Lilian Thuram invité d’honneur au congrès de la LDH


article de la rubrique démocratie > la campagne de 2007
date de publication : lundi 2 avril 2007
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La Ligue des droits de l’homme a tenu son 84e congrès, du vendredi 30 mars au dimanche 1er avril, à Saint-Denis – un événement important pour l’association, à quelques semaines de l’élection présidentielle [1]

Membre d’honneur depuis un an de la section de Toulon de la LDH, Lilian Thuram était, avec l’association AClefeu, invité d’honneur du congrès.

« Il y a des choses inacceptables que l’on doit dénoncer comme le fait que ce monsieur chinois, sans papiers, soit interpellé près de l’école de ses petits-enfants. Ce n’est pas l’image que la France doit donner. [...] il faut apprendre à vivre ensemble, à se respecter et à respecter l’autre, avec papiers ou sans », déclarait-il il y a quelques jours. Vous trouverez ci-dessous d’autres propos récents de Lilian Thuram.


Lilian Thuram : "On cherche à diviser la société française"

[NOUVELOBS.COM | 02.04.2007 | 11:43]

Le footballeur, invité au congrès de la LDH, a dénoncé les "mensonges" entendus à la suite des incidents survenus à la gare du Nord.

Le footballeur Lilian Thuram a estimé vendredi 30 mars à Saint-Denis que certains propos tenus après les incidents de la Gare du Nord à Paris ne visaient qu’à "diviser la société française" et il a dénoncé les "mensonges" entendus.

En focalisant sur la personne du resquilleur, présenté d’abord comme clandestin, "on essaie de diviser les gens, de diviser la société française", a-t-il répondu aux journalistes en marge du 84e congrès de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) ouvert de vendredi à dimanche, à Saint-Denis.

"Ca arrangeait tout le monde de désigner un clandestin", a commenté le champion du monde de 1998, en ajoutant : "C’est pas nouveau qu’il y ait des mensonges". "Il y en a eu beaucoup sur l’affaire de Clichy quand on nous a expliqué que des voyous fuyaient la police, puis que la police n’était pas sur les lieux", a-t-il poursuivi, évoquant la mort des deux jeunes à Clichy-sous-Bois, le déclencheur des émeutes d’octobre-novembre 2005.

"Une certaine peur"

"Nous sommes des hommes avant tout. C’est un clandestin, où est le problème ?", a ajouté Thuram.
A propos des incidents qui suivirent, "si des gens se sont interposés, c’est peut-être qu’ils s’étaient trouvés devant une certaine injustice. C’est normal d’essayer de dire non", estime-t-il.

Interpellé sur l’entrée dans la campagne du thème de la sécurité, il a observé que "quand il y a une certaine peur, il n’y a plus de réflexion, c’est ce qu’on est en train de faire dans ce pays".

Le sportif invité par la LDH s’est ensuite adressé aux militants pour leur délivrer son message : "Apprendre à vivre ensemble et se respecter"

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Thuram et l’identité nationale

[Le Journal du dimanche au quotidien (Jdd.fr) - le 28/03/2007 - 11:33.]

Très attaché aux droits civiques de tout un chacun, Lilian Thuram, capitaine ce soir de l’équipe de France contre l’Autriche, est revenu en conférence de presse sur la campagne présidentielle. Le Barcelonais a confirmé que même s’il ne vivait sur le sol français, il voterait. "Je ne sais pas encore pour qui je vais voter mais je sais pour qui je ne voterai pas", a déclaré le défenseur tricolore. Thuram est ensuite revenu sur le thème de l’identité nationale pour "demander que cette idée ne soit pas figée. Elle doit être en mouvement, évoluer avec son temps, sinon, nous serions encore tous des Gaulois..."

  • Que vous inspire le débat actuel sur l’identité nationale ?

L. T. : C’est une clé pour avancer dans la société française. L’identité nationale n’est pas quelque chose de figé. Sinon cela voudrait dire que nous sommes tous des gaulois. Pour sortir de la crise identitaire dans laquelle on se trouve, il faut avoir une réflexion et accepter que celle-ci est en mouvement. Après il y a des choses qui me font sourire comme cette histoire de drapeau en Lituanie. Cela m’a choqué mais il faut voir ce qui se passe dans notre pays où il y a eu des dérives, celles de Georges Frêche et Alain Finkielkraut. On a banalisé le discours du Front National et c’est très grave.

  • Vous savez pour qui vous allez voter ?

L. T. : Je sais en tout cas pour qui je ne vais pas voter (rires).

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"Le discours du FN est banalisé"

[Métro - le 27-03-2007 13:57.]
  • Les mots de Nicolas Sarkozy (« racailles » et « Karcher ») lors de son passage dans les banlieues, te restent-ils en travers de la gorge ?

En tout cas, ils me restent en mémoire. Mais au-delà de ces mots, ce sont les mensonges. Et je trouve grave et préoccupant qu’un ministre d’Etat puisse mentir par rapport à la mort de deux jeunes de cette façon et que personne ne lui en tienne rigueur.

Il avait dit que c’étaient des jeunes voyous qui avaient cambriolé et que la police n’était pas sur les lieux lors de l’accident. Et pour la majeure partie des gens, ça passe. On veut soi-disant expliquer aux plus jeunes qu’il faut avoir du respect et qu’il ne faut pas mentir etc. On est dans un flou total.

  • Un thème revient dans cette campagne aux présidentielles : L’identité nationale…

Je suis assez étonné qu’on puisse avoir l’idée de créer un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Quoique, venant de lui, rien ne me surprend. C’est une continuité. Un cheminement pour essayer de récupérer les voix du Front national. Après, que les gens ne disent pas : « Je ne savais pas ».

Mais finalement venant de Sarkozy, ça me semble assez bizarre car c’est quand même un immigré hongrois. Si l’identité nationale était figée, lui ne serait pas Français. Cet homme est prêt très clairement à pactiser avec le FN. C’est intrigant et les gens laissent faire alors que ça sent le danger. Le discours de l’extrême droite a été banalisé.

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Le jour où Sarko m’a fait peur...

Un entretien avec Lilian Thuram
[le Nouvel Observateur N°2205 du 8 février 2007]

C’était le 25 novembre 2005, juste après les émeutes de banlieue. Le défenseur de l’équipe de France de foot se retrouve devant le ministre de l’Intérieur. Ce face-à-face-là, il ne l’a pas encore digéré. Aujourd’hui, il se souvient et... attaque

  • Le Nouvel Observateur. - Vous affirmez que Nicolas Sarkozy a « une vision raciale des gens ». Vous pensez vraiment que Sarkozy est raciste ?

Lilian Thuram.- Je crois qu’il voit vraiment les gens en fonction de leurs origines. C’est sa vision de la société. Son communautarisme en découle. Je n’ai rien contre lui personnellement. Mais je pense sincèrement qu’il joue avec les préjugés et les peurs, qu’il les alimente et les exacerbe.

  • N. O.-Le connaissez-vous assez pour être affirmatif ?

L. Thuram.- Je le lis, je l’entends. Je l’ai rencontré. Cette rencontre m’a profondément marqué. C’était le 25 novembre 2005, après les émeutes de banlieue. J’avais dit publiquement le mal que je pensais de ses sorties sur « les racailles ». Je pensais qu’il ne savait pas le poids de certains mots... C’est lui qui m’a fait appeler. J’ai accepté de le voir, même si quelques amis me l’avaient déconseillé. Je ne les ai pas écoutés : je pense qu’il ne faut jamais refuser la discussion. Je ne voulais pas rester sur un malentendu, mais au contraire lui expliquer que ses propos risquaient de réveiller le racisme latent de la société française.

  • N. O.- Comment s’est passée votre rencontre ?

L. Thuram.- Aujourd’hui, en y repensant, je me dis qu’il l’a prise comme un défi. Ses premiers mots, en me serrant la main, ont été : « Même quand je suis devant un plus grand que moi, je ne bouge pas d’un iota. » Ça m’a fait sourire. Ensuite, il s’est mis à m’expliquer la banlieue. Visiblement, il pensait que j’étais déconnecté. Un footballeur millionnaire... Il me parlait de chiffres, de délinquance, d’agressions. J’ai essayé de lui parler de l’injustice sociale. J’ai voulu lui expliquer les halls d’immeuble. Je lui ai dit que, souvent, les jeunes se retrouvaient là parce qu’ils n’avaient pas d’autre endroit pour discuter. Moi-même, avec ma future femme, quand on était jeunes, on allait réviser nos cours dans la cage d’escalier parce que chez nous, il n’y avait pas de place. C’était un prolongement de l’appartement. On dit souvent que les jeunes traînent en bande... Moi aussi, je tournais à Fontainebleau avec mes copains. On restait dans la rue parce que nous n’avions pas les moyens d’aller au café. Mais nous avions bien le droit d’aller en ville, nous aussi, même si nous n’avions pas de sous ! J’ai perdu cette habitude quand je suis devenu footballeur stagiaire à Monaco. Je pouvais me payer le café, je ne comprenais plus qu’on puisse tourner pendant des heures... J’étais passé de l’autre côté !

  • N. O.- Il vous a entendu ?

L. Thuram.- Je crois. Il m’a même demandé de saluer mon épouse ! Ensuite, il s’est mis à parler des caméras de surveillance. Il m’a expliqué qu’il fallait en mettre dans les quartiers. Ça m’a indigné. Je l’ai coupé. « Mais attendez Monsieur Sarkozy, les plus gros bandits, ils ne sont pas en banlieue. Ils sont peut-être à Neuilly ! » Je n’avais pas dit Neuilly pour le provoquer. Mais il a dû le prendre pour lui. Il m’a répondu : « Monsieur Thuram, ce sont les Noirs et les Arabes qui créent des problèmes en banlieue. » Je lui ai dit : « Ceux qui créent les problèmes en banlieue, ce ne sont pas les Noirs et les Arabes, ça s’appelle les délinquants. »

  • N. O.- Vous étiez en colère ?

L. Thuram.- Non, j’étais stupéfait. Je me demandais si ça arrivait vraiment, si c’était une mauvaise blague. Je me suis demandé s’il réalisait ce qu’il disait. S’il réalisait même à qui il parlait ? Je suis noir, et il me disait ça, à moi ? Cela m’a travaillé des semaines, des mois après l’avoir vu. Aujourd’hui encore, je me sens mal en y repensant. C’était trop dur, trop gros.

  • N. O.- Etait-ce vraiment l’expression d’une pensée raciste, ou une manière de vous affronter ?

L. Thuram.- Attendez. Si un homme politique est capable de dire n’importe quoi pour remporter un duel verbal face à un footballeur, on peut se poser des questions. Sur son sang-froid. Sur sa capacité à se maîtriser. Quand on s’est quitté, il m’a dit : « Je serai président de la République ! »

  • N. O.- Mais vous-même, vous n’êtes pas très modéré lorsque vous parlez de Nicolas Sarkozy !

L. Thuram.- La question n’est pas de dire « Monsieur Sarkozy n’est pas raciste », mais d’observer ce qu’il construit, ou ce qu’il tolère. Il a expliqué qu’Alain Finkielkraut faisait honneur à l’intelligence française juste après sa sortie sur l’équipe de France « black-black-black », qui « faisait ricaner toute l’Europe ». C’était vraiment le moment de le soutenir ?

  • N. O.- Sarkozy n’est pas responsable des propos de ses partisans...

L. Thuram.- Mais lui-même joue sur les sentiments de rejet - ou bien, il les nourrit. Quand il oppose son « immigration choisie » à « l’immigration subie », il suggère que les enfants d’immigrés qui vivent déjà avec nous sont « subis », une gêne. Qu’ils sont de trop ! Et quand ses amis m’ont attaqué pour avoir offert des places au Stade de France à des squatters de Cachan, c’était indigne. Cela fait des années que j’invite des gens, sans en parler. A Cachan, des sans-papiers ont eu peur d’accepter notre invitation, à Patrick Vieira et à moi : ils croyaient qu’on allait les arrêter au stade ! Aujourd’hui, des politiciens jouent avec la vie des gens. Quand on est sans-papiers, on peut tout aussi bien crever. C’est ainsi que l’on éduque les Français ? C’est ce qu’on veut apprendre à nos enfants ?

  • N. O.- Vous avez l’impression d’une France raciste ?

L. Thuram.- Au contraire, la France assume mieux son passé et sa diversité. Mais le racisme est renforcé par des politiciens ou des intellectuels qui oublient leur responsabilité. Compter les Noirs en équipe de France est une perversion. Il pourrait y avoir onze joueurs noirs sur onze, ou zéro sur onze, ça n’aurait aucune importance. On se compte, on compte les autres, on invente des quotas, on s’organise en communautés fermées. Je suis totalement fier d’être français et totalement pénétré de mon identité noire et antillaise. Mais cela ne doit pas être prétexte à rejeter les autres. Vous savez, on trouve des irresponsables partout - également aux Antilles : les propos de Raphaël Confiant sur les juifs « innommables » valent bien les imbécillités de Finkielkraut ou de Georges Frèche.

  • N. O.- En attaquant Sarkozy, vous jouez le jeu de la gauche ?

L. Thuram.- C’est complètement stupide ! Je ne veux pas qu’on me mette dans une case. Je ne me sens ni de gauche ni de droite. J’ai siégé au Haut Conseil à l’Intégration avec des gens de gauche et de droite. J’ai effectivement rencontré Ségolène Royal, à sa demande, comme j’avais vu Sarkozy à son invitation. Elle revenait des Antilles, nous avons surtout parlé de cela. Contrairement à ce que j’ai lu, je n’irai pas au forum participatif des socialistes sur le sport. Ça ne m’a même jamais traversé l’esprit. Je suis comme tous les Français, qui attendent que les politiciens s’occupent des problèmes des citoyens. Je voudrais que les gens « responsables » nous éduquent, nous incitent à nous comprendre et à nous respecter. Qu’ils travaillent à unir la France et les Français au lieu de profiter de nos divisions. N’ayons pas la mémoire courte. Il y a cinq ans, tout un peuple était descendu dans la rue contre l’extrême-droite. Aujourd’hui, le racisme est latent. Et malheureusement, on l’accepte comme une fatalité. C’est contre cela qu’il faut se battre.

Claude Askolovitch

Notes

[1RDV : Bourse du travail de Saint-Denis, 9-11, rue Génin, 93200 Saint-Denis (M° Porte-de-Paris-ligne 13).


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