à l’ombre de la nouvelle loi de programmation militaire : l’extension du “secret défense” et de nouveaux moyens pour museler la contestation


article de la rubrique Big Brother > le secret défense
date de publication : jeudi 6 août 2009
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La loi N° 2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 est parue au Journal officiel du 31 juillet 2009 [1].

La loi étend le domaine couvert par le « secret de la défense nationale ». Le communiqué publié à l’issue du Conseil des ministres du 29 octobre 2008 au cours duquel le projet de loi avait été adopté [2], l’avait évoqué : « afin de mieux concilier les objectifs constitutionnels de recherche des auteurs d’infractions et de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, une procédure spécifique, faisant intervenir la commission consultative du secret de la défense nationale, autorité administrative indépendante, est établie pour le déroulement des perquisitions réalisées dans les lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale ou dans les lieux classifiés au titre du secret de la défense nationale. »

D’autre part, on peut craindre, avec Claude-Marie Vadrot, qu’elle ne permette au final de poursuivre des militants écologistes et associatifs lorsque, par leurs actions, écrits ou propos, ils mettront en cause les « intérêts fondamentaux de la Nation ».

[Première mise en ligne le 14 juillet 2009, mise à jour le 6 août 2009]



Voir en ligne : renforcer le secret défense pour mieux protéger les “secrets d’État”

L’extension du secret-défense définitivement adoptée

par Patrick Roger, Le Monde du 18 juillet 2009


Le Sénat a adopté dans la nuit du jeudi 16 au vendredi 17 juillet, dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale, le projet de loi de programmation militaire 2009-2014, rendant ainsi son adoption définitive. Le texte prévoit une enveloppe de 185 milliards d’euros, la fermeture d’environ 80 unités militaires et la suppression de 54 000 emplois militaires et civils. La majorité n’avait déposé aucun amendement. Les 137 amendements des sénateurs de l’opposition ont tous été rejetés. La gauche a dénoncé "un simulacre de débat", considérant que certaines questions majeures avaient été escamotées.

Ainsi l’ancien ministre de la défense Jean-Pierre Chevènement, sénateur du Territoire-de-Belfort et affilié au groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), a-t-il fustigé "le concept de sécurité nationale" utilisé dans ce texte, qui, selon lui, "aboutit à des dérives potentielles". "Le risque est dans le glissement vers une sorte d’ennemi intérieur qui se substituerait à l’ennemi tout court", a-t-il estimé.

Le débat s’est aussi porté sur l’extension du secret-défense, qui ne s’appliquera plus seulement à des documents classifiés comme tels mais à des lieux, placés hors du droit commun et dans lesquels les magistrats ne pourront plus pénétrer en dehors d’une procédure très stricte. La liste de ces lieux - "une vingtaine", selon Matignon - sera fixée par décret. "Il est regrettable que la question du secret défense n’ait pas bénéficié, à elle seule, d’un débat au fond, a estimé Robert Badinter (PS, Hauts-de-Seine). Le secret-défense est conçu pour protéger les intérêts vitaux de la nation. Il ne saurait se muer en une protection que le pouvoir politique étendrait, pour des raisons politiques, sur certains."

Soulignant que le secret-défense ne devait pas être synonyme de "secret des affaires", l’ancien ministre de la justice a considéré qu’"il y a un immense danger à désigner des lieux où les magistrats ne pourront plus se rendre, sinon avec l’aval de l’autorité administrative". "C’est ainsi que l’État de droit se dissout quand la raison d’État commande", a-t-il conclu.

Les inquiétudes de M. Badinter faisaient écho à celles qui s’étaient fait jour, en première lecture, à l’Assemblée nationale. Le président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann (UMP, Ardennes), avait dénoncé cette "révolution dans le droit français" qui aboutirait à créer "des zones de non-droit législatives" (Le Monde du 10 juin). A l’issue des débats à l’Assemblée, le gouvernement avait accepté un compromis limitant la liste des lieux classifiés et rendant celle-ci accessible aux magistrats.

Patrick Roger


Extension du domaine du secret défense

par Philippe Leymarie, Les blogs du Diplo, mercredi 17 juin 2009


Quelle mouche a piqué M. Hervé Morin ? Dans la loi de programmation militaire pour 2009-2014, adoptée ce mardi 18 juin par l’Assemblée nationale, le ministre français de la défense a fait insérer une disposition concernant l’extension du champ du « secret défense », qui a priori n’a rien à faire dans ce type de texte. Cette diposition marque, en outre, une rupture avec la tradition juridique : pour la première fois, le « secret défense » – objet déjà de nombreuses controverses dans le passé – ne portera plus seulement sur des documents classifiés, mais sur des lieux où ils pourraient être détenus, ce qui équivaut, selon le président de la commission des lois, l’UMP Jean-Luc Warsmann, à « la création de zones de non-droit législatif où les magistrats ne pourront jamais entrer ».

L’actuel Code pénal « se contente de renvoyer aux règles administratives prévoyant la classification des informations et données sensibles, explique Nicolas Braconnay, membre de l’Union syndicale des Magistrats. La décision de classification constitue un pouvoir discrétionnaire de l’administration, appartenant à chaque ministre dans les conditions fixées par le Premier ministre. Trois niveaux de classification existent, correspondant au niveau de sensibilité de l’information protégée et au niveau d’habilitation permettant d’y accéder »
 [3].

Mais, à l’avenir, le gouvernement français souhaite éviter d’avoir à faire face à des perquisitions surprise décidées par des juges d’instruction, comme cela s’est produit dans le cadre des enquêtes sur les affaires des frégates de Taïwan, du dossier Clearstream ou de la mort du juge Borrel. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité publié en juin 2008, qui met l’accent sur le renseignement, présenté désormais comme la première fonction stratégique, prévoyait effectivement un renforcement de la protection du secret de la défense nationale, en y incluant « certains lieux très sensibles, dont l’existence ou l’objet relève en lui-même du secret de la défense nationale  ». Et il ajoutait : « Des règles spécifiques pour les perquisitions judiciaires effectuées dans des lieux classifiés ou abritant des secrets de la défense nationale feront également l‘objet de dispositions législatives ».

Effet de surprise

Consulté pour avis sur ces articles 12 à 14 inclus dans le projet de loi de programmation, M. Jean-Luc Warsmann, pourtant membre de la majorité présidentielle, a estimé « du devoir de la commission des lois d’appeler les députés à ne pas apporter leurs voix » à un texte qui constitue « une révolution dans le droit français » : « C’est en somme l’autorité perquisitionnée qui autorisera le magistrat à diligenter sa perquisition, s’indigne également le magistrat Nicolas Braconnay, le pouvoir exécutif est mis en mesure de faire obstacle, frontalement et sans recours prévu, à un acte juridictionnel ». De fait, un magistrat souhaitant procéder à une perquisition devra s’informer au préalable auprès de la Commission consultative du secret de la Défense nationale (CCSDN), et se faire accompagner par le président de cette instance gouvernementale.

Mais c’est la commission de la défense à l’assemblée nationale, rapporteur du texte, qui a eu le dernier mot, après avoir inclus quelques aménagements de nature à « calmer » la commission des lois :

- finalement, les lieux classés « secret défense » [4] – au nombre de dix-neuf « pour l’instant », a assuré le ministre Hervé Morin – ne le seraient que pour une durée de cinq ans ;
- la décision du premier ministre sur ce classement serait publique (alors qu’il avait été envisagé par la commission de la défense de… garder secrète la liste des lieux secrets, de telle sorte qu’aucun recours juridictionnel n’aurait jamais été possible) ;
- et des garanties seraient apportées pour conserver à une éventuelle perquisition son effet de surprise, et éviter ainsi les détournements et autres manœuvres de « nettoyage » de terrain.

Délit de compromission

Mais on voit mal en quoi pourraient consister ces garanties, puisqu’aucun de ces sanctuaires ne serait – par définition – visitable sans habilitation préalable. Le magistrat souhaitant mener une perquisition devra en informer préalablement le président de la Commission Consultative du Secret de la Défense Nationale (CCSDN), et lui indiquer la nature de l’infraction poursuivie, les raisons de la perquisition et l’objet de sa recherche. Il devra accepter d’être accompagné, dans cette perquisition, par cette autorité gouvernementale ou son représentant.

Dans un avis rendu en avril 2007, le Conseil d’Etat avait confirmé qu’un « juge d’instruction n’avait pas à solliciter d’autorisation pour pénétrer dans une zone protégée ». Mais avait appelé également le pouvoir législatif à « fixer précisément les conditions dans lesquelles peuvent être saisis et mis sous scellé des documents classifiés dont l’autorité judiciaire ne peut savoir s’ils sont utiles à son instruction ». Le ministre Hervé Morin, pour justifier cette nouvelle disposition sur le secret défense, n’a pas manqué de faire valoir qu’un magistrat ayant saisi des documents dont il s’avérait qu’ils sont couverts par le secret défense, se retrouvait sous le coup d’un « délit de compromission du secret défense », en violation de l’article 413-10 du code pénal… [5]

Carte militaire

Ce débat politico-juridique sur l’extension du secret défense a fait passer au second plan l’essentiel de la loi de programmation, qui sert de cadre à une réforme capitale du secteur de la défense sur les cinq ans à venir, avec une saignée sensible des effectifs, et un bouleversement de la « carte militaire » qui n’est pas sans incidence sur l’aménagement du territoire :

- dissolution de 83 unités et sites militaires, dont 11 dès cette année ;
- transfert d’une trentaine d’autres ;
- création d’une soixantaine de « bases de défense » interarmées, par regroupement des services ;
- suppression sur 5-6 ans de 54 000 emplois militaires et civils (sur 320 000) ;
- mise en place d’un Conseil de défense et de sécurité nationale, présidé par le chef de l’Etat, et d’un Conseil national du renseignement chargé de piloter les différents services, également à partir de l’Elysée ;
- Ouverture au privé du capital d’entreprises du secteur de la défense, comme l’ex-Direction des constructions navales (DCNS) et la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE).

En contrepartie, le gouvernement a cherché à « sanctuariser » les crédits de la défense, qui devraient rester à leur niveau actuel, grâce à un coup de pouce compensant chaque année l’inflation. Après 2011, ce budget augmentera – outre le rattrapage inflation – de 1 % chaque année. Sur la période 2009-2014, 186 milliards d’euros devraient ainsi être affectés à la défense, dont 102 milliards pour l’équipement. Pour marquer la priorité attribuée désormais à l’anticipation et à la prévention des crises, sept cents postes seront d’ailleurs ouverts durant cette période au sein des services de renseignement...

Philippe Leymarie


Loi de programmation militaire :
comment faire taire les militants

par Claude-Marie Vadrot, Politis, le 11 juin 2009


La ministre de l’Intérieur, sur suggestion de l’Élysée et de quelques parlementaires, prépare en secret un arrêté fondé sur un projet de loi signé du Premier ministre et du ministre de la Défense, prêt depuis le mois d’octobre 2008. Il s’agit de la loi 1216 de programmation militaire pour 2009-2014 : un texte plutôt banal s’il ne prévoyait, dans son article 5, de réorganiser et de redéfinir tout ce qui touche à la sécurité intérieure. Ce qui, une fois la loi votée, autorisera la publication d’un ou plusieurs décrets permettant de poursuivre notamment les militants écologistes et associatifs lorsque, par leurs actions, écrits ou propos, ils mettront en cause« les intérêts de l’État ». Dans ces « intérêts » seraient notamment inclus ce qui concerne les centrales, les transports nucléaires et le stockage des déchets, mais aussi ce qui touche aux installations industrielles et aux stockages classés « Seveso », qu’il s’agisse d’usines manipulant des substances dangereuses ou d’aires abritant des cuves de produits chimiques. Ce texte aurait aussi comme conséquence d’aggraver les peines encourues par les faucheurs d’OGM, car il permettrait de poursuivre les individus et les associations mettant en cause les intérêts économiques stratégiques de la France.

Dans l’exposé des motifs de la loi, on trouve en effet ce paragraphe : « Les attributions, déjà codifiées, des ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de l’Économie et du Budget sont redéfinies en fonction des différentes politiques qui entrent dans leur champ de compétence et concourent à la stratégie de sécurité nationale. Au-delà de ces modifications, et dans le prolongement des orientations du Livre blanc, des attributions particulières en matière de sécurité nationale du ministre de la justice et des ministres chargés de la Santé, de l’Environnement, des Transports, de l’Énergie et de l’Industrie sont codifiées. »

Au nom de la sécurité nationale, le décret en préparation permettrait donc de placer sous la protection de cette dernière toutes les actions et informations liées, par exemple, à l’environnement et aux infrastructures contestées par les associations de protecteurs de la nature et les organisations écologistes. De la même façon, tout ce qui concerne le changement climatique pourra entrer dans les informations classifiées interdites de divulgation. Classification qui, d’une part, sera bien entendu à la discrétion souveraine du gouvernement en place et qui, d’autre part, sera opposable à la fois aux militants, aux associations et aux juges d’instruction. S’ils existent encore. Les écolos ne sont bien sûr pas les seuls visés : ce texte à tout faire permettrait de poursuivre tous les agissements « déviants ».

Il deviendrait donc plus difficile d’exercer une contestation écologique. Ce dispositif pourrait être complété dès l’automne par une circulaire ou un décret – ce n’est pas encore décidé – qui compliquerait la tâche des citoyens et des associations de protection de la nature voulant attaquer des décisions de l’État et des collectivités territoriales devant les tribunaux administratifs. Les élus se disent lassés des remises en cause de permis de construire ou des tracés de routes. Depuis plusieurs années, les associations de maires demandent au gouvernement une restriction de la contestation « administrative » pour abus de pouvoir et non-respect des règles d’enquête publiques. En oubliant de rappeler que le recours aux tribunaux administratifs est souvent la seule arme des écologistes et des associations de protection de la nature.

Entre les possibilités de criminalisation de la contestation écologique et les restrictions aux recours administratifs, si ces deux réformes entrent en vigueur, l’écologie devrait peu à peu cesser de gêner le pouvoir. Pour l’instant, il est encore, au moins, possible de l’écrire sans encourir le risque d’être poursuivi... pour outrage au gouvernement.

Claude-Marie Vadrot [6]


Notes

[1La loi N° 2009-928 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense : http://legifrance.gouv.fr/affichTex....

[2Le communiqué publié à l’issue de ce Conseil des ministres : http://www.elysee.fr/download/?mode....

[3Note publiée sur le site Terranova.

[4Il s’agirait, selon l’exposé des motifs de la loi, de « services administratifs sensibles ou certains locaux d’entreprises privées intervenant dans le domaine de la recherche ou de la défense ». On ne saurait être plus précis…

[5L’ONG Transparence internationale (France), qui a exprimé le 8 juin dernier ses “inquiétudes” à propos de la teneur de ce texte législatif, avait publié en avril 2008 un rapport sur les excès de la procédure du secret défense.

[6Claude-Marie Vadrot est enseignant à l’Université de Paris 8. Le 27 mars dernier, l’accès au Jardin des Plantes ne lui a été accordé qu’à condition qu’il promette de ne pas parler de politique à ses étudiants et aux autres professeurs – voir http://www.mediapart.fr/club/blog/c....


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