Cela se passe en France ... Sous le titre “Une « censure préventive » dénoncée à La Seyne”, le quotidien Var Matin nous apprend, dans ses éditions du 26 février 2015, que la direction de la Villa Tamaris a déprogrammé la vidéo d’un artiste marocain dédiée à Salman Rushdie. Un nouveau cas de censure préventive – ils ont tendance à se multiplier depuis le début de l’année [1] – justifiée par l’argument inusable : “Il ne faut pas oublier que la Villa est un lieu public, susceptible d’attirer des enfants. Nous avons une responsabilité. [2]”
La censure, Mounir Fatmi connaît, il l’a déjà subie plusieurs fois, mais ce qu’il ne parvient pas à comprendre c’est que cela se passe en France ...
Déjà la solidarité s’exprime : en soutien, le plasticien Claude Lévêque aurait annoncé dès mardi son intention de se retirer de l’exposition C’est la nuit [2].
Il règne un parfum d’autocensure dans les centres d’art en France. Après le retrait en janvier d’une installation de la Marocaine Zoulikha Bouabdellah du Pavillon Vendôme à Clichy-La-Garenne (Hauts-de-Seine), c’est au tour de la Villa Tamaris, à la Seyne-sur-Mer (Var), de faire machine arrière devant une œuvre de Mounir Fatmi.
En novembre 2014, ce centre d’art avait contacté l’artiste marocain pour présenter sa vidéo Sleep Al Naim dans l’exposition « C’est la nuit ! », programmée en juin prochain. Inspirée de Sleep, un film de l’artiste américain Andy Warhol, cette œuvre représente un dormeur modélisé d’après les traits de l’écrivain Salman Rushdie. Mounir Fatmi a beau convoquer l’auteur des Versets sataniques, la vidéo n’a rien de provoquant. Elle est même actuellement exposée au Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève sans susciter le moindre remous.
Voir ici : « Sleep Al Naim »
Pourtant, le 10 février, la Villa Tamaris décide d’y renoncer. « Il va de soi que ce n’est pas le sens de votre œuvre qui est en cause, mais la période qui peut favoriser les utilisations partisanes, contraires, hostiles, de votre travail. Vous nous jetez au milieu d’une polémique dont les enjeux sont brouillés par un incroyable brouhaha politico-médiatique (sur le Web en particulier) qui n’apporterait rien à la compréhension du débat », écrit la commissaire Evelyne Artaud à l’artiste.
Directeur du lieu, Robert Bonnacorsi confie avoir mûrement réfléchi avant de prendre cette décision. « A l’heure actuelle, tout est piégé, tout est surinterprété, mal interprété, se justifie-t-il. On est dans une espèce d’hystérie et je ne veux pas me retrouver dans un faux débat, alors que l’objet de l’exposition est tout autre. C’est une dérive poétique autour de la nuit sans lien avec l’actualité. »
Ce dernier a proposé d’emprunter une autre vidéo, suggestion que Mounir Fatmi juge irrecevable. « J’ai quitté en 1999 le Maroc pour cette liberté d’expression que je suis en train de perdre ici, en France, déplore l’artiste. Je savais que le combat ne serait pas facile et que rien n’était acquis. Mais je ne pensais jamais qu’un jour on pouvait être assassiné en plein Paris à cause d’une caricature, ou que des directeurs de centres d’art allaient censurer des artistes pour éviter toute polémique... »
Conçue par le plasticien marocain Mounir Fatmi, une vidéo-hommage à l’écrivain est retirée de la prochaine exposition.
Après Toulouse, Paris. Une semaine après avoir été censuré par les responsables du festival d’art contemporain, Le Printemps de Septembre, à Toulouse, pour une installation sur le Coran jugée « blasphématoire », le plasticien et vidéaste marocain Mounir Fatmi est de nouveau censuré. Cette fois, c’est l’Institut du Monde Arabe qui l’oblige à retirer une œuvre jugée « trop sensible » vis-à-vis du monde musulman. Elle était pourtant au programme de l’exposition Vingt-cinq ans de créativité arabe, qui ouvre mardi prochain.
« Ce qui me gêne énormément, c’est que cela se passe en France, et non au Maghreb ou en Arabie Saoudite », lâche Mounir Fatmi, 42 ans, qui vit entre Tanger, Paris et Los Angeles et a fui le Maroc pour « pouvoir s’exprimer », dit-il. Paradoxalement, c’est en France que son œuvre est censurée. « Il y a une crise de foi des religieux ici », se désole cet artiste respecté du marché de l’art.
Les Parisiens ne verront donc pas Sleep, installation vidéo qui vient de faire un tabac à Charleroi, en Belgique. Ils ne verront pas ce travail qui a mis six ans à aboutir, directement inspiré du film expérimental minimaliste d’Andy Warhol, en 1963, montrant durant six heures le même plan du poète John Giorno en train de dormir. Mounir Fatmi l’a remplacé par Salman Rushdie.
« Compte tenu des menaces qui pèsent sur sa vie depuis tant d’années, plonger dans le sommeil reste une manière pour lui de se mettre en état de vulnérabilité, explique l’artiste. Ce sont des images de synthèse à partir de photos. J’ai été scandalisé par le silence des intellectuels arabes sur le sort de Rushdie et son combat pour la liberté de créer. Alors j’ai imaginé ce film comme un hommage », confie-t-il.
« Glaçons d’eau bénite »
Ce n’est pas la première fois que Mounir Fatmi, dont le travail désacralise les livres de religion, mais aussi d’histoire, est en butte aux fondamentalistes. En 2006, à Venise, une œuvre éphémère, Glaçons d’eau bénite, qu’il avait « récupérée un peu partout dans les églises », lui avait valu des lettres d’insultes. « C’était une expérimentation pour montrer la limite du sacré, explique-t-il. Quand je prends la Bible, ou le Coran, je sors le livre de la sacralité. Les religieux pensent qu’ils sont les seuls à avoir le droit d’ouvrir ces livres. Mais il y a aussi les artistes, les historiens, les scientifiques, les journalistes qui ont ce droit ». La même année, il était censuré à la foire de Dubaï, pour son œuvre Les printemps perdus, où des balais remplaçaient des drapeaux. L’artiste n’est pas rancunier : « Je ne suis pas choqué quand cela arrive dans un pays qui apprend à peine la démocratie ».
Sa mésaventure à l’Institut du Monde Arabe serait due, selon lui, au vrai-faux film anti-islam L’innocence des musulmans, réalisé à Los Angeles. À la place de sa vidéo sur Rushdie, le public verra son installation sur les versets interdits à Toulouse. Un comble.