censure au cinéma : le Conseil d’État donne encore une fois raison à une association d’extrême droite


article communiqué de l'Observatoire de la liberté de création  de la rubrique libertés > liberté de création
date de publication : mardi 2 juin 2015
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Belle réactivité du Conseil d’Etat qui a jugé ce lundi que le film Saw 3D, sorti en France le 10 novembre 2010 et vu par plus de 560 000 spectateurs en salles, « comportait de nombreuses scènes de très grande violence, filmées avec réalisme et montrant notamment des actes répétés de torture et de barbarie ». En conséquence, il a décidé de l’annulation du visa d’exploitation délivré en 2010 par le ministère de la Culture assorti d’une interdiction au moins de 16 ans.

Cette décision impose un réexamen du dossier par le ministère de la Culture et la délivrance d’un nouveau visa. Avec cette fois-ci, une interdiction à tous les mineurs. La décision « n’implique cependant pas que le ministre de la culture prenne les mesures nécessaires pour retirer le film litigieux des salles », précise le Conseil. En même temps, près de cinq ans après la sortie, on voit mal comment la situation aurait pu se présenter.

En 2010, l’association Promouvoir qui « se donne pour objet la promotion des valeurs judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale » dixit son site avait saisi le tribunal administratif de Paris ainsi que la cour administrative d’appel de Paris. Renvoyée par deux fois, l’association s’était alors présentée devant le Conseil d’Etat. Vu la publicité involontaire qu’elle offre au déjà oublié Saw 3D, l’asso Promouvoir porte effectivement bien son nom. Elle s’était (notamment) attaquée avec succès au film Antichrist de Lars Von Trier en 2009. En 2006, Saw 3 (sans le D, parce qu’en fait, le Saw 3D de 2010 est 7e volet de la gore saga - oui on s’y perd) avait écopé d’une rare interdiction aux moins de 18 ans validée par le ministre de la culture de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres. [1]


Communiqué de l’Observatoire de la liberté de création

Il est toujours malsain de laisser la culture aux mains des intégristes, d’où qu’ils viennent. L’association Promouvoir prétend défendre ce qu’elle entend être des valeurs judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale. Elle milite - d’après ses statuts - en faveur de sa conception de la « dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant » (rappelons que la dignité a été introduite dans le Code du cinéma en 2009, comme motif de censure). Elle se propose de faire obstacle au développement de l’ensemble des pratiques contraires à cette dignité, parmi lesquelles elle range indifféremment « l’inceste, le viol, l’homosexualité, la pornographie ou l’embrigadement par les sectes ». Elle n’a donc, par ses statuts, aucune compétence en matière de censure d’œuvres, mais personne ne semble avoir soulevé cet argument devant les juridictions que l’association saisit depuis 1994.

Voilà des années que l’Observatoire de la liberté de création dénonce le durcissement des critères de classification des films. Nouvelle démonstration : le Conseil d’Etat, parce qu’il estime qu’il n’est pas assez sévère, vient d’annuler le visa d’interdiction aux moins de 16 ans du film Saw 3, suite au recours de Promouvoir qui trouve dans les juridictions administratives une oreille de plus en plus attentive. Quant au ministère de la Culture, qui tente de sauver ses décisions, sans l’aide de la profession à qui il est bien difficile de défendre les outils qui la battent, peut-être aujourd’hui va-t-il percevoir que le système a touché le fond de son absurdité ? Si un film qui « heurte la sensibilité des mineurs » doit être interdit, comme le préconise le Conseil d’Etat, aux moins de 18 ans, partant du fait que tout peut « heurter la sensibilité des mineurs », mais aussi des adultes, le principe, établi depuis plus de vingt ans par la jurisprudence européenne, selon lequel les œuvres ont précisément le droit de choquer, de heurter, de faire bouger les lignes, d’ébranler les convictions, de provoquer le débat, ce principe vient de voler en éclats, à propos d’un film gore pour adolescents.

La motivation du Conseil d’Etat, hautement subjective, n’est pas tolérable. Outre qu’elle est fondée sur des critères qui ne sont pas prévus par la loi, elle est devenue à ce point imprévisible qu’un film se retrouve, de fait, interdit cinq ans après avoir été diffusé en salles de cinéma.

Que l’industrie du gore soit mise sérieusement en cause par cette décision n’est que l’écume des choses. Ce qui est plus grave dans cette décision, c’est le danger symbolique qu’elle représente pour toute la profession cinématographique. Il serait temps que celle-ci se lève unanimement et se batte, sinon de plus en plus d’annulations de visa auront lieu, et pas seulement pour les films « étrangers » comme ceux de Lars Von Trier, Larry Clark ou ici Darren Lynn Bousman.

Paris, le 2 juin 2015.

Notes

[1Référence : Libération le 2 juin 2015.


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