censure d’un spectacle sur les Tsiganes français durant l’occupation


article de la rubrique libertés > censure
date de publication : jeudi 2 juin 2011
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Un spectacle consacré au camp d’internement de Mérignac-Beaudésert était programmé au Kosovo dans le cadre d’un Festival de la culture rrom, financé par le Bureau de l’Union européenne à Pristina. Ce bureau a estimé que le spectacle était « inapproprié » et a exigé sa déprogrammation. Le Courrier des Balkans s’associe aux signataires du présent texte, qui dénoncent ce cas scandaleux de censure politique.

Saura-t-on qui est à l’origine de cette censure ? Faut-il rappeler qu’il a fallu 41 ans pour que soit démasquée la silhouette d’un gendarme français dans le poste de guet du camp de détention de Pithiviers dans les copies du film Nuit et Brouillard d’Alain Resnais ?


Voir en ligne : article 3787

Kosovo : la Commission européenne censure un spectacle sur les Tsiganes français durant l’occupation

[Publié le jeudi 2 juin 2011, sur Le Courrier des Balkans]


L’entrée du camp de concentration de Mérignac-Beaudésert.

« Mérignac-Beaudésert, Tsiganes français sous l’Occupation » est une adaptation de documents historiques relatifs à l’internement et la déportation de Tsiganes français pendant la seconde guerre mondiale. Ce texte a été édité aux éditions l’Espace d’un instant, en partenariat avec La voix des Rroms, les Nouvelles alternatives transeuropéennes et la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes.

Il a également fait l’objet d’un spectacle mise en scène par Christophe Sigognault, dans le cadre d’une résidence de création à la Maison d’Europe et d’Orient, qui a notamment été représenté en ouverture du festival du Printemps de Paris, le 9 mai dernier, jour de la fête de l’Europe.

Ce spectacle a été programmé dans le cadre du « Festival of Roma, Ashkali and Egyptian culture » au Kosovo, financé par le Bureau de liaison de la commission européenne au Kosovo (ECLO), et produit en délégation par la Fondation Soros au Kosovo (KFOS).

Cependant, l’ECLO a considéré que le contenu de cette création artistique était « inopportun » (inappropriate) et ordonné à la KFOS que ce spectacle soit retiré de la programmation.

À notre demande de démenti, l’ECLO a répondu qu’il ne s’agissait pas de « censure » mais d’un « changement de programmation », pour la raison qu’il souhaitaient « privilégier à travers le festival la promotion du riche patrimoine culturel de ces communautés au Kosovo afin de contribuer à faciliter leur intégration dans la société kosovare et les échanges avec les autres communautés ». L’ECLO ajoute qu’il ne veut « nullement mettre en cause l’importance de ce douloureux évènement historique ni la qualité de la performance artistique proposée », mais que « [ses] partenaires pour la mise en œuvre sont tenus de [le] consulter et de [lui] présenter le détail du programme pour approbation avant toute confirmation des activités », et qu’il aurait souhaité « [en] discuter et [en] informer [ses] collègues de l’Ambassade de France au Kosovo ».

Nous exprimons notre indignation face à de tels agissements. Nous ne connaissons que trop bien la réalité que recouvre un tel discours : restreindre la culture rromani à une image d’Epinal de quelques musiciens plus ou moins désespérés flanqués de femmes potentiellement faciles dansant sur les tables, et faire l’impasse sur un travail de mémoire pour ne pas froisser quelques camarades diplomates. Nous savons aussi parfaitement à quoi correspond la volonté d’asservir le contenu d’une œuvre d’art à un financement. Nous voyons bien que l’ECLO considère que ce travail sur une mémoire commune est nuisible à l’intégration et à l’échange. Le pire, sachant que l’ECLO considère la chose comme un « malentendu », est peut-être finalement qu’il ne se rend même pas compte de la teneur de sa politique : c’est une chose normale, acquise. On imagine l’écho qu’aurait reçu une proposition de programmation du film « Liberté » de Tony Gatlif dans un tel contexte.

Nous pensons que le fait que des professionnels des arts et de la culture, français et kosovars, accomplissent ce devoir de mémoire, et particulièrement envers la communauté rromani, est un honneur et une fierté pour la France, le Kosovo et l’Europe toute l’entière. Nous pensons que ce sont bien ceux qui ne l’ont pas encore compris qui font, malheureusement, passer la Communauté européenne pour une république bananière.

Nous invitons tous ceux qui partagent ce point de vue à le faire savoir au chef de l’ECLO (Khaldoun.SINNO@eeas.europa.eu), ainsi qu’à la Vice-présidente de la Commission européenne chargée de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté (viviane.reding@ec.europa.eu), et à diffuser ce message le plus largement possible.

Le spectacle se jouera à Prishtina, hors du programme officiel, grâce à la détermination des signataires.

- Marcel Courthiades, commissaire à la langue et aux droits linguistiques de l’Union rromani internationale,
- Dominique Dolmieu, artiste associé à la Maison d’Europe et d’Orient,
- Saimir Mile, président de La voix des Rroms,
- Jeton Neziraj, directeur artistique du Théâtre national du Kosovo,
- Christophe Sigognault, metteur en scène de la compagnie Saudade.

Le camp de Mérignac

par Emmanuel Filhol [Extrait] [1]


Selon des documents conservés aux archives départementales de la Gironde, le camp de Mérignac Beaudésert, ouvert sur la demande de l’occupant, fonctionne à partir du 17 novembre 1940.

Le 25 octobre 1940, le commandant Wagner de la Feldkommandatur 529 écrit au préfet de la Gironde :

« (...) le chef de l’Administration Militaire en France a prescrit que les Bohémiens séjournant dans les territoires occupés soient conduits dans un Camp de Concentration sous la surveillance des forces de police française et qu’il soit formellement interdit aux bohémiens de passer la ligne de démarcation du territoire non occupé. Je vous prie donc de rassembler dans un Camp et ce jusqu’au 31-10-1940 tous les bohémiens se trouvant dans votre département pour les faire garder par vos forces de police. Jusqu’au 1-11 me faire connaître les mesures prises avec dépôt du règlement du camp et des dispositions du Camp. Simultanément il faudra indiquer : 1° - Si et où un camp de bohémiens a été installé. 2° - L’importance de l’effectif du camp. 3° - Quelles possibilités complémentaires d’occupation existent encore [2]. »

L’arrêté préfectoral, promulgué deux semaines après, déclare dans son article premier :

« Il est créé dans la commune de Mérignac, au lieu dit Beau-désert , un camp destiné à recevoir tous les nomades sans exception de la Gironde » [3]. »

Notes

[1Université de Bordeaux 1, Centre de Recherches Épistémé, L’internement et la déportation de Tsiganes français
sous l’Occupation : Mérignac-Poitiers-Sachsenhausen, 1940-1945
(Texte paru dans la Revue d’histoire de la Shoah, sept.-déc. 2000, n° 170, p. 136-182)

Source : http://romsdemontreuil.free.fr/filhol.pdf

[2Arch. dép. de la Gironde, 71 W Vrac 670 : Rapport de Merville, Chef de Division sur la dissolution du Camp des Nomades.

[3AD Gironde, 58 W 82 : Nomades et Forains. Instructions 1940-1967.


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