Depuis qu’elle est ministre de la Justice, Rachida Dati n’a cessé de le marteler : « La délinquance des mineurs augmente. Elle est de plus en plus violente. Elle concerne des tranches d’âge de plus en plus jeunes. » [1] Il importe peu que, comme le montre le sociologue Laurent Mucchielli, ces affirmations soient « de véritables contre-vérités induisant les citoyens en erreur ». Le but poursuivi est de convaincre l’opinion de l’impérieuse nécessité de « restaurer le respect et l’autorité et [de] mettre fin au sentiment d’impunité » [2].
C’est dans cet état d’esprit que la commission Varinard, chargée de réfléchir aux possibles modifications (ce seraient les 32-èmes) de l’ordonnance de 1945 qui constitue le droit pénal des mineurs, proposerait d’incarcérer les enfants dès 12 ans, et même dans certains cas dès 10 ans.
« Pourquoi 12 ans ? Pourquoi 10 ans ? » demande Jean-Pierre Rosenczveig qui poursuit ironiquement : « ne mégotons pas ! » « C’est à 3 ans qu’il faut fixer le seuil, dans le droit fil du travail de l’INSERM sur les enfants violents. »
La chasse à l’enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eauBandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfantIl avait dit j’en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l’avaient laissé étendu sur le cimentBandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistesBandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
[...]
Jacques Prévert [3]
Vous vous rappelez le poème de Prévert où il est question d’un enfant qui se noie après s’être enfui du bagne de Belle-Ile ? Et des honnêtes gens qui hurlent à ses trousses ?
[4]
On nous faisait étudier cela, en classe, comme la réminiscence d’un temps révolu, comme la preuve littéraire que nous avons progressé, que nous ne sommes plus barbares... Avec l’actuelle garde des Sceaux, le sujet redevient d’actualité. Nous prendrons connaissance, mercredi, du rapport de la commission Varinard, mais suffisamment d’informations sur la teneur de ce texte ont filtré pour qu’on puisse émettre nombre de craintes. La commission Varinard a été chargée de réfléchir aux possibles modifications (ce seraient les 32-èmes) de l’ordonnance de 1945 qui régit le statut des mineurs, leur réserve des peines atténuées, et stipule que l’éducatif l’emporte sur le répressif. Insupportable ! a tonné Mme Dati. Qui a donc prié ladite commission de mettre fin à pareil laxisme. Les prisons sont pourtant pleines. 63.750 détenus pour 50.000 places. Le record absolu de la détention préventive. Et 40% des incarcérés qui relèveraient de l’hôpital psychiatrique. Mais on entasse encore dans des conditions effroyables.
Tant et si bien que des prévenus se pendent, comme l’a fait un mineur à Metz où Mme Dati a débarqué en pleine nuit pour incriminer... le procureur. Que va-t-il préconiser, le rapport Varinard ? Que, dès douze ans, si l’on a commis un crime – pas un meurtre, un crime –, la détention provisoire soit envisageable, la responsabilité pénale étant fixée à cet âge. En Europe, généralement, c’est quatorze ans. Et jusqu’ici, le juge était libre d’évaluer lui-même le discernement de l’enfant. De plus, en cas de récidive, pour les 16-18 ans, ce ne serait plus un tribunal pour enfants qui statuerait mais un tribunal correctionnel. Enfin, la majorité pénale resterait fixée à 18 ans, cet âge pouvant être abaissé en cas de multirécidive. On va les dresser, les sauvageons. On va les coller à Fleury-Mérogis où les matons les dorloteront. On va faire monter de deux ou trois crans le taux de récidive au sortir de la prison. On va augmenter les tentatives de suicide, voire les suicides tout court. On va défier le Conseil supérieur de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la magistrature, la Convention internationale des droits de l’enfant. Et puis Rachida Dati aura son bébé et s’en ira.
[1] Voir le discours qu’elle a prononcé le 22 juin 2007 au TGI de Bobigny : http://www.presse.justice.gouv.fr/i....
[3] Extrait de Paroles, éditions Gallimard.
Le poème de Jacques Prévert évoque la mutinerie d’août 1934. Après que les moniteurs aient tabassé un pupille, les jeunes détenus s’étaient soulevés et enfuis. Une prime de 20 francs avait été offerte à quiconque capturerait un fugitif.
Cette mutinerie avait déclenché une campagne de presse demandant la fermeture de bagne d’enfants.
[4] Source : letelegramme.com du 30 novembre 2008 : http://www.letelegramme.com/gratuit....