à quoi servent les caméras de vidéosurveillance ?


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : lundi 23 avril 2007
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« Mon problème est de rétablir un sentiment de sécurité » déclarait, dès 2002, Jean Claude Gaudin, maire de Marseille. Que les caméras fassent baisser ou non la délinquance lui importe peu, ce qu’il en attend — il n’est pas le seul : Aix en Provence, Toulouse... — c’est une diminution du sentiment d’insécurité.

L’inefficacité de ces caméras importe peu [1], ce qui inquiète c’est que leur mise en place « constitue une menace pour les droits fondamentaux que sont le respect de la vie privée et la liberté de mouvement » comme l’écrit la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l’Europe (" Commission de Venise ") en conclusion d’un avis public.

[Première publication, le 17 avril, mise à jour le 23 avril 2007]

Photo Stéphane Clad

Plus de caméras à Marseille : un débat pas très objectif

par Philippe Pujol, La Marseillaise du 20 mars 2007 (extraits)

Marseille a commencé par cinq caméras sur un site-pilote dans le centre-Ville, aux abords de la Canebière, suivies de cinq autres dans la rue Saint Ferréol, en juillet 2004. Coût de l’opération : 282 000 euros d’investissement auxquels il faut ajouter 82 000 euros par an au titre du fonctionnement. Le 19 mars 2007, la majorité UMP du conseil municipal a voté un crédit de 1 536 860 euros pour l’installation de 29 nouvelles caméras [2].

- 23 caméras municipales existent déjà dans Marseille.
4 à la fourière des Arnavaux, 5 à Noailles, 5 rue Saint Ferréol, 1 à la piscine Château-Gombert, 4 à la piscine Charpentier et 4 à la piscine Pont-de-Vivaux. « Toi là-bas, mets ton bonnet ! »

- 29 nouvelles caméras vont jalonner fin 2007 l’hypercentre de Marseille : Estienne d’Orves, Thiars, Opéra, Quai des Belges, bas rue de la République, rue d’Aubagne, Noailles, Saint Ferréol. Cela pour la modique somme de 1 536 860 euros.

- 12 écrans de surveillance sont actuellement allumés 4 à 5 jours par semaine de 7h à 19h au centre de supervision rue de Ponteves. 2 brigades de 2 opérateurs sont sensés les visionner. Un écran est annoncé au commissariat central — les policiers le cherchent encore.

« Si le résultat est positif, nous en mettrons 60 ou 80 sur l’ensemble de la ville » avait annoncé en 2002 le Maire, Jean Claude Gaudin, avant l’inauguration des 5 caméras de Noailles. Et à la Mairie, on reste toujours positif, même après avoir eu en main les conclusions de l’étude d’impact commandée au cabinet Suretis.
Pas terrible. Le stationnement s’est amélioré, le nettoyage un peu aussi, mais pour ce qui est de l’insécurité…
La Mairie a préféré remettre l’étude dans son pantalon. Il y a 15 jours La Marseillaise se l’est procuré (voir ci-dessous). Conclusion : « Privée de réponses adaptées et complémentaires qui optimisent son utilisation, la vidéosurveillance n’est pas plus efficace que l’œil humain ». Mais contrairement à l’œil humain les seuls frais d’entretient pour les 29 nouveaux yeux électroniques s’élèveront à environs 200 000 euros.
C’est que les problèmes techniques ne sont pas rare : « une qualité et réception de l’image relativement moyenne voire passable ». Et pour ce qui est des moyens humains, les conclusions ne sont pas flatteuses : « une vidéosurveillance à éclipses, avec 31,6% de journées non surveillées » Le reste du temps, 12 écrans ne sont visionnés « à certain moment que par un seul opérateur ».
Autre fiasco, la très mauvaise coordination. Un exemple : Depuis le début un « renvoi d’images à la Police Nationale » est claironnée sur tous les communiqués de presse et autres rapports rédigés par la Mairie de Marseille. Du côté de l’Hôtel de police (Nationale), on n’est au courant de rien. Personne ici n’a jamais vu une seule image en provenance de l’une des caméras municipales.
Mais tous ces échecs ne perturbent pas José Allégrini l’adjoint chargé de la Police Municipale. Son rapport présenté ce lundi en conseil municipal précise que le nouveau dispositif « s’appuie sur les expériences en cours dans deux secteurs déjà équipés, qui d’ailleurs ne seront totalement efficaces que rattachés à un réseau plus vaste, objet de cette opération ».

C’est donc parce que l’actuel dispositif est un échec qu’il faut l’étendre partout !

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Des caméras en chocolat pour napper l’électorat

par Philippe Pujol, La Marseillaise du 2 mars 2007

Une étude confidentielle que nous nous sommes procurée conclut à une inefficacité indéniable de la vidéosurveillance dans le quartier marseillais de Noailles. Pourtant, le dispositif va être prochainement étendu.

Un homme urine contre un mur délabré. Derrière lui, deux types nerveux proposent inlassablement au flux continu de passants, l’un des cigarettes de contrebande, l’autre des téléphones portables probablement volés. Au-dessus d’eux, une caméra de vidéosurveillance prend le soleil.

« La caméra ? Il n’y a personne derrière « ironise le vendeur de cigarettes dans un haussement d’épaules. « Les seuls qu’ont peut craindre, c’est les flics en civil qui passent de temps en temps « confie celui qui remonte sa braguette en regardant à droite et à gauche. « La haut, il n’y a personne, assure-t-il, au début on faisait gaffe, on allaient plus loin. Comme personne ne se faisait jamais chopper à cause d’elles, on est revenu ici « . Lui vend des parfums, « pas cher… j’te fais un prix ».

Les 5 caméras de vidéosurveillance avaient été installées dans le quartier de Noailles le 17 février 2003. La décision en avait été prise lors du Conseil Municipal du 25 novembre 2002, à la sortie d’un martèlement médiatique insécuritaire avec l’élection de Jacques Chirac. Avec, Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur, voilà plus de 185 municipalités à jouer les Spielberg fin 2003. D’abord quelques caméras, cette « première phase d’expérimentation « décidée par la Ville de Marseille (seul les Communistes et les Verts avaient voté contre) pour » accentuer la dissuasion auprès des délinquants potentiels « et « évaluer les impacts et limites d’un tel dispositif  ». Ensuite, viennent des extensions sur les grands axes des Villes. A Marseille, après quatre nouvelles caméras installées sur la rue commerçante Saint Ferréol, le Conseil Municipal du 19 mars prochain décidera de l’installation de 29 nouveaux yeux indiscrets sur les bientôt flambants neufs Vieux Port, rue de la République, Canebière, Longchamp et Saint-Charles.

« Le dispositif de vidéosurveillance s’étend sans que nous n’ayons jamais eu les rapports d’étape de son efficacité sur Noailles puis sur la rue Saint Ferréol  » s’insurgent en chœur Annick Boët présidente du groupe communiste à la mairie de Marseille ainsi que celui des Verts, Christophe Madrole. « Il suffit d’aller à Noailles pour constater que ces caméras ne sont que du décor  » constate Patrick Menucci le président du groupe socialiste au conseil municipal.

« Une étude d’impact sur les 5 caméras de Noailles, seraient stupides, tempête José Allégrini adjoint chargé de la Police Municipale, le quartier n’est pas fermé, ce n’est pas la cour des miracles  » argumente-t-il justifiant par la même l’extension du dispositif.

la Ville de Marseille tourne un nanar plutôt qu’un film d’auteur

Pourtant, La Marseillaise s’est procurée cette « stupidité  », une étude confidentielle commandée par la Municipalité au cabinet Suretis (groupe caisse des dépôts) intitulé « Evaluation des impacts de la vidéosurveillance du site pilote Noailles ». José Allégrini l’a eue en main le 16 décembre 2003.

A l’occasion de l’inauguration des caméras de la rue Saint Ferréol, dans un communiqué de presse du 15 juillet 2004, la mairie de Marseille se persuadait qu’« après plusieurs mois d’exploitation, le constat des premiers résultats est encourageant  ». Le tout accompagné de chiffres farfelus (heure par heure) sur une baisse de la délinquance.

Ce n’est cependant pas ce qui sort de l’étude de Suretis effectué sept mois après l’installation. Extraits : « l’observation objective du quartier Noailles, celle que chacun peut simplement faire, ne permet pas de constater des modifications spectaculaires entre la période antérieure et celle postérieure à l’installation des caméras ».

Ou encore, « Les vendeurs à la sauvette sont encore très nombreux, surtout rue Longue où ils peuvent stationner à plus de 20 à l’angle de la rue du Musée  ».

Puis, « à une exception, toutes les personnes rencontrées quelles soient "pro" ou "anti" vidéo, font un constat négatif de la situation du quartier et jugent la vidéosurveillance inefficace  ».

Pour tout ce qui touche l’insécurité, le constat tombe : les caméras sont en chocolat.
Il y a bien cependant quelques améliorations, « le stationnement sauvage » ou encore « les commerçants [qui] semblent utiliser correctement les containers… ». Pour José Allégrini, c’est un peu « le jeu de l’arroseur arrosé, on a ainsi coincé des commerçants qui réclamaient les caméras  ».

Quelques menues améliorations en matière de propreté et un fiasco sur l’insécurité, pas de quoi fanfaronner en effet de la part de la Municipalité qui n’avait rien à gagner à rendre public cette étude.

On peut se demander d’ailleurs s’il est de toute façon raisonnable de dépenser une fortune dans ces systèmes pour n’attraper que des vendeurs à la sauvette à qui on mettra des amandes qu’ils ne paieront pas puisque généralement insolvables.

José Allégrini n’a jamais vraiment contesté cette inefficacité, « il faut que nous maîtrisions l’ensemble de la boucle », « les services de police intègrent progressivement les caméras dans leur façon de travailler  » argumente l’adjoint au Maire. Le nombre de caméra ne fait pas le réalisateur, et la Ville de Marseille tourne un nanar plutôt qu’un film d’auteur.

Dans la conclusion de l’étude, Suretis tire cet enseignement : « l’expérimentation du site Noailles n’est pas aujourd’hui suffisamment concluante pour modéliser une extension du système de vidéosurveillance sur d’autres quartiers…  ». Six mois après avoir pris connaissance de cet avis, la Mairie inaugurait en juillet les caméras rue Saint Ferréol. Un mois plus tard un vigile des Galeries Lafayette recevait plusieurs coups de couteau au pied de l’une d’elle, l’agresseur s’enfuyant par le quartier Noailles. Pas une vidéo n’a pu être exploité.

« Il n’y a personne derrière les écrans de surveillance » assure Patrick Menucci. Des policiers le confirment. « Sans moyens de terrain, les caméras ne servent à rien  » soutient Diégo Martinez, secrétaire départemental adjoint du syndicat Unsa-Police, « elle ne remplace en rien une police de proximité  ».

Annick Boët : « une ville pauvre comme Marseille n’a pas les moyens de jeter de l’argent par les fenêtres »

Pourquoi si l’échec de la vidéosurveillance dans sa lutte contre l’insécurité est si évident, son succès au sein de nombreuses municipalités (Toulon, Orange, Avignon…) devient toujours plus important ?

Rassembler sur la peur. L’important n’étant pas de faire baisser l’insécurité mais seulement le sentiment d’insécurité. Efficace ou non, les caméras rassurent beaucoup de monde… l’œil bienveillant des autorités publiques. Les intérêts politiciens comme les intérêts économiques l’ont bien intégré. Les premiers flattent un électorat, les deuxièmes s’ouvrent d’immenses nouveaux marchés. Si l’on considère le coût des caméras de Noailles on peut estimer à 1,04 millions d’euros l’investissement pour les 29 nouvelles caméras annoncées par la Municipalité avec un coût de fonctionnement annuel de 197 000 euros. Voilà des caméras qui ne sont pas inefficaces pour tout le monde.

Annick Boët relève aussi que « les caméras seront placées le long du tracé du tramway dans le centre ville  ». L’élue communiste considère cela comme « un argument de plus dans la revalorisation du foncier « et voit la vidéosurveillance marseillaise comme un unique » outil de spéculation « soulignant « qu’une ville pauvre comme Marseille n’a pas les moyens de jeter de l’argent par les fenêtres  ».

Comme en 2002, Les communistes et les Verts voteront « non « au projet le 19 mars, Patrick Menucci explique se « donner 15 jours avant de prendre une décision ».

L’explication de l’absence quasi totale de débat public autour de la vidéosurveillance en France trouve dans la description que l’étude de Suretis fait du quartier Noailles un brillant écho : « Beaucoup acceptent une situation qui finalement arrange tout le monde, à savoir que le désordre permet à chacun de faire ce qu’il veut ».

Philippe Pujol

Les Aixois bientôt sous vidéosurveillance

La Provence mercredi 21 février 2007

Le conseil municipal a adopté lundi soir la prochaine installation de 38 caméras, principalement dans le centre-ville.

Toutes les caméras ont fait l’objet d’une autorisation préfectorale quant à leur emplacement, leur angle de vue et leurs possibilités de rotation.

Dans l’opposition, Cyril di Meo des Verts a réaffirmé son hostilité à la vidéo surveillance : "Nous avons un effet d’annonce car nous savons que la délinquance ne disparaît pas grâce à la vidéosurveillance (surtout de ce type) mais se déplace".

La police municipale sera chargée de contrôler les images qui seront effacées au bout de cinq jours. Le coût total de l’opération est d’environ 605 000 euros.

COMMUNIQUE de la section toulousaine de la LDH

Vous trouverez ci-après le courrier adressé par la section toulousaine de la LDH de Toulouse à M. J.L. MOUDENC, maire de Toulouse, qu’elle a décidé de rendre public.

Monsieur le Maire,

C’est avec un important retard dont je vous demande de m’excuser que je réponds à votre courrier concernant la mise en place du dispositif de vidéosurveillance en cette ville.

A cette occasion, vous proposez à la Ligue des droits de l’Homme de Toulouse d’intégrer un comité d’éthique chargé de veiller aux conditions de fonctionnement de ce dispositif.

Comme je l’ai déjà indiqué à M. Christian RAYNAL, nous avons décidé de décliner cette invitation.

En effet, et nous l’avons exposé et argumenté à maintes reprises, nous sommes fermement opposés à la mise en place de ces caméras dont les effets négatifs (atteintes permanentes à la vie privé, effets de déplacement des incidents éventuels, déshumanisation des fonctions de maintien de la sécurité publique…) l’emportent sur ce qu’elle pourrait apporter.

Si la section toulousaine de la LDH est ouverte à toute participation à des démarches visant le mieux vivre citoyen dans notre ville, elle ne saurait s’engager à ce jour dans le cadre d’une politique municipale sécuritaire dont elle désapprouve les principes.

Pour autant que vous décidiez de bien vouloir nous rencontrer, comme nous vous en avons fait la demande à plusieurs reprises, sachez que nous sommes toujours preneurs d’un échange approfondi sur les questions actuelles liées au respect des droits et libertés à Toulouse.

Compte tenu de la nature du sujet sur lequel porte ce courrier, vous comprendrez que nous le rendions public.

Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l’expression de nos sincères salutations.

P.-S.

[Strasbourg, 11.04.2007] - La Commission européenne pour la démocratie par le
droit du Conseil de l’Europe (" Commission de Venise ") a rendu public un avis
sur la compatibilité entre la surveillance vidéo des lieux publics par des
opérateurs publics et la protection des libertés fondamentales [3].

La Commission de Venise a conclu que cette pratique constitue une menace pour
les droits fondamentaux que sont le respect de la vie privée et la liberté de
mouvement, et touche aux questions spécifiques de la protection des données
personnelles ainsi recueillies.

Quand bien même il peut exister des impératifs de sécurité publique, elle
invite les Etats membres à prendre des mesures visant à :

  • signaliser systématiquement les zones filmées ;
  • mettre en place, au niveau national, un organe indépendant afin de garantir
    la légalité de telles installations, conformément aux exigences de la
    Convention européenne des Droits de l’Homme et des textes internationaux
    relatifs à la collecte et à la protection des données.

Notes

[1Concernant l’inefficacité de la vidéosurveillance, on pourra prendre connaissance d’un rapport récent.

[2Les communistes et les Verts ne voulaient déjà pas en 2002 de caméras de surveillance. Les socialistes qui avaient alors voté « oui » se sont, au conseil municipal de lundi, abstenus.

[3Source : http://www.venice.coe.int/docs/2007....

Organe consultatif du Conseil de l’Europe composé d’experts indépendants sur
les questions constitutionnelles, la Commission de Venise compte actuellement
48 Etats membres (L’Argentine, le Canada, la Corée, les Etats-Unis, le Japon, le Kazakhstan, le Mexique, le Saint-Siège et l’Uruguay bénéficient du statut d’observateur,
le Bélarus du statut de pays membre associé et l’Afrique du Sud d’un statut
spécial de coopération.)


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