Nicolas Sarkozy à Orléans : l’exploitation populiste d’un fait divers dramatique


article communiqué de la LDH  de la rubrique démocratie > coups de gueule
date de publication : samedi 5 février 2011
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Jeudi 3 février 2011, à Orléans, Nicolas Sarkozy a mis en cause magistrats et policiers à propos du traitement judiciaire d’un homme soupçonné d’avoir enlevé et tué Laëtitia, jeune fille de 18 ans.

T. M., que le président a qualifié de « présumé coupable », était sorti de prison le 24 février 2010 après avoir purgé une peine d’un an, dont six mois avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve de deux ans pour outrage à magistrat. Il avait été condamné auparavant pour viol et vols avec arme. Il n’avait pas fait l’objet d’un suivi. Alors qu’au tribunal de Nantes dont il dépendait, « trois juges de l’application des peines (JAP) doivent prendre en charge près de 4.000 personnes condamnées », Nicolas Sarkozy a mis en avant des « dysfonctionnement graves des services de police et de justice » et a demandé des sanctions contre ceux qui avaient géré ce dossier.

Ces déclarations ont provoqué la colère des magistrats. « Les propos du président de la République sont scandaleux (…), c’est du populisme de bas étage », a déclaré le président de l’Union syndicale des magistrats, tandis que Yves Cochet, candidat aux primaires d’Europe Ecologie-Les Verts, y voyait une tentative pour « racoler la frange la plus extrême droitière de l’électorat » sur le thème de l’insécurité, en vue de l’élection présidentielle de 2012.

Ci-dessous, la lettre ouverte adressée à Nicolas Sarkozy par la secrétaire générale de la CGT pénitentiaire, suivie de deux communiqués, l’un de la LDH et l’autre du Syndicat de la Magistrature.


Lettre ouverte à Monsieur Nicolas Sarkozy

Montreuil, le 31 janvier 2011

Monsieur le Président,

J’ai pris connaissance du courrier que vous avez envoyé à monsieur le Garde des Sceaux. Je reviens vers vous après vous avoir déjà fait parvenir notre communiqué du mercredi 26 janvier 2011 par l’intermédiaire de votre attachée de presse. Comme vous, je suis choquée et anéantie, monsieur le Président !

Premièrement, je suis consternée par l’utilisation populiste que vous faites de ce drame, terrible … la mort tragique d’une jeune fille dans des circonstances encore non élucidées et a priori ignobles !

Deuxièmement, je suis vraiment surprise que vous vous intéressiez enfin au crédit ou au discrédit de l’institution judiciaire : « Il me paraît en conséquence indispensable de faire toute la lumière sur ces dysfonctionnements qui portent atteinte au crédit de l’institution judiciaire. »

Surprise, car vous-même avez souvent raillé l’institution judiciaire. Vos déclarations ont souvent remis en cause le professionnalisme des magistrats et des fonctionnaires.

Troisièmement, je suis choquée ensuite par la détermination dont vous faites preuve afin de trouver des coupables : « Vous m’avez indiqué avoir ordonné une enquête administrative interne afin de déterminer avec précision les conditions dans lesquelles cette procédure relative à la mise à exécution d’une peine correctionnelle s’est déroulée et les éventuelles responsabilités qui pourraient être mises en évidence. » Des coupables, il n’y en a pas chez les fonctionnaires professionnels de la Justice. L’enquête administrative diligentée auprès des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et du tribunal de Nantes ne doit pas faire peser la responsabilité sur des agents qui n’ont pas à la porter … Ce que vous semblez vouloir, monsieur le Président, c’est un responsable à tout prix !

Vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le Président, que depuis des années, les politiques de casse du service public que vous menez, et plus particulièrement celui de la Justice qui nous concerne ici, sont les vrais responsables. L’inspection générale des services pénitentiaires était venue au SPIP de Nantes, il y a quelques mois. Le manque de moyens conduisant à la mise en place, en concertation avec les autorités compétentes, de la mise au placard des dossiers que le service ne pouvait prendre en charge faute de moyens, était connu ! Cette situation, qui existe dans de nombreux services, a été dénoncée à de multiples reprises.

En novembre 2010, la CGT Pénitentiaire, en mouvement, demandait entre autres, le recrutement de 1000 travailleurs sociaux, conformément à l’étude de l’impact de la loi pénitentiaire ! Madame Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, nous avait gentiment dit que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire étaient des privilégiés : pas d’emplois supplémentaires, hormis les 40 recrutements de travailleurs sociaux pénitentiaires pour l’année 2011 !

Sur votre invitation, l’inspection générale des services pénitentiaires a interrogé, à plusieurs reprises, des collègues. Plutôt que de demander des comptes à des agents, faites interroger les responsables de cette politique qui conduit les services à l’asphyxie !

Je peux comprendre votre trouble, lorsqu’en conseil des ministres vous dites : « Que puis-je dire à la famille de Laëtitia ? » … Que pouvez-vous leur dire ?

Tout d’abord, raconter comment vous avez, à cause de votre politique, anéanti les services publics en supprimant des fonctionnaires.

Ensuite, leur expliquer que la politique pénale menée par les ministres obéissant à vos ordres, a engendré une surpopulation carcérale, sans recruter des fonctionnaires supplémentaires tant à l’administration pénitentiaire qu’à la Justice en général. Expliquer comment les juges sont surchargés de dossiers ….

Vous éclairerez la famille sur l’état de la protection judiciaire de la jeunesse où le nombre de fonctionnaires ne cesse de diminuer. Vous pourrez aussi leur dire que les juges pour enfants sont débordés, parfois sans greffier, et que l’Etat ne reverse pas assez d’argent aux collectivités pour qu’elles recrutent des éducateurs pour le suivi des enfants et des jeunes en danger ou en difficultés !

Il n’y aura pas de boucs émissaires !

Alors, après analyse des responsabilités, vous pourrez vous excuser car la famille de la victime doit savoir que les dysfonctionnements de la Justice ne sont pas le fait d’un fonctionnaire d’un SPIP ou d’ailleurs, d’un magistrat, mais que c’est le fait de la défaillance d’un système, celui de l’Etat qui s’est désengagé de ses obligations depuis de longues années, et plus particulièrement depuis votre élection !

Comme vous êtes chef de cet Etat défaillant, vous pourrez leur signifier, que vous portez l’entière responsabilité de la déficience et du dysfonctionnement !

Avec la CGT pénitentiaire, je n’accepterai pas que des professionnels de la Justice paient à la place du pouvoir exécutif, donc du système !

Recevez, monsieur le Président, l’expression de mon attachement à l’ensemble des services publics, bastions et remparts de la démocratie donc de la République française !

Céline Verzeletti
Secrétaire Générale de la CGT pénitentiaire


Communiqué LDH

Un délinquant constitutionnel récidiviste

Paris, le 4 février 2011

Pour la troisième fois en quelques années, Nicolas Sarkozy vient de violer sciemment la norme constitutionnelle la plus fondamentale de la République : la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

De même qu’il avait désigné Yvan Colonna comme le meurtrier du préfet Erignac avant même qu’aucune autorité judiciaire n’ait examiné le dossier – lequel n’est toujours pas clos –, de même qu’il avait désigné Dominique de Villepin comme le commanditaire des faux de l’affaire Clearstream plusieurs semaines avant le procès – qui a d’ailleurs démenti ce « pré-jugement » –, il vient de qualifier la personne arrêtée dans l’affaire du meurtre de la jeune Laëtitia de « présumé coupable », en répétant volontairement cette qualification qui annule toute différence entre interrogatoire policier et condamnation judiciaire.

Le président de la République, que l’article 5 de la Constitution charge de veiller au respect de la Constitution et dont l’article 64 de cette même Constitution fait le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, vient ainsi de se substituer une fois encore aux juges indépendants pour décider de l’innocence ou de la culpabilité d’une personne soupçonnée d’un crime.

Ainsi, non seulement il accuse mensongèrement magistrats et policiers d’avoir manqué aux devoirs de leur charge – alors que c’est la politique qu’il mène depuis des années qui empêche le suivi efficace des personnes déjà condamnées en privant de moyens ceux qui y travaillent réellement –, mais il viole délibérément l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui garantit constitutionnellement la présomption d’innocence, c’est-à-dire le droit à être jugé dans des conditions conformes à l’état de droit et non désigné publiquement à la vindicte populaire.

Dans toute autre démocratie, un tel comportement serait considéré comme incompatible avec l’exercice de responsabilités politiques au plus haut niveau de l’Etat.

L’article 68 de la Constitution prévoit que le président de la République relève de la Haute Cour « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Si la violation délibérée et répétée de la séparation des pouvoirs et d’un des principes constitutionnels les plus fondamentaux de la République ne relève pas de cette procédure, quel niveau de délinquance constitutionnelle faudra-t-il atteindre pour mettre fin à l’impunité présidentielle en la matière ?

La Ligue des droits de l’Homme, qui assure magistrats et policiers de son soutien face à la calomnie, rappelle que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » (article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen). Le respect des lois et de l’ordre public ne se divise pas. Il est gravement menacé lorsque ceux qui ont la charge de le garantir donnent l’exemple de sa méconnaissance.

Communiqué de presse du Syndicat de la Magistrature

Affaire de Pornic : à qui la « faute » ?

Paris, le 2 février 2011

Après la mise en cause précipitée des fonctionnaires et magistrats par les ministres de la Justice et de l’Intérieur, le Syndicat de la magistrature réplique en démontrant que la Chancellerie disposait depuis des mois d’informations précises sur le manque de personnels à Nantes, sans jamais réagir... Alors, à qui la « faute » ?

Dans un communiqué de presse commun daté du 31 janvier, le garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur ont choisi, sur la base de pré-rapports d’inspection rédigés en quelques jours, de clouer au pilori les professionnels de la justice et de la police qui ont eu à traiter de la situation pénale d’un homme soupçonné d’avoir enlevé et tué une jeune fille de 18 ans.

Ainsi, « une défaillance de la chaîne pénale » aurait été révélée, et « les sanctions qui s’imposent au regard des fautes seront demandées ».

Ces velléités de lynchage, fondées sur des éléments extrêmement parcellaires, témoignent d’une véritable duplicité du pouvoir exécutif, qui choisit de désigner ses personnels à la vindicte plutôt que de s’interroger sur ses responsabilités pourtant évidentes.

Passons sur l’invraisemblable démagogie qui consiste à faire croire que la carence dans la prise en charge d’une mise à l’épreuve prononcée pour un outrage à magistrat puisse avoir un lien déterminant avec la commission d’un crime aussi grave, et intéressons-nous aux faits.

D’après les ministres, les « fautes » des personnels découleraient de l’absence de prise en charge de certaines mesures de milieu ouvert par les juges de l’application des peines de Nantes et le service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Il s’avère pourtant que :

- Par des rapports des 19 janvier et 22 octobre 2010, les juges de l’application des peines du tribunal de Nantes ont averti leur hiérarchie que l’absence, depuis un an, d’un quatrième juge de l’application des peines les obligeait à effectuer des choix de priorités. Ils indiquaient : « Notre situation est à ce jour extrêmement préoccupante. Nous sommes inquiets », et concluaient : « Ce choix, fait après mûre réflexion, induit inévitablement une insatisfaction professionnelle. Il nous semble être un leurre de croire et de faire croire que nous pouvons à trois gérer de façon consciencieuse et responsable l’intégralité des mesures relevant du service de l’application des peines de Nantes. Nous souhaitons ardemment que cette situation cesse le plus rapidement possible ».

- Par courrier du 24 mai 2010 adressé aux magistrats de Nantes, le directeur du Service pénitentiaire d’insertion et de probation avait fait savoir que, compte tenu du manque criant d’effectifs, il n’était pas en mesure de traiter l’ensemble des dossiers qui lui étaient affectés.

Les sonnettes d’alarme étaient donc tirées depuis plusieurs mois.

Mais surtout, le Syndicat de la magistrature est en mesure de révéler que les difficultés insurmontables rencontrées par les services de la justice en Loire-Atlantique étaient connues au plus haut niveau, et qu’aucune réponse sérieuse n’avait pourtant été apportée avant le drame.

Ainsi :

- Dans un courrier du 15 décembre 2010, le directeur interrégional de l’administration pénitentiaire de Rennes a confirmé l’état préoccupant de sous-effectif des services dont il avait la charge, auquel se sont ajoutées, par l’effet de la loi pénitentiaire, « de nouvelles missions et compétences ». Il a très clairement mis en cause « les difficultés en matière de ressources humaines au sein du ministère de la Justice (qui) nous imposent d’opérer des choix en matière de répartition des effectifs ».

- Mais surtout, dans un mail daté du 4 novembre 2010, le premier président de la Cour d’appel de Rennes a répondu que, « malgré de multiples rapports et mises en garde » de sa part, la Chancellerie avait décidé de ne pas pourvoir le poste manquant de juge de l’application des peines de Nantes, qu’il n’était dès lors « pas illégitime que les magistrats établissent des priorités de traitement des affaires », et que « leurs choix n’étaient pas inopportuns ».

- Enfin, dans un courrier daté du 27 janvier 2011, soit postérieurement au drame, le nouveau premier président de la Cour d’appel de Rennes a décidé d’affecter un juge placé au service de l’application des peines de Nantes du 1er avril au 1er septembre 2010, preuve que la question des moyens alloués aux services est non seulement cruciale mais susceptible d’être rapidement prise en compte.

Ces trois courriers démontrent, sans contestation possible, que le ministère de la Justice porte l’entière responsabilité de l’absence de prise en charge de la situation de la personne soupçonnée.

Le Syndicat de la magistrature est déterminé à faire reconnaître, par tous les moyens, les « fautes » de l’administration centrale et des pouvoirs publics qui ont contribué à la situation nantaise.

Il exige que soient rendus publics les « multiples rapports et mises en garde » adressés au ministère de la Justice par le premier président de la Cour d’appel de Rennes, et que le garde des Sceaux indique très rapidement les mesures concrètes qui ont été prises, avant le drame, pour remédier à la situation critique des services d’application des peines et d’insertion de Nantes.

Plus largement, il est impératif, pour le Syndicat de la magistrature, que toute la lumière soit faite sur les « fautes » lourdes qui ont été commises dans l’affectation des moyens permettant de prendre en charge les personnes sous main de justice. Ces « fautes » sont indubitablement celles des gardes des Sceaux successifs qui n’ont pas permis, depuis des années, à la justice de fonctionner normalement.

Les magistrats ne seront pas les boucs émissaires d’un système qui porte le nom de RGPP (« Révision générale des politiques publiques ») et qui consiste à sacrifier le service public, la justice et les justiciables.


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