Le 20 avril 2004, le ministre de la Justice, Dominique Perben, inaugurait le nouveau centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède. A cette occasion, il devait déclarer que « le Centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède est une remarquable illustration de nos efforts pour accroître et humaniser notre parc pénitentiaire. »
L’établissement a été mis en service à la fin juin 2004.
Un an plus tard, quel bilan ?
[Première mise en ligne, le 29 août 2005,
mise à jour, le 31 août 2005]
Surpopulation
Le centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède compte, au 1er août 2005, un total de 758 détenus pour 584 places, soit un taux de 130 %. Ils se répartissent ainsi :
Le centre de détention [*]
: 183 condamnés pour 192 cellules.
La maison d’arrêt [*] comporte 373 places (373 cellules), 457 lits, et elle héberge ... 542 détenus (il y en a donc 85 qui dorment sur des matelas posés par terre). Le taux d’occupation est donc de 145 % ! [1]
Aux dires de tous les utilisateurs (surveillants, détenus...) l’établissement est surpeuplé !
Surpopulation partout
Les dernières statistiques nationales (métropole et outre-mer) dénombrent 60 775 personnes sous écrou au 1er mai 2005, En excluant les 886 condamnés placés sous surveillance électronique et les 326 condamnés placés à l’extérieur sans hébergement, la population carcérale s’établit à 59 563. Le nombre de places est d’environ 51 310, ce qui donne un taux d’occupation de 116 % (avec de très fortes disparités entre les établissements). Le pourcentage de prévenus [*] est de 35 %.
Depuis trois ans la population carcérale oscille autour de 60 000 détenus. La période de la Libération étant mise à part, il n’y a jamais eu autant de personnes écrouées en France. Cet accroissement résulte moins d’une augmentation des incarcérations que d’un allongement continu des peines de prison : de 1975 à aujourd’hui, la durée moyenne de détention a pratiquement doublé, passant de 4,3 mois à 8,4 mois. Cette sévérité croissante des tribunaux s’est manifestée par une augmentation sensible des très longues peines (de 20 à 30 ans).
L’entretien d’un climat in -sécuritaire et le durcissement de la législation sont venus à bout du prétendu “laxisme” des juges. Il en est résulté un manque de places pour loger des détenus toujours plus nombreux. La solution était toute simple : il suffisait de se tourner vers l’immobilier (et quand le bâtiment va ... [2]).
D’“ambitieux” programmes de construction d’établissements pénitentiaires [3]
En 1986, le garde des sceaux de Jacques Chirac, Albin Chalandon, a lancé le programme « 13 000 places » [4], qui a abouti à l’ouverture, au début des années 1990, de 25 nouveaux établissements. En 1995, un nouveau programme de 4 000 places était engagé avec l’ouverture de six nouveaux établissements. Nous devons à un gouvernement Raffarin l’annonce de la création de 28 nouvelles prisons d’ici à 2007 pour porter la capacité du parc pénitentiaire à 60 000 détenus. [5]
Les jeunes ne sont pas oubliés : sept établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) de 60 places chacun sont programmés - les premiers EPM devant être livrés fin 2006. « Il s’agit d’équipements nouveaux où la dimension éducative est particulièrement marquée. » [6]
En 2004, deux établissements du précédent programme « 4 000 » ont été mis en service : les centres pénitentiaires de Liancourt et Toulon-la-Farlède. « Les principales caractéristiques de ces établissements reposent sur la prise en compte des conditions de travail des agents par une ergonomie adaptée des postes de travail et la mise à disposition de nombreux locaux destinés aux personnels. Les conditions de détention sont aussi améliorées avec des équipements permettant un accès aisé aux différentes activités éducatives avec le développement d’une vie collective décentralisée au coeur des quartiers d’hébergement et l’aménagement de douche dans chaque cellule. Enfin, ces structures offrent un niveau de sécurité [7] élevé, elles sont notamment dotées de filins anti-hélicoptères et de miradors adaptés. » [8]
Des solutions existent
Selon l’administration pénitentiaire, pour résorber la surpopulation carcérale il suffit de créer de nouvelles places. Mais, les statistiques du ministère de la justice le confirment, la construction de nouveaux centres, loin de désengorger les établissements surpeuplés, entraîne l’incarcération de toujours plus de monde.
Une solution radicale a été proposée en juin 2000 par la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur la situation dans les prisons [9] : le numerus-clausus. Le principe est simple : pas d’incarcération d’un nouveau détenu tant qu’aucune place n’est disponible en prison. On a pu constater l’efficacité de la méthode aux Pays-Bas et en Finlande, mais l’opinion publique française n’est sans doute pas encore prête à accepter une réforme de cette envergure.
Quelques idées simples permettraient de venir à bout de la surpopulation carcérale :
Rendre la prison plus humaine
Il reste encore beaucoup à faire dans cette voie !
Le nombre très élevé des suicides en prison le montre : plus de 120 par an - et plus d’un millier de tentatives. En un an, la prison de La-Farlède a vu trois détenus se suicider - c’est beaucoup pour un établissement « à visage humain ».
La sécurité des détenus [13] est un domaine négligé : deux détenus ont été grièvement brûlés le 16 août dernier dans l’incendie de leur cellule à maison d’arrêt de La Farlède ; tous deux souffraient de problèmes psychologiques et étaient suivis sur le plan psychiatrique.
La sécurité concerne également la santé. Si les infirmeries pénitentiaires ont laissé la place à l’UCSA [**], il reste beaucoup à faire pour que les détenus bénéficient d’un accès aux soins et d’un suivi médical équivalents à ce qui est offert au reste de la population notamment (notamment la nuit et les week-ends).
La loi Perben II [**] a renforcé les missions de réinsertion du SPIP [**] en posant comme principe l’aménagement des fins de peines sous la forme de semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique pour les personnes condamnées à des peines inférieures à cinq ans. Le SPIP a dorénavant l’obligation d’examiner la situation de chaque condamné éligible aux nouvelles dispositions : il lui appartient de proposer au juge de l’application des peines l’une ou l’autre mesure après avoir rencontré les détenus concernés [14].
Il se dit à Toulon que le SPIP et le directeur de la prison s’autocensureraient pour éviter trop de refus de la part du JAP [15]. Nous n’en croyons évidemment rien. [16]
Pour ne plus rencontrer des situations comme celle de Marc Mattei : condamné à 8 ans de prison en avril 2001, il s’est vu refuser la permission d’assister aux obsèques de son père en janvier 2005 [17].
[*] Le centre de détention est réservé aux détenus dont la condamnation est définitive.
Maison d’arrêt : établissement réservé aux personnes placées en détention provisoire et aux condamnés en fin de peine.
Prévenu : personne détenue mais non encore jugée.
[1] Le nombre de places du centre pénitentiaire est confirmé par la déclaration du gouvernement français : « cet établissement pourra héberger 587 détenus répartis de la façon suivante :
192 places en quartier centre de détention (192 cellules) ;
361 places en deux quartiers maison d’arrêt de 182 et 179 places (152 et 149 cellules) ;
14 places d’accueil (12 cellules) ; 20 places dédiées aux mineurs (19 cellules) ; 10 cellules disciplinaires et 10 cellules d’isolement. »
(Extrait de la réponse au Comité européen pour l’abolition de la torture, en date du 31 mars 2004 - http://www.cpt.coe.int/documents/fr....)
[2] Bouygues vient d’emporter le marché de réalisation de 3 nouveaux centres pénitentiaires
[3] Vous trouverez de nombreux compléments dans le rapport d’activité 2004 du ministère de la Justice (format pdf - 2,88 Mo) paru en juin 2005.
[4] Initialement, il s’agissait d’un programme "15 000 places, integralement privatisées" ; il a été ramené en 1988 à "13 000 places en gestion mixte".
[5] Les intentions du gouvernement étaient tellement claires, que, en juin 2002, il n’avait pas hésité à nommer un « secrétaire d’Etat aux programmes immobiliers de la justice », poste occupé par Pierre Bédier pendant près de 2 ans.
[6] Page 50 du rapport 2004.
[7] On notera le sens donné ici au mot sécurité : l’absence de risque d’évasion. (NDLR)
[8] Page 51 du rapport 2004.
[9] Ce rapport est consultable en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/d... ; le principe du numerus-clausus y est exposé par Christine Boutin : http://www.assemblee-nationale.fr/r....
[10] TIG : travaux d’intérêt général.
[11] Malheureusement le nombre de libérations conditionnelles est en baisse, passant de 8 800 en 1988 à 5 300 en 1998.
[12] L’exemple suivant montre qu’une sanction appliquée dans de bonnes conditions peut éviter de briser prématurément la vie d’un jeune adulte.
Mardi 5 avril 2005, Brice, élève de terminale dans un lycée de l’agglomération toulonnaise, casse le nez de son professeur.
Âgé de 17 ans, il comparaît dès le 8 avril devant le tribunal des mineurs, qui décide de le placer en détention au quartier des mineurs de la prison de La Farlède.
A l’audience du 4 mai, Brice est condamné à 24 jours de prison ferme et 7 mois de prison avec sursis, avec obligation d’un suivi médical. Venant de subir 24 jours de prison, il a été immédiatement libéré.
Peu après, un autre lycée l’a accueilli pour lui permettre de terminer son année scolaire. En juillet suivant, il réussissait son baccalauréat avec mention !
Pour en savoir plus.
[13] Dans le sens de la prévention des "accidents".
[**] UCSA : Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires, rattachée aux Hôpitaux publics.
Loi Perben II : loi du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
SPIP : Service Pénitentiaire d’Insertion et de
Probation, qui n’a rien à voir avec le logiciel SPIP, Système de Publication pour l’Internet partagé, utilisé pour la réalisation de ce site.
[14] Article 723-21 du Code de procédure pénale
Le directeur du SPIP fait examiner en temps utile par ses services le dossier de chacun des condamnés relevant des dispositions de l’article 723-20, afin de déterminer, après avis du chef d’établissement, la mesure d’aménagement de la peine la mieux adaptée à leur personnalité.
Sauf en cas de mauvaise conduite du condamné [...], le directeur saisit par requête le juge de l’application des peines (JAP) d’une proposition d’aménagement, [...] S’il ne saisit pas le juge de l’application des peines, il en informe le condamné.
Le juge de l’application des peines dispose alors d’un délai de trois semaines [...].
[15] Il est vrai que l’un des JAP de Toulon est pur et dur, et que le SPIP de Toulon a tendance à penser que la procédure doit être initiée par le greffe ...
[16] Le Canard enchaîné du 31 août 2005 rappelle opportunément que l’article 432-5 du code pénal punit le fait "par une personne dépositaire de l’autorité publique" de ne pas mettre fin à une détention illégale dont elle a connaissance, ou même "de s’abstenir de procéder aux vérifications nécessaires" si l’illégalité est seulement "alléguée".
[17] Monsieur Mattei est un condamné primaire, il n’a fait l’objet d’aucun rapport, il suit régulièrement une formation CFG/CAP - il a été admis en juin dernier au Certificat de formation générale (CFG) avec de très bonnes notes -, il n’a bénéficié à ce jour d’aucune permission de sortie alors que sa femme est malade et qu’ils ont un enfant trisomique de 35 ans à leur charge.