Toulon 1995-2001 : les années frontistes


article de la rubrique extrême droite > le FN, hier et aujourd’hui
date de publication : dimanche 24 novembre 2013
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Alors que le Front national a fait son retour au Parlement et vise des mairies en 2014, il est bon de revenir aujourd’hui sur sa gestion des villes qu’il a gouvernées à la fin des années 1990.

À Toulon, qui ne se souvient du slogan de 1995 : « FN tête haute, mains propres » ? Le candidat FN aux prochaines élections municipales a beau répéter que son parti est victime d’une « entreprise de désinformation », il faut se rendre à l’évidence : les Toulonnais n’ont pas gardé un souvenir positif du passage de l’extrême droite à la mairie de Toulon de 1995 à 2001 [1].

Afin de rafraîchir la mémoire de ceux qui auraient pu oublier l’incompétence de l’équipe élue en 1995, nous reprenons ci-dessous un bilan datant d’octobre 2001 – fait à partir d’informations parues dans Le Monde, Var Matin ou Cuverville ; nous l’avons complété avec deux éléments encadrés : l’épilogue de l’épisode Jeunesse toulonnaise et un compte-rendu de l’audit réalisé au cours de l’été 2001 par le cabinet Klopfer [2].

François Nadiras



La culture

Jean-Marie Le Chevallier, maire de Toulon, l’avait annoncé : il voulait "rendre aux Toulonnais une culture provençale". La première offensive a été menée, dès 1995, contre le Théâtre national de la danse et de l’image (TNDI) de Châteauvallon et son directeur, Gérard Paquet, qui avait refusé les subventions des nouveaux locataires de la mairie. Cette croisade contre "une culture élitiste" est lancée avec le soutien actif du préfet de l’époque, Jean-Charles Marchiani. Faute de réussir à saborder le TNDI, la municipalité FN obtient le licenciement de M. Paquet.

Parallèlement, elle met un terme au symposium de sculpture lancé cinq ans plus tôt et supprime les « ateliers éducatifs » du musée de Toulon. Le maire leur préfère la célébration de l’histoire : le 4 mai 1996, il organise à l’opéra une reconstitution du baptême de Clovis.

M. Le Chevallier s’attaque aussi à la Fête du livre qui, depuis dix ans, était la manifestation la plus importante de la ville : le 21 octobre 1996, il estime qu’il n’est « pas opportun » d’y inviter Marek Halter. La réprobation est nationale. Cela n’émeut pas l’équipe de M. Le Chevallier, qui souhaite « ouvrir plus démocratiquement » cette manifestation à des auteurs et à des éditeurs d’extrême droite. Les libraires toulonnais refusent d’y tenir leur stand. Après trois ans, cette « Fête de la liberté » ferme.

Credo provençaliste

La statue de Raimu ("le nain de jardin") par Louis Arride.

Le credo provençaliste se manifeste notamment par l’érection d’une statue de Raimu, la création de micro-musées exaltant le passé colonial de la ville ("le musée de la figurine")... A ses détracteurs, M. Le Chevallier oppose le soleil et l’olivier, cet arbre symbole qui a remplacé la fontaine-sculpture commandée par la précédente municipalité à René Guiffrey en 1993. M. Le Chevallier la fait raser en juin 1996, ce qui lui vaut d’être condamné par le tribunal de grande instance de Toulon.

La jeunesse

La gestion de l’association "Jeunesse toulonnaise" laisse une ardoise évaluée à 15 millions de francs. L’adjointe chargée de la jeunesse, Madame Le Chevallier, a englouti tout l’argent du service jeunesse dans un projet de maison de vacances - le Vallon du Soleil - tandis que les centres aérés, qui accueillent les enfants des familles les plus démunies, ont connu d’énormes difficultés. Les époux Le Chevallier ont été condamnés en appel à 8 mois de prison avec sursis pour complicité d’abus de confiance (ils ont annoncé leur intention de se pourvoir en cassation).

L’épilogue de Jeunesse toulonnaise  [3]

Le 23 décembre 2010, le Conseil d’État a soldé les comptes : la ville de Toulon devra régler 2,14 millions d’euros assortis de dix années d’intérêts capitalisés au liquidateur de Jeunesse toulonnaise.

Auparavant, les époux Le Chevallier avaient été condamnés en appel, le 19 décembre 2001, à 8 mois de prison avec sursis, 15 000 euros d’amende pour détournement de fonds publics et complicité d’abus de confiance, ainsi que 44 000 euros en réparation de l’emploi fictif du directeur général adjoint de l’association.

Créé en 1995 par Cendrine Le Chevallier, l’association Jeunesse toulonnaise était devenue le symbole du clientélisme clanique – elle a employé jusqu’à 205 salariés souvent recrutés pour leur sympathie politique –, de l’incompétence et des malversations de la mairie FN

Coup de force dans une école maternelle

Dans le cadre de la semaine contre le racisme, en mars 98, l’école maternelle du Jonquet avait fait tout un travail de sensibilisation, avec une exposition d’œuvres d’enfants et de documents ; cette exposition avait été installée dans le hall d’entrée de l’école. L’école sert de lieu de vote ; à l’approche du scrutin des élections régionales, Richard Lopez, adjoint chargé des élections, a donné l’ordre de démonter les panneaux et d’enlever tous les documents : il a déclaré que cette exposition est une atteinte à la « liberté d’opinion » et « une provocation envers les électeurs FN ».

Discrimination à l’embauche

Cendrine Le Chevallier a été condamnée le 5 mai 98 à un mois de prison avec sursis – peine confirmée en appel – pour discrimination à l’embauche (elle avait demandé que les postes disponibles à la mairie soient attribués à des sympathisants FN).

Palais de justice, annexe de la mairie

Cendrine Le Chevallier a été condamnée pour avoir tenu des propos diffamatoires à l’encontre d’une militante associative toulonnaise : lors d’une conférence de presse en septembre 95, l’adjointe au maire, déléguée à la jeunesse, avait traitée la présidente du collectif "Mieux vivre à Sainte Musse" « d’agitatrice dans les milieux islamistes ». La condamnation (5 000 francs d’amende et 5 000 francs de dommages et intérêts) a été confirmée par la Cour d’appel d’Aix en Provence ; la condamnation est devenue définitive à la suite du rejet du pourvoi par la Cour de cassation, en février 1998,

Jean-Pierre Calone, adjoint au maire, a été condamné le 17 mai 2000 à 12 ans de réclusion criminelle, pour "viols, agressions et harcèlement sexuels" sur 5 employées de l’office HLM de Toulon dont il était le président.

Le 16 février 2001, Jean Marie Le Chevallier comparaissait devant le tribunal de Toulon pour "subornation de témoins". Il était accusé par d’anciens proches collaborateurs de leur avoir imposé des consignes de silence alors qu’ils soupçonnaient un marginal d’être pour quelque chose dans la disparition brutale en août 1995 de Jean Claude Poulet-Dachary, directeur de cabinet de J-M Le Chevallier et 14ème adjoint. « Il ne me paraît pas digne de briguer des responsabilités publiques. Il a monté une sordide intrigue politicienne au nom de laquelle il a bafoué son devoir de citoyen » a dénoncé le procureur Pierre Cortès dans son réquisitoire. Le tribunal a prononcé son jugement le 6 avril 2001, condamnant Jean Marie Le Chevallier à un an de prison avec sursis et 30 000 F d’amende.

L’héritage financier

La situation financière de la ville, en mars 2001, après 6 ans de "gestion" Le Chevallier :

- une dette équivalente au budget de la commune (entre 1,5 et 2 milliards de F),
- la municipalité Le Chevallier a accordé 150 millions de F de caution d’emprunts à une SEM controversée,
- les charges de personnel représentent 60% des dépenses de fonctionnement ; en 6 ans, elles ont augmenté de 31% (+9,5% sur un an)...
- la nouvelle municipalité doit emprunter 145 millions de francs pour équilibrer le budget 2001.

Un audit financier

Les conclusions de l’audit confié au cabinet Michel Klopfer et rendues publiques en septembre 2001 ont confirmé les craintes : Toulon est une des villes les plus imposées de France, avec une dette de 1,4 milliard de francs (213,43 millions d’euros), pour un budget de 1,5 milliard.

Plusieurs exemples illustrent la gestion de la municipalité Le Chevallier. Sur le marché des ordures ménagères, les factures du mois de décembre étaient systématiquement reportées sur l’année suivante (cela correspond à 3,5 MF). A la fin 2000, le maire avait signé un marché de 7,4 MF pour des travaux à l’Opéra alors qu’il ne disposait que de 20 % de la somme (les experts parlent de "comptabilité non sincère").

Les 23 satellites de la ville (SEM, parkings, gestion de l’eau ...) font peser une menace de 400 MF sur les finances de la ville. Pour maintenir sous perfusion la SEMTA, chargée de l’aménagement de la vieille ville, la municipalité Le Chevallier a insufflé 200 MF, "dont la ville ne peut aujourd’hui espérer de retour même partiel". Ayant une participation majoritaire dans cette SEM, la municipalité actuelle devra éponger son déficit, d’un montant de 166 MF. Il lui faudra aussi assumer un plan de redressement de 51 MF sur cinq ans pour l’office communal HLM, ainsi que le passif de 15 MF de Jeunesse toulonnaise...

L’audit financier révèle d’importants dysfonctionnements budgétaires

[Les Echos n° 18499 du 01 Octobre 2001] [4]


Une situation financière tendue, un manque de procédure et des risques financiers importants, telles sont les principales conclusions de l’audit financier réalisé par le cabinet Klopfer à la demande du nouveau maire de Toulon. L’étude montre ainsi que la dette de la ville a diminué de 11 % pour atteindre 210 millions d’euros en 2000, mais « ceci est le fruit de la faiblesse des investissements alors qu’il aurait dû résulter d’une amélioration de l’autofinancement ». Entre 1997 et 2000, l’investissement s’est élevé à 105 euros par habitant et par an au lieu de 228 euros en moyenne pour les villes de plus de 100.000 habitants. Toulon est en outre confronté à une progression des recettes réelles de fonctionnement limitée à 1,9 % par an alors que celles des dépenses réelles de fonctionnement était en moyenne de 2,7 % avec un sommet en 2000 où elles ont progressé de près de 6 %. Un effet de ciseaux qui fait diminuer l’épargne passée de 15,8 à 13,8 % des recettes de fonctionnement. Enfin, le rapport relève la faiblesse du potentiel fiscal qui s’élève à 426 euros par habitant, soit le plus bas niveau de toutes les communes françaises de plus de 100.000 habitants. Pour arriver à ces conclusions, les auteurs de l’audit notent qu’ils ont dû remanier toute la comptabilité « car les procédures de gestion budgétaire et comptable ont totalement ignoré l’esprit et la lettre des réformes appliquées depuis 1995 ».

Hubert Falco, le maire (DL) explique que la municipalité précédente « se livrait à une véritable cavalerie » en ne faisant figurer dans les comptes qu’une partie des dépenses de l’année. « Pour rétablir la sincérité des comptes, nous allons devoir en 2001 compter quinze mois de dépenses pour dix mois de recettes », s’exclame-t-il.

Si les comptes de Toulon montrent des faiblesses, « avec un ratio de désendettement de 7,7 années, la ville ne présente pas le profil d’une commune surendettée comme ont pu l’être Angoulême ou Briançon et elle pourra se redresser en quatre ou cinq ans », estime le cabinet Klopfer. Reste la véritable épée de Damoclès que représentent les engagements de la ville dans un certain nombre d’organismes satellites dont la situation est très préoccupante.

C’est le cas de la SEMTA, la société d’économie mixte d’aménagement qui a bénéficié d’avances municipales pour un total de 30 millions d’euros et qui afficherait un déficit de 25,6 millions d’euros. Selon l’audit, la résiliation du traité de concession envisagée par la municipalité accroîtrait cette perte d’environ 7 millions d’euros. Hubert Falco a indiqué que la situation financière de l’office municipal HLM engagera la ville dans un plan de redressement d’un coût global de 7,7 millions d’euros sur cinq ans. Un contentieux est aussi en cours avec la société Vinci, gestionnaire de la fourrière et des horodateurs, qui réclame près de 26 millions d’euros à la ville. Selon le maire, les corrections budgétaires entraînées par ces divers risques sont en cours d’estimation.

Alors ...

Tête haute, mains propres ?

Notes

[1Rappelons que Jean-Marie Le Chevallier a gagné l’élection municipale de Toulon, à la tête d’une liste FN, le 18 juin 1995, grâce à une triangulaire, avec 37 % des voix au second tour, contre 35 % pour la liste conduite par le maire sortant, François Trucy (RPR-UDF), et 28 % pour la liste de gauche conduite par Christian Goux.
Il devait être éliminé dès le 1er tour de l’élection municipale de mars 2001, qui a vu la victoire au 2ème tour de Hubert Falco.

[2Un autre document est accessible : le rapport de la Chambre régionale des comptes pour la période 1995-2005 : http://www.ccomptes.fr/content/down....


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