l’inhumanité de l’établissement et la dureté des conditions de détention [2].
Ce petit dossier est extrait du numéro 53 - Janvier/février 2006 - de la revue Dedans/Dehors de l’Observatoire international des prisons.
C’est vraiment une impression de dureté, dès le premier contact. Si l’on compare avec la prison de Saint-Roch, l’ancienne maison d’arrêt de Toulon, les conditions peuvent paraître meilleures : beaucoup de détenus sont seuls en cellule, celles-ci possèdent une douche... Mais La Farlède est une grosse unité, avec de grands bâtiments, tirés en angle droit. Le plus oppressant y est l’absence de présence humaine, notamment dans le quartier maison d’arrêt. Tout est surveillé par des caméras, des sas, des interphones. Dans toutes les discussions que j’ai pu avoir, ceux qui, détenus ou personnels, ont connu d’autres établissements, en viennent à les regretter. Car ce type de bâtiment déshumanise. L’aspect inhumain des locaux, le sentiment d’être isolé dans cet univers-là, renforcent le choc carcéral. Et rien n’a été pensé pour le détenu.
Oui, je le pense. Les commissions d’enquête parlementaires avaient déjà souligné le fait qu’on se suicide plus dans ce type d’établissements que dans les prisons plus anciennes. Cela se vérifie ici. Saint-Roch ne connaissait pas le taux de suicides qui existe aujourd’hui à La Farlède, où l’on en déplore déjà quatre (trois selon le directeur, le quatrième serait dû à une overdose). La nouvelle prison du Pontet, dans le Vaucluse, que j’ai également visitée, présente elle aussi un taux de suicide important. Le nombre d’incendies provoqués est également considérable : huit cellules de La Farlède ont été totalement ravagées. Ces éléments confirment le malaise que j’ai évoqué et que j’ai ressenti moi-même en entrant dans l’établissement. Pourtant, en matière de prévention
du suicide, je n’ai guère trouvé plus que ce qui se faisait à Saint-Roch. Lorsque j’ai demandé à la direction de la prison quel était leur bilan en la matière, je n’ai eu que des réponses évasives.
Le plus gros problème concerne les personnes incarcérées pour des affaires de moeurs. Ces détenus se trouvent continuellement confrontés à des brimades et des sévices. Un certain nombre ne sont jamais sortis de leur cellule depuis 18 mois, de peur d’être agressés, battus, voire violés. La direction m’a affirmé que, vu l’ampleur du problème, une réorganisation était en cours, afin de les rassembler sur un bâtiment ou sur des niveaux, avec une cour de promenade séparée, ou à des heures différentes, pour pouvoir les isoler des autres détenus et éviter ou limiter ces violences.
Les installations sont ultramodernes, semblent très fonctionnelles et capables d’accueillir beaucoup de personnes mais j’ai eu des difficultés à avoir des réponses claires sur le nombre de détenus qui en bénéficient. Les seuls chiffres que j’ai pu avoir concernent le travail et la formation. Et ils sont dérisoires par rapport aux potentialités de l’établissement. Alors que l’objectif était de 80, seuls 50 détenus travaillent dans les ateliers ; 70 autres bénéficient d’une formation professionnelle, comme un CAP pâtisserie par exemple, pouvant aller jusqu’à 500 heures. Ce sont à peu près les mêmes chiffres que ceux de la prison de Saint-Roch lors de ma précédente visite, alors que les effectifs ont plus que doublé. Je ne sais pas si c’est lié aux entreprises ou à la volonté de l’administration pénitentiaire de laisser les détenus dans leur cellule, mais c’est un véritable problème, d’autant que la population carcérale est de plus en plus paupérisée. Nombreux sont ceux qui n’ont ni revenu ni famille. Les détenus se plaignent également d’un juge de l’application des peines, jugé trop sévère. Cela crée un climat malsain dans l’établissement et cela a d’ailleurs donné lieu à des protestations. Tout ceci influe sur leur comportement car ils ne voient pas l’intérêt de leurs efforts, si ceux-ci ne débouchent sur rien en ce qui concerne la longueur de leur incarcération.
Lors de ma visite aux Baumettes à Marseille (Bouches-duRhône), le 10 décembre dernier, j’ai observé que la surpopulation était moindre que quelques années auparavant. Cela doit donc jouer un rôle de vases communicants mais, globalement, construire des établissements est une fausse bonne solution. Les statistiques montrent que cela sert surtout à incarcérer toujours plus. Ce qu’avaient craint les commissions d’enquête parlementaires se vérifie. Nous sommes face à de véritables appels d’air à incarcérer : plus il y a de places plus on remplit. Au cours de ma visite de novembre, la partie maison d’arrêt de La Farlède comptait 476 détenus, pour 373 places théoriques. Je n’ai pas vu de matelas par terre dans les cellules, mais des personnels et des détenus
m’ont dit qu’il n’était pas rare d’en rajouter. L’administration utilise également l’ancienne maison d’arrêt de Saint-Roch, qui sert de lieu de délestage, alors qu’elle était prévue pour accueillir les personnes en semi-liberté.
Non, on est bien loin du discours inaugural du garde des
Sceaux. Humaniser notre parc pénitentiaire ne passe certainement pas par la construction de nouvelles prisons et surtout pas par ce type d’établissements. Si l’on ajoute l’inhumanité de l’architecture et la pauvreté des activités, on obtient un emprisonnement d’autant plus dur. La relative jeunesse des personnels affectés dans ces nouvelles prisons est aussi un problème. Certains venaient de Saint-Roch mais bien souvent, ce sont des jeunes qui sortent de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire et qui ont pour seule expérience les stages qu’ils ont réalisés pendant leur formation.
Tant que la politique pénale du pays restera axée sur le tout sécuritaire et le recours sans retenue à l’emprisonnement, les conditions de détention continueront de se détériorer tout comme les conditions de travail du personnel pénitentiaire. C’est notre système pénal tout entier qu’il convient de réviser. En 2000, la commission d’enquête sénatoriale concluait qu’il était urgent d’incarcérer moins pour incarcérer mieux, de s’interroger sur le sens de la peine, sur le recours à l’incarcération, et de réfléchir aux alternatives à la prison, aux libérations conditionnelles, à la limitation de la détention provisoire, à la gestion des longues peines, à la future réinsertion des détenus, à la lutte contre la récidive, aux raisons pour lesquelles on se suicide énormément en prison, etc. Mais aujourd’hui, toutes ces réflexions et pistes de travail sont passées à la trappe.
Propos recueillis par Stéphanie Coye
« Ici, on règle les problèmes à coups de fusil. »
Henri F., centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, 28 mars 2005.
« Hier après-midi, il y a eu un "blocage" de la promenade, pendant 3 heures. Les raisons étaient concrètes : nous voulons plus d’activités, plus de sport (pour pouvoir faire "un peu" de sport, il faut attendre plusieurs mois), plus de promenades, que le courrier soit distribué correctement, que si nous sommes deux en cellules nous ne payons plus deux fois la télé et le frigidaire !, que nous soyons traités comme des êtres humains, et non pas comme des chiens, que nous puissions bénéficier des soins médicaux correctement, et ne plus attendre plusieurs jours pour y accéder ! C’est pour toutes ces raisons que certains détenus ont organisé un blocage de la promenade. Il n’y a pas eu de violence. Pourtant la direction du centre pénitentiaire a fait intervenir les "ERIS" [équipes régionales d’intervention et de sécurité]. Je n’avais jamais vu cela. Ils ont commencé par tirer cinq coups de fusil à pompe en l’air, puis ont maintenu en joue les détenus pendant 15 minutes environ. J’ai été très choqué par ce que j’ai pu voir hier. Et je ne suis pas le seul. Où sommes-nous ? En France ? Avant d’être placé en détention provisoire, je pensais être dans un pays civilisé, libre. Je pensais que, malgré notre incarcération, nous avions le droit à un peu d’humanité. Mais, ici, on règle les problèmes à coups de fusil, »
« Je ne pense pas supporter ce traitement très longtemps »
Michel N. centre pénitentiaire Toulon-La Farlède, juin 2005
« Transféré à la Farlède, j’ai été placé en surnombre dans une cellule de deux initialement. Dormir par terre, à l’âge que j’ai et étant donné la dureté de la peine infligée, est contraire aux dispositions légales et peu respectueux de la dignité humaine, fut-ce celle d’un condamné, mais ça ne bouleversera personne. Si nous sommes punis pour avoir enfreint la loi, l’Etat peut, lui, la bafouer en toute impunité. C’est sans doute ce qu’on appelle l’exemplarité du donneur de leçons. Je ne pense pas supporter ce traitement très longtemps. Une longue peine, soit, c’est la température de la haine, mais pas comme une bête. Cela fait des mois maintenant que je suis promené d’une cellule à une autre, placé avec des fumeurs quand j’exprime mes difficultés respiratoires,
laissé dans l’ignorance la plus totale de la suite des réjouissances. J’attends depuis des mois de pouvoir ranger des bricoles dans une armoire, de pouvoir accrocher mes vêtements à un mur, de pouvoir y coller une photo qui me parle. Je voudrais être seul avec ma peine et mes choix, c’est un minimum, non ? Je n’ai même pas de quoi ranger un yaourt dans un réfrigérateur trop petit déjà pour mes hôtes. On ne manquera pourtant pas de me le facturer, mais ceci est une autre histoire. »
[2] Cette visite avait été organisée par la section de Toulon de la Ligue des droits de l’Homme : visite « inopinée » du sénateur Robert Bret au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède.