Seznec : condamnation au bénéfice du doute ?


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date de publication : vendredi 15 décembre 2006
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La Cour de cassation, siégeant en Cour de révision, a refusé la demande de révision du procès Seznec pour laquelle s’était prononcée la LDH il y a plus de 70 ans.

Vous trouverez dans cet article, le communiqué de la LDH, une chronologie de L’Express, un article du Monde et deux avis contradictoires parus dans Libération.


Affaire Seznec : condamnation au bénéfice du doute ?

Communiqué de la LDH

La Cour de cassation vient de refuser de réviser la condamnation de Guillaume Seznec.

Cela fait plus de soixante-dix ans que la Ligue des droits de l’Homme, après avoir étudié le dossier, entendu la demande qui en était faite par les jurés mêmes qui avaient prononcé la condamnation, a demandé cette révision. Elle fut d’abord refusée parce que les éléments nouveaux ne prouvaient pas l’innocence. Mais depuis 1989, il est seulement exigé pour réviser une condamnation qu’existe un élément de nature à faire naître un doute sur la culpabilité.

Dans cette affaire, de hauts magistrats, dont l’avocat général, avaient exprimé leurs doutes. C’est donc bien qu’il y avait des raisons de douter et la décision rendue ne peut que susciter la stupéfaction.

La LDH assure Denis Seznec de sa considération et de sa solidarité dans le remarquable combat qu’il mène depuis des années non seulement pour la réhabilitation de son grand-père, mais au-delà pour une justice plus juste et plus humaine.

Paris, le 15 décembre 2006.

Chronologie de l’affaire Seznec [1]

25 mai 1923 : au volant de sa Cadillac, Guillaume Seznec, 45 ans, conduit à Paris le conseiller général du Finistère, Pierre Quemeneur, 46 ans. Les deux hommes veulent monter un réseau de revente de Cadillac que l’armée américaine n’a pas rembarquées à l’issue de la guerre en 1918. Ils ont rendez-vous avec un certain Gherdi.

13 juin 1923 : un télégramme signé Quémeneur, envoyé du Havre pour rassurer sa famille, annonce qu’il rentrera quelques jours plus tard. On ne le reverra jamais.

20 juin 1923 : on retrouve, dans la salle d’attente de la gare du Havre, la valise abandonnée du conseiller général. Elle contient une promesse de vente d’une propriété de Quémeneur à Seznec. Cet acte sera plus tard considéré comme un faux.

6 juillet 1923 : la machine a écrire sur laquelle le document a été dactylographié réapparaît dans un hangar, pourtant déjà perquisitionné à deux reprises, de la scierie de Seznec à Morlaix.

1er juillet 1923 : arrêté, Guillaume Seznec dénonce une machination.

4 novembre 1924 : les jurés du Finistère condamnent Guillaume Seznec aux travaux forcés à perpétuité pour faux et assassinat.

7 avril 1927 : Seznec est transféré au bagne de Cayenne.

18 février 1934 : six des onze jurés survivants regrettent leur verdict et demandent la révision du procès.

1936 : l’inspecteur Pierre Bonny, qui a mené l’enquête, reconnaît avoir reçu l’ordre de déposer la pièce à conviction dans le hangar de Seznec. Mêlé à de nombreux scandales, Bonny a été révoqué de la police nationale en 1935.

27 décembre 1944 : Bonny, avant d’être fusillé pour collaboration, confie qu’il regrette avoir fait envoyer au bagne un innocent.

2 février 1946 : le général de Gaulle gracie le condamné, qui rentre en France en juillet 1947.

14 novembre 1953 : Guillaume Seznec est renversé par une fourgonnette qui prend la fuite. Il meurt le 13 février 1954.

9 juin 1977 : une requête en révision est introduite par Me Denis Langlois au nom de la famille Seznec, visant à la réhabilitation de Guillaume Seznec

23 juin 1989 : une nouvelle loi sur les révisions est votée par l’Assemblée Nationale. Avant cette loi, un fait nouveau invoqué devait prouver l’innocence du condamné. Depuis, le fait nouveau doit montrer qu’il existe un doute sur la culpabilité.

28 juin 1996 : la Cour de cassation rejette la requête au motif qu’« aucun élément nouveau n’est de nature à faire naître le doute sur la culpabilité du condamné ».

30 mars 2001 : Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, dépose une requête en révision de la condamnation de Guillaume Seznec. À l’appui de la requête, un fait nouveau : les liens allégués entre Gherdi et l’enquêteur en charge à l’époque de l’affaire, Pierre Bonny.

11 avril 2005 : la commission de révision - composée de cinq magistrats de la Cour de cassation - donne son feu vert à un examen de la requête par la Cour de révision. C’est la première fois que la justice française reconnaît s’être trompée dans cette affaire.

5 octobre 2006 : examen de la requête par la Cour de révision, composée de tous les membres de la chambre criminelle de la Cour de cassation. L’avocat général se prononce en faveur d’une révision du dossier Seznec.

14 décembre 2006 : la Cour de cassation n’annule pas la condamnation de Seznec.

La famille Seznec veut saisir la Cour européenne des droits de l’homme

Le Monde, 15 décembre 2006

Contre toute attente, la Cour de cassation n’a pas annulé, jeudi 14 décembre, la condamnation de Guillaume Seznec en 1924 pour le meurtre de Pierre Quémeneur, un des dossiers criminels les plus célèbres du XXe siècle. La plus haute juridiction française, siégeant exceptionnellement comme Cour de révision, n’a pas suivi l’avis de l’avocat général Jean-Yves Launay, qui avait estimé, le 5 octobre, que le condamné avait été victime d’une machination policière. "Il n’existe aucun fait nouveau ou élément inconnu de la juridiction au jour du procès de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de Guillaume Seznec", a conclu la juridiction dans un arrêt de quarante et une pages, lu par le président Bruno Cotte. Aucun condamné n’a jamais été réhabilité après sa mort.

"Incroyable ! C’est un scandale !", a crié Denis Seznec, petit-fils du condamné, qui a voué sa vie à la réhabilitation de son grand-père, tandis que ses amis injuriaient la trentaine de magistrats de la cour. "Avec son bandeau sur les yeux, la justice était aveugle. Depuis l’affaire d’Outreau, elle est devenue sourde. Avec l’affaire Seznec, elle est devenue folle. Honte à elle ! Les juges avaient une occasion unique de se racheter. C’est raté", s’est exclamé Denis Seznec. Il a annoncé qu’il saisirait la Cour européenne des droits de l’homme, mais cette dernière n’a pas le pouvoir de réviser l’affaire.

Seule la chancellerie pourrait déposer une nouvelle requête

Une autre demande de révision est improbable car il faudrait trouver un élément nouveau décisif. Ce qu’a confirmé le ministre de la justice, Pascal Clément, qui a cependant rendu "hommage" à Denis Seznec en saluant son combat. Le ministre a fait valoir que toute nouvelle demande de révision devrait s’appuyer sur "d’autres éléments ou des faits nouveaux" et ne pourrait plus être introduite que par le garde des sceaux, "en raison de l’ancienneté de l’affaire Seznec et du décès du condamné et de ses enfants".

Gracié après vingt ans de bagne, Guillaume Seznec, qui a toujours clamé son innocence, avait été condamné aux travaux forcés à perpétuité, le 4 novembre 1924, pour le meurtre du conseiller général Pierre Quémeneur, dont le corps n’a jamais été retrouvé. Les deux hommes avaient pris la route de Rennes vers Paris le 23 mai 1923 pour se lancer dans le commerce de voitures américaines, mais Pierre Quémeneur n’est jamais réapparu. Pour l’accusation de l’époque, Seznec avait tué son ami afin de devenir propriétaire de sa résidence, par le biais d’une fausse promesse de vente placée dans les affaires du disparu, abandonnées au Havre.

L’arrêt de la Cour de cassation, qui est le quatorzième rejet de demande de révision depuis 1926, considère que rien ne vient remettre en cause les éléments à charge retenus lors du procès. Il met surtout à mal la thèse de la machination policière, jugée impossible techniquement. Lors du procès, Guillaume Seznec avait affirmé que Quémeneur et lui allaient voir un certain Gherdi pour leur projet de vente de voitures américaines. Un élément nouveau était principalement soumis à la Cour de révision : Gherdi a bel et bien existé et il pourrait avoir travaillé en 1944 dans une unité de la Gestapo allemande, avec l’inspecteur Pierre Bonny, un des policiers ayant participé à l’enquête Seznec en 1923, selon le témoignage d’une ancienne résistante, Colette Noll.

Témoignages directs

Mais la Cour a considéré que rien ne démontre formellement que le personnage vu par Colette Noll soit bien l’homme des voitures américaines et que sa rencontre éventuelle avec Bonny en 1944 ne change rien au procès de 1924. Pierre Bonny était vu par la famille Seznec comme l’homme du "complot" car il a été révoqué pour ses méthodes en 1935 puis fusillé en 1944 pour son travail d’auxiliaire de la Gestapo. Mais dans l’enquête Seznec, souligne la Cour, il n’était qu’un inspecteur stagiaire de 28 ans dont le nom ne figure que sur quatre procès-verbaux du volumineux dossier. Par ailleurs, des recherches dans les archives n’ont pas permis de retrouver le moindre indice d’un trafic supposé de voitures américaines avec la Russie, mobile supposé du présumé complot avancé par les Seznec.

La Cour relève les expertises officielles en écritures qui montrent plutôt que Seznec est l’auteur de fausses promesses de vente lui attribuant à vil prix une propriété immobilière de Quémeneur, soulignent les magistrats. Quant aux témoignages favorables à Seznec intervenus depuis quatre-vingt-deux ans, ils sont indirects, intervenus très longtemps après le procès, et ont été fréquemment invalidés, dit l’arrêt.

Avec AFP et Reuters

Marylise Lebranchu : « Le doute aurait dû profiter à Seznec »

Libération, 14 décembre 2006

Comment réagissez-vous à la décision de la Cour de cassation de ne pas annuler la condamnation de Guillaume Seznec ?

C’est une déception parce qu’on a passé des mois à monter un dossier en 2001. Tout ça pour en arriver là. En même temps, l’autorisation de révision était déjà une victoire. Ça montrait au moins que dans ce dossier il y a un doute. Il y a donc eu la reconnaissance d’un doute mais le problème, c’est qu’on demande ensuite aux magistrats, réunis en cours de révision de montrer, en spécialistes du droit pénal, qu’il y a des éléments nouveau justifiant le doute.

Un doute qui devrait bénéficier à l’accusé...

Oui mais l’un des éléments majeurs du dossier (le témoignage d’une ancienne jurée, NDLR) pose problème. La cour dit que ce témoignage n’est pas probant. En droit strict, les magistrats n’ont peut-être pas tort, mais ce qu’il manque c’est un autre texte de loi que celui existant. En effet, s’il est aujourd’hui possible de faire appel d’un jugement de cour d’assise, il faudrait, pour quelques cas qui sont antérieurs, permettre que la révision puisse être acquise non pas sur des faits à même d’être juridiquement démontrés mais sur l’intime conviction et donc le doute. Même si ces cas sont rares.

Cette décision illustre-t-elle l’incapacité de la justice à se remettre en question ?

Mon travail, lorsque j’étais ministre de la Fustice, fut de lui demander d’être transparente, de montrer ses dysfonctionnements, ses erreurs. On ne peut pas dire aujourd’hui que le jugement de la Cour de cassation n’est pas valable en droit. Le problème de ce jugement, ce ne sont pas les magistrats mais le texte qu’on leur demande d’appliquer. L’affaire Seznec aura démontré que ces textes ne peuvent pas fonctionner.

La présence au tribunal de plusieurs innocentés d’Outreau vous a-t-elle paru justifiée ?

Le point positif de l’affaire Seznec, c’est que les magistrats ont montré, dans le climat post-Outreau, qu’ils n’ont pas obéi à des décisions politiques. Il faut faire collectivement attention à ne pas faire l’amalgame entre deux affaires qui ne sont pas de même nature. Dans le cas de Seznec, ce qui a conduit à une possible erreur judiciaire, c’est une enquête policière qui a manqué de rigueur et a même été conduite à charge. C’est compliqué de demander à des magistrats, s’appuyant sur le droit, de démontrer cela aujourd’hui. Il y a d’un côté une affaire Outreau qui est une horreur et une affaire Seznec qui est un imbroglio juridique monstrueux. La famille Seznec et les descendants de Quémeneur sont tous choqués car ils ont l’impression qu’on ne trouvera jamais la vérité. Or, selon moi, quand on ne peut plus trouver la vérité il faut choisir le doute. Et le doute profite à Seznec.

Par Ludovic Blecher


Confiance

Editorial de Libération, 15 décembre 2006

Il avait su convaincre les médias, l’opinion et les politiques. La force de persuasion de cet homme avait depuis longtemps forcé l’admiration et dépassé les monts du Finistère. Il avait su intéresser la France entière à la réhabilitation de son grand-père, condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1924. Quoi de plus admirable qu’un petit-fils qui consacre sa vie à reconquérir l’honneur perdu de son aïeul ? Son combat a fini par devenir un symbole médiatique, celui de l’erreur judiciaire. Il ne pouvait pas être perdu car il n’est pas de belles histoires télévisées où le sentiment ne triomphe, même de la raison. Et pourtant, la justice, hier, n’a pas fait de sentimentalisme. Elle s’est contentée de dire en droit qu’il n’y a pas d’élément nouveau sur la culpabilité de Seznec. On comprend la déception et la colère du petit-fils devant l’oeuvre d’une vie qui s’effondre, face à son destin qui manque à sa raison d’être. « Depuis l’affaire d’Outreau, on croyait la justice sourde, avec l’affaire Seznec, elle est devenue folle », a-t-il tonné sous le coup de la colère. Un propos fort mais faux. Car la décision d’hier est à l’inverse d’Outreau. Outreau, c’est une justice qui condamne sous la pression de l’air du temps, sans rigueur, sans précaution, avec déraison. Le refus de réhabiliter Seznec sans élément nouveau, c’est au contraire une justice qui refuse de céder à cette pression médiatique qui l’avait à l’unanimité jugé innocent. La justice peut-elle avoir raison seule contre tous ? Oui, si elle a la confiance du peuple au nom duquel elle se prononce. Son drame, c’est qu’à force d’arrogance, d’erreurs et d’absence de doutes, elle l’a perdue cette confiance. Sa décision, du coup, risque d’être mal comprise et d’ajouter à son discrédit quand bien même elle n’a pas à s’en défendre.

par Jean-Michel THENARD

Notes

[1lexpress.fr, 14 décembre 2006, par Catherine Gouëset.


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