combattre les idées reçues sur la réforme pénale


article de la rubrique justice - police > justice
date de publication : mardi 3 juin 2014
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Le Collectif Liberté Egalité Justice (ACAT, LDH, SM, SAF, Genepi, OIP, CGT PJJ, CGT Pénitentiaire, SNEPAP FSU, SNPES PJJ FSU) déconstruit, dans un livret, le discours sécuritaire et appelle au courage politique pour une réforme pénale ambitieuse. Pour télécharger ce livret (212 ko), cliquer sur :

Ci-dessous une tribune de V. Gautron, C. Mouhanna et L. Mucchielli qui s’expriment dans le même sens.


Réforme pénale : halte à la démagogie sécuritaire !

Par Virginie Gautron (Université de Nantes, DCS),
Christian Mouhanna (CNRS, Cesdip) et Laurent Mucchielli (CNRS, Lames)


Article paru dans l’édition du 2 juin 2014 de Libération


Depuis des mois, des responsables politiques et divers idéologues-essayistes se déchaînent contre la réforme présentée par la ministre de la Justice. Au risque de conforter l’extrême-droite, ce lobby sécuritaire manipule et instrumentalise à tout va. Il fait dire n’importe quoi aux statistiques, discrédite la magistrature en l’accusant à tort de laxisme, dénature la portée et les effets prévisibles de la réforme proposée, et oppose avec simplisme les intérêts des victimes à ceux des condamnés. Cette démagogie irresponsable doit être combattue sans état d’âme. Non pas parce que la réforme échapperait à toute critique, mais parce que les bonnes questions ne peuvent même pas être posées quand les manipulations polluent à ce point le débat public.

Non, la justice pénale française n’est pas laxiste. Quasi systématiques en matière criminelle, les peines de prison ferme représentent environ un tiers des peines prononcées par les tribunaux correctionnels hors contentieux routier. Lorsqu’on exclut les délinquants routiers, 70% des récidives se concluent par une peine de prison ferme. A l’inverse, les peines alternatives à l’emprisonnement sont rares. Les travaux d’intérêt général représentent moins de 3% des condamnations pour délits. Enfin, il faut en finir aussi avec le prétendu « scandale » des 100 000 peines non exécutées. Il s’agit pour la plupart de peines qui sont en attente d’exécution. Un tiers des condamnés à une peine de prison ferme sont incarcérés immédiatement après leur prononcé, la moitié dans un délai inférieur à 4 mois.

Non, la ministre de la Justice n’a pas « ouvert en grand les portes des prison ». La population carcérale a augmenté d’environ 30% entre 2000 et 2014, sans que la nomination de Christiane Taubira n’inverse en quoi que ce soit cette tendance. La surpopulation dans les maisons d’arrêt atteint un niveau record qui pose de graves problèmes à l’administration pénitentiaire
et qui constitue un facteur important d’augmentation de la récidive, ainsi que de violences entre détenus ou à l’encontre du personnel pénitentiaire. Dans de nombreuses maisons d’arrêt, on installe des matelas à même le sol dans des cellules déjà surchargées, on ne peut plus à séparer les condamnés des prévenus, ni les petits délinquants des gros. Il n’y a pourtant pas de
fatalité à cette tendance. Au 1er janvier 2013, l’Allemagne a un taux de détention de 79 pour 100 000 habitants, contre 101 chez nous. Mieux : ce pays a connu une baisse de l’incarcération ces dernières années, sans que cela n’augmente la criminalité. Les recherches internationales montrent que l’allongement des peines de prison ne réduit ni les risques de récidive ni les taux de délinquance. Il faut donc en finir avec cette croyance infantile faisant
de la prison l’unique réponse à la délinquance.

Enfin, contrairement à ce que prétendent les pires des démagogues, la réforme n’empêchera en aucun cas d’incarcérer les criminels. La contrainte pénale ne concerne en effet que les délits passibles d’une peine inférieure à cinq ans de prison. Or il n’est nul besoin de réaliser des délits graves pour atteindre ce quantum de peine. En vérité, notre législation pénale est
déjà l’une des plus sévères d’Europe, de sorte que de nombreux auteurs d’infractions de faible gravité ne pourront pas bénéficier de cette nouvelle peine de contrainte pénale, ce qu’il faut d’ailleurs vivement déplorer. On pourrait aller plus loin dans la définition d’une peine de contrainte pénale qui ne soit pas uniquement une alternative à l’emprisonnement, en
s’appuyant sur les règles du Conseil de l’Europe ainsi que sur la Conférence de consensus de l’année dernière, dont le ministère a oublié en chemin une partie des conclusions.

Nous avons d’urgence besoin de développer des aménagements autres que le bracelet électronique. A peine plus d’un condamné sur cinq obtenant un aménagement de peine, le nombre de sorties sèches ne cesse de croître, alors qu’il s’agit du plus sûr moyen de favoriser la récidive. En effet, les aménagements ne sont pas des « cadeaux » accordés sans contrepartie. Outre l’obligation de manifester des gages de réinsertion pour en bénéficier
(travailler, se former, se soigner), les condamnés sont placés, une fois libérés, sous le contrôle des SPIP, et le manquement aux obligations peut se traduire par une réincarcération. Ainsi, les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine ne découlent pas de bons et naïfs sentiments mais d’un pragmatisme soucieux d’efficacité. De surcroît, elles coûtent moins cher.

La démagogie sécuritaire se nourrit de faits divers criminels pour faire croire qu’il s’agit de la réalité quotidienne. C’est une manipulation. Moins de 15% des condamnations concernent des atteintes aux personnes. La justice condamne beaucoup plus des voleurs et des conducteurs alcoolisés. C’est pourquoi le problème qui est posé est celui des courtes peines de prison. Un
tiers des détenus passent moins de trois mois en détention. Et il est impossible d’engager une véritable démarche de réinsertion ou de soin sur d’aussi courtes périodes. Or les besoins sont énormes : besoin de travailler en prison (notamment pour pouvoir dédommager les victimes), besoin de se former, besoin de se soigner (dépendance à l’alcool ou aux stupéfiants, troubles psychotiques...).

Pour toutes ces raisons, la situation actuelle qui consiste à se débarrasser des petits délinquants récidivistes en les enfermant pour quelques mois est une impasse. Le débat qui s’ouvre au parlement sur la contrainte pénale et la probation est donc essentiel. Les mesures annoncées n’empêcheront pas le prononcé de lourdes peines ou le maintien en détention lorsque la situation le justifiera. Mais elles donneront de nouveau la possibilité aux juges
d’adapter la sanction à la gravité de l’infraction et aux problématiques des condamnés. Il ne s’agit donc pas essentiellement d’humanisme, encore moins d’angélisme, mais de pragmatisme et d’efficacité. Nous attendons du gouvernement, des parlementaires, mais aussi des journalistes, qu’ils aient le courage d’arrêter la démagogie et l’utilisation des peurs, de considérer nos concitoyens comme des adultes capables de débattre en termes rationnels,
plutôt que de les traiter comme des enfants en divisant simplement le monde entre les gentils et les méchants pour mieux leur faire avaler n’importe quoi.


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