Une décision de justice difficile à comprendre : un lycéen déclaré coupable de violences volontaires — sans que le caractère volontaire ait été établi — avec ajournement de la peine.
Quoi qu’il en soit, le mouvement lycéen a repris le 22 avril, avec l’annonce d’une nouvelle manifestation pour jeudi 24 avril (rendez-vous à 10h30, Place de la Liberté).
Communiqué de la section de Toulon de la LDH
Toulon, le 18 avril 2008Coupable… pour l’exemple ?
Depuis fin mars 2008, de nombreux lycéens varois manifestent, protestant, comme des milliers d’autres en France, contre la suppression massive de postes d’enseignants.
Jeudi 3 avril, la police entreprend de libérer les accès de plusieurs lycées de l’agglomération toulonnaise. Afin de stabiliser des poubelles entassées devant l’entrée du lycée Bonaparte, Jason, jeune majeur, élève de terminale ES du lycée, tente de les attacher à une grille à l’aide d’une chaîne. Mais lorsqu’un policier tire une extrémité, Jason lâche l’autre et la chute de la chaîne contusionne le fonctionnaire de police – il bénéficiera d’une ITT de 24 heures.
Jason, interpellé, passe 24 heures en garde à vue, avant d’être inculpé de « violences volontaires envers une personne dépositaire de l’autorité publique ».L’affaire est passée aujourd’hui, 18 avril, devant le tribunal correctionnel de Toulon présidé par Madame Bloch. Les débats n’ont pas permis d’établir le caractère volontaire des faits reprochés à Jason – le policier lui-même n’a pu se prononcer sur ce point. Au cours de sa plaidoirie, Maître Bochnakian devait rappeler que des avocats avaient eu récemment recours à des enchaînements pour protester contre la réforme de la carte judiciaire.
Cependant, le tribunal, suivant les réquisitions du substitut, devait déclarer Jason coupable, avec ajournement de la peine au 3 octobre 2008, décision accompagnée de 500 euros de dommages et intérêts et de 300 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Décision difficile à comprendre !
A la sortie du tribunal, les lycéens, qui ont toujours manifesté pacifiquement et qui se sont comportés de façon tout à fait raisonnable pendant l’audience, ne cachaient pas leur incrédulité devant la condamnation de leur camarade – condamnation qui figurera à son casier judiciaire – alors qu’aucune peine n’a été prononcée. Réaction partagée par les différents syndicats (*) qui avaient apporté leur soutien aux lycéens.
Faut-il voir dans cette décision du tribunal une tentative d’intimidation du mouvement lycéen ? S’il en était ainsi, il faudrait craindre que cette décision « anecdotique » n’ait un effet opposé et, loin d’apaiser les esprits, ne soit perçue comme une injustice.
(*) FSU, CGT Educ’Action, FNEC-FP-FO, SUD Education, Sgen-CFDT, UNSA Education, SNCL-FAEN, UNL, UNEF.
Un extrait du compte-rendu de l’audience paru dans Var-Matin, le 19 avril 2008 :
La victime est un policier. Le 3 avril, au cours des manifestations de lycéens devant Bonaparte, à Toulon, il avait été blessé au visage par une chaîne, destinée à tenir des containers disposés devant la grille d’entrée de l’établissement. « Je n’ai jamais lâché intentionnellement la chaîne dans le but de blesser le policier », a expliqué le lycéen à la barre. « Je me souviens que trois individus sont montés sur des poubelles. A un moment, j’ai vu un bras descendre, puis une chaîne. J’ai tiré très fort pour la libérer. De l’autre côté aussi... », a raconté le fonctionnaire. « Êtes-vous sûr qu’il s’agissait d’un geste volontaire avec cette chaîne ? », lui a demandé la présidence Bloch. « Je ne sais pas. Et je ne peux pas identifier la personne qui m’a blessé. »
Hier, les débats n’ont pas réussi à dissiper le flou dans ce dossier délicat. Mais sincèrement désolé, Jason a présenté ses excuses au policier qui ne les a pas rejetées.
[...] Damien Martinelli, représentant le procureur de la République, s’est lancé, toutes mâchoires serrées, dans un réquisitoire sévère : « Il ne fait aucun doute du caractère volontaire de son geste », a-t-il lancé au prévenu. « Les blessures du policier auraient pu être infiniment plus graves et, dans cette affaire, on n’aurait jamais dû en arriver là... »
Fred Dumas
La FSU :
Pour la FSU, Michel Fortuna est « scandalisé » de ce jugement pour une « peccadille » et de poursuivre : « c’est une volonté d’intimider le mouvement lycéen. Mais ce mouvement n’est pas prêt de s’arrêter, nous allons rentrer de vacances et nous allons prendre la relève des Parisiens pour combattre cette remise en cause du service public. C’est une sanction politique, on est dans un état policier. » [1]
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L’intersyndicale :
Les organisations soussignées se déclarent indignées par le jugement rendu à l’encontre de Jason, lycéen de Bonaparte à Toulon.
Depuis plusieurs semaines, partout en France, les personnels et les lycéens se mobilisent contre la casse du service public d’Education.
Ils s’opposent aux suppressions de postes, à la diminution de l’offre de formation, à la fin programmée du statut de la fonction publique dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.
Ils ont montré leur colère lors d’actions soutenues par les organisations syndicales : grèves et manifestations, blocage de l’Inspection Académique, occupation de lycées, débrayages...Alors qu’il participait à une action de mobilisation pour la manif lycéenne du jeudi 3 avril à Toulon, Jason a été interpellé et cité devant le Tribunal correctionnel.
Vendredi 18 avril, il a été reconnu coupable. De surcroît le prononcé de la peine est renvoyé au 3 octobre. Cette condamnation est totalement disproportionnée par rapport aux faits dont furent témoins des élèves et des enseignants.
Ce jugement extrêmement sévère intervient dans le contexte d’un mouvement social dans l’Education et vise sans doute à intimider l’ensemble des lycéens et discréditer le mouvement.Sur le fond, c’est bien la politique budgétaire de ce gouvernement qui est en cause avec ses milliers de suppressions de postes dans l’Education nationale.
Les manifestations et les grèves contre cette politique vont se poursuivre.Nous appelons à renforcer encore les mobilisations dans l’unité la plus large.
Signataires : FSU, CGT Educ’Action, FNEC-FP-FO, SUD Education, Sgen-CFDT, UNSA Education, SNCL-FAEN, UNL, UNEF.
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L’AG des enseignants du lycée Bonaparte :
« Réunis en AG le lundi 21 avril 2008, les professeurs du lycée Bonaparte à Toulon sommes indignés par le jugement rendu à l’encontre de Jason, élève de notre lyée, reconnu coupable de violences volontaires envers une personne dépositaire de l’autorité publique Cette condamnation nous semblel infondée aux vues des faits dont furent témoins des élèves et un enseignant. Ces témoins affirment qu’il s’agit d’un accident, et que Jason n’a pas agressé le policier. En outre, le comportement des éièves faisant le blocus et lors des différentes manifestations a toujours été correct. Nous craignons que cette décision de justice ne soit perçue comme une injustice par nos élèves » [2]
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Le PCF du Var :
« en laissant ainsi planer une épée de Damoclès sur le sort du lycéen, la justice semble réserver sa décision finale à un moment où le mouvement social sera moins intense et où elle aura alors la possibilité de lui infliger une peine dans un climat qu’elle espère sans doute indifférent. Il est extrêmement regrettable que, face à un mouvement s’étant jusqu’à présent avéré pacifiste et bon enfant, les forces de l’ordre et certains magistrats utilisent de tels procédés qui confinent à l’intimidation et de nature à envenimer la situation. » [3]
Mardi 22 avril :
Deux mille lycéens sur le pavé toulonnais
par F. Dumas, Var-Matin, le 23 avril 2008« Rendez-vous à 10h30 sur la place de la Liberté ». Le mot est passé rapidement dans tous les établissements lycéens de Toulon et sa région avant-hier soir. A l’heure dite, deux mille lycéens de Langevin, Beaussier (La Seyne), La Coudelière (Six-Fours), Bonaparte, Rouvière, Dumont d’Urville (Toulon) et du Coudon (La Garde) étaient prêts à défiler sous la bannière principale qui donnait le ton de la manifestation : « Touchez pas à nos profs. Pensez à notre avenir ».
Moins nombreux que lors de la précédente manifestation nationale (ils étaient alors 3 500 à Toulon), ils n’en étaient pas moins déterminés.
« Malgré la pression mise sur les lycéens après le passage au tribunal de Jason, nous sommes tous là. On s’est servi de lui pour faire un exemple mais ça ne marche pas : regardez tout ce monde ! », explique Maud Mozziconacci de l’AJR (Alliance de la jeunesse pour la révolution). « Nous restons unis pour défendre nos droits à travailler dans de bonnes conditions, avec des profs suffisants en nombre. Ce n’est pas trop demander, non ».
« On regrette seulement que les professeurs, bien que solidaires, ne soient pas très nombreux aujourd’hui », glisse un élève.
Les professeurs, justement se tenaient non loin de là, certes, un peu perdus au milieu des centaines de lycéens mais proches d’eux quand même : « Le mouvement reste une action lycéenne que nous ne voulons pas nous accaparer », commente Maryvonne Guigonnet, représentante du Snes (Syndicat national de l’enseignement secondaire).
« Ne piétinez pas notre éducation »
« De toute façon, nous avons déposé un préavis permanent jusqu’au 24 avril. Et, en mai, un nouveau mouvement concernant les enseignants se prépare ».
Aux cris de « Ne piétinez pas notre éducation » et « Darcos, des sous ! », les manifestants ont défilé jusqu’au port de Toulon, passant devant la mairie, avant de rejoindre le boulevard de Strasbourg. Aucun incident n’a été relevé.
« Nous nous retrouvons tous dans la soirée pour nous organiser en intersyndicale. Le mouvement est loin d’être fini ! », prévient Julie Tomassone, porte-parole de l’Union nationale des lycéens. Car, de plus en plus organisés et toujours aussi pacifiques, les lycéens remportent la sympathie des Varois qui les regardent défiler avec enthousiasme et détermination.
F. Dumas
La préfecture se manifeste, la CGT aussi
Var-Matin, le 23 avril 2008Dans une lettre adressée à l’Union départementale CGT, le directeur de cabinet du préfet du Var, Xavier Barrois, a rappelé que « plusieurs dizaines de lycéens, probablement mineurs, avaient manifesté sur la vote publique sans déclaration préalable ». Énumérant les principes qui régissent le droit de manifester, il a invité les organisations syndicales à
« veiller au strict respect du cadre réglementaire. ».En réponse, la CGT Var a dénoncé un « rappel à l’ordre inacceptable », indiquant avoir toujours « oeuvré de manière responsable lors d’organisation de manifestations à caractère interprofessionnel autant sur la forme que sur le fond (...) Votre courrier nous apparaît donc comme une tentative d’intimidation. Nous n’accepterons pas de nous laisser détourner de notre objectif revendicatif ».