d’après Henri Guaino, il serait du “devoir des enseignants” de lire la lettre de Guy Môquet


article de la rubrique démocratie > désobéissance pédagogique
date de publication : jeudi 22 octobre 2009
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Dans une note de service publiée au Bulletin officiel de l’Education nationale le 24 septembre 2009, le directeur général de l’enseignement scolaire avait demandé « aux chefs d’établissement de mobiliser les équipes éducatives autour de [la] commémoration » le 22 octobre de l’exécution, en 1941 à Châteaubriant, de Guy Môquet et de 26 autres résistants. Cette note accordait aux établissements une grand liberté d’action.

Le ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, est revenu sur cette décision le 19 octobre sur RTL : « Le texte qui a été publié à la fin du mois de septembre pouvait donner lieu à certaines ambiguïtés. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au directeur de l’enseignement scolaire de préciser aujourd’hui un certain nombre de choses et notamment que la lettre de Guy Môquet sera bien la base du travail qui sera mené ce jour-là ».

Le lendemain, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, appelait les enseignants à « obéir aux directives » en lisant la lettre de Guy Môquet dans les lycées. « Je pense que les enseignants ont un devoir. Le devoir, c’est de faire leur métier d’enseignant donc d’obéir aux directives », a-t-il lancé sur France-Info. « Ce n’est pas une profession libérale le métier d’enseignant, c’est un fonctionnaire ».

Décidément le sarkozysme a une curieuse conception du rôle des enseignants !


En complément du dossier mis en ligne sur ce site il y a deux ans, nous reprenons la tribune de Bernard Girard, initialement publiée sur Rue89.

Journée Guy Môquet ou journée Sarkozy dans les lycées ?

par Bernard Girard, enseignant blogueur

On croyait avoir tout dit sur l’affaire Guy Môquet. Sur la récupération et le détournement de l’histoire par le pouvoir politique, sur un mode de gouvernement qui ne connaît que l’injonction, sur la confusion entre service public et caprice du prince. La décision de Sarkozy, en 2007, de faire lire dans tous les lycées la lettre de Guy Môquet avait suscité une vive opposition des historiens comme des milieux éducatifs.

Il s’agissait, pour Sarkozy, d’évoquer « la grandeur de la France », de faire comprendre aux lycéens « ce qu’est un jeune Français », de renforcer l’identité nationale, en un mot, de mettre à l’honneur une conception particulièrement réductrice et tendancieuse de ce que fut la résistance au nazisme et plus généralement à l’oppression.

Dérision ou boycott ?

Il n’avait pas fallu longtemps pour que l’on se rende compte que la journée Guy Môquet dans les lycées était d’abord une journée Sarkozy et qu’il fallait la traiter comme telle, c’est-à-dire par la dérision ou le boycot. Conscient du fiasco, le nouveau ministre de l’Education nationale, par une circulaire parue fin septembre au Bulletin officiel, accordait une large marge de manœuvre aux établissements, qui, de toutes manières, avaient déjà pris leurs libertés sur le sujet, en « laissant à l’initiative de chacun », les modalités de la commémoration.

Curieusement, par un brusque revirement – motivé par une crise de nerf du président ? – Luc Chatel s’avisant de « l’ambiguïté » de la circulaire, annonçait lundi sur RTL que la lecture de la lettre de Guy Môquet était obligatoire. Toutes affaires cessantes, les services du ministère se mobilisaient pour faire connaître à tous les échelons de la hiérarchie la volonté du maître.

On croyait avoir tout vu, donc, tout entendu, jusqu’à la tirade comminatoire de Guaino, mardi matin sur France Info :

« Les enseignants ont un devoir [...], c’est de faire leur métier d’enseignant, donc d’obéir aux directives. Ce n’est pas une profession libérale le métier d’enseignant, c’est une profession de fonctionnaire. Il y a des directives et il n’est pas indigne, au regard des lois de la république et des grands principes qui nous gouvernent, de lire la lettre de Guy Môquet  ».

Pour Guaino, on le voit, le métier d’enseignant – étayé par les principes de la république - consiste d’abord à obéir aux directives. C’était le cas, d’ailleurs, à l’époque de Guy Môquet et de Vichy. Cette consternante définition du métier d’enseignant illustre à nouveau la lourde dérive du sarkozysme qui tend à confondre le service public avec la satisfaction des intérêts particuliers ou des lubies des dirigeants.

Les enseignants ne sont pas à la solde des gouvernants ou d’un parti politique : ils sont rémunérés par le contribuable pour travailler à l’éducation des élèves. Tout simplement et c’est déjà beaucoup. Guaino semble également tout ignorer de la loi d’orientation de 2005 accordant aux enseignants une liberté pédagogique qui leur permet de choisir les pratiques qui leur semblent le mieux convenir aux élèves.

Ce nouvel avatar de la lettre de Guy Môquet n’est pas qu’une simple pantalonnade : l’insistance à la fois puérile et brutale de Sarkozy à faire passer de force un type de commémoration manifestement hors de propos est une manifestation supplémentaire de l’instrumentalisation de l’histoire déjà maintes fois dénoncée par les historiens.

La période du nazisme est malheureusement de celles qui se prêtent le mieux à la manipulation : en se parant des attributs de la résistance, des politiciens peu scrupuleux espèrent ainsi détourner l’opinion publique de réalités qui dérangent. Dans un pays où les rafles policières, les camps de rétention ou les charters d’immigrés s’exposent au grand jour, on se dit que la défense de l’idéal de la résistance sonne faux dans certaines bouches.

Bernard Girard



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