Hongrie : de la carte sociale au camp de travail obligatoire


article de la rubrique Big Brother > l’Europe de Big Brother
date de publication : lundi 18 juillet 2011
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Il y a quelques années, le maire de la petite ville hongroise de Monok avait mis en place une “carte sociale” à l’intention des Roms dont les prestations sociales constituent le seul revenu. Cela permettait de contrôler l’usage de cet argent : s’assurer qu’il ne servait qu’à l’acquisition de fournitures jugées nécessaires par le conseil municipal et surtout dans des magasins autorisés – devinez à qui appartiennent ces magasins ...

Cette procédure avait reçu le soutien de nombreux maires indépendamment de leurs orientations politiques, mais la Cour constitutionnelle y a mis fin. Depuis lors, Viktor Orbán a gagné les élections, rogné les pouvoirs de la Cour constitutionnelle... et il veut aller plus loin : remettre au travail les allocataires de prestations sociales. Regroupés dans des camps, ils seraient affectés à de grands projets d’infrastructure et surveillés par de jeunes retraités de la police – les retraites anticipées dont bénéficiaient jusqu’alors les policiers étant rétroactivement supprimées. Principale cible de ce programme : les Roms, dont le taux de chômage avoisine les 50%.

Ministre français des affaires européennes jusqu’en juin dernier, Laurent Wauquiez avait dressé un bilan flatteur de la façon dont le gouvernement de Viktor Orbán avait mené sa récente présidence de l’Union européenne (UE) : Budapest, avait-il déclaré dans l’hebdomadaire hongrois HVG, « a administré la preuve qu’elle méritait sa place au cœur de l’Europe ». La politique de Viktor Orbán serait-elle, pour Laurent Wauquier, un modèle à suivre ? [1]


Allocations versus Travail

par Róza Perlaki, JFB, le 15 juillet 2008


Monok, petite commune du département de Borsod-Abaúj-Zemplén dans le nord du pays, se trouve au cœur d’une affaire qui concerne toute la société hongroise et alimente le débat public depuis plusieurs semaines déjà.

Les faits remontent au mois d’avril dernier, lorsque les élus de Monok ont décidé de réglementer par décret le versement de l’allocation de protection de l’enfance. Cette aide est normalement attribuée automatiquement aux familles les plus pauvres ayant des enfants en âge d’être scolarisés. Or, les six familles qui bénéficiaient de cette aide refusaient d’envoyer leurs enfants à l’école.

Mais c’est l’assemblée municipale du 21 mai qui a déclenché une tempête nationale. Les élus de Monok ont en effet voté la restriction des allocations sociales. Ainsi, un chômeur dont l’état de santé lui permet de travailler et qui refuse pourtant les propositions d’emploi, ne pourra plus bénéficier de cette aide. Les propositions d’emploi en question proviennent essentiellement de la mairie sous forme de travail d’utilité publique.

Cette décision unilatérale a donné lieu à une vague d’indignation à laquelle Zsolt Szepessy, le maire de Monok, a réagi en déclarant que le but de ce décret était avant tout d’attirer l’attention sur un système de subventions inadéquat.

Pourtant, le principe de travailler pour pouvoir bénéficier de l’allocation sociale n’est pas nouveau. Dès 1994, de nombreuses mesures de ce type ont vu le jour et la dernière proposition du gouvernement date de début avril. « La voie vers le travail » rend en effet obligatoire 15 jours de travail d’utilité publique tous les trois mois pour pouvoir bénéficier des allocations. Outre une organisation difficile à mettre en place, les régions les plus touchées, le nord de la Grande Plaine en particulier, manquent de lieux et de ressources pour mettre sur pied ce dispositif.

D’après l’avis des experts, en particulier de la sociologue Zsuzsa Ferge, conseillère en politique sociale auprès de l’ancien gouvernement, le décret de Monok ainsi que les propositions gouvernementales, sont impropres à atténuer la tension sociale et au contraire sans doute l’aggravent-ils. Selon ces mêmes experts, cette démarche accentue les inégalités en désignant les personnes bénéficiant des aides publiques comme boucs émissaires.

Certaines organisations professionnelles sont intervenues dans le débat pour souligner qu’il faudrait pouvoir augmenter les salaires afin d’éviter qu’ils ne soient équivalents aux aides. Elles s’insurgent par ailleurs sur la nature des travaux d’utilité publique demandés aux chômeurs et réclament des formations plus adéquates aux besoins des employeurs.

Ainsi le travail d’utilité publique, s’il était mieux conçu, pourrait être le premier pas des chômeurs de longue durée vers le monde du travail. Ces mêmes organisations soulignent en outre que le droit de vivre dans des conditions décentes, grâce à une somme minimale versée, fait partie des droits de l’homme et ne saurait être remis en question.

Ce revenu minimum est l’une des bases du système d’aides sociales dans la plupart des pays membres de l’Union européenne. Il a été inauguré en Hongrie en 2006, grâce aux propositions de Zsuzsa Ferge, et atteint la somme de 90.000 HUF [2] dans le cas d’une famille de quatre membres. En un an le nombre d’allocataires a augmenté d’un tiers pour atteindre 170.000 personnes et l’Etat hongrois dépense chaque année 60 milliards de HUF pour les aides sociales contre 15 milliards pour des programmes de travail d’utilité publique. Ce système d’aides sociales n’encourage pas la reprise du travail puisque le montant du SMIC (69.000 HUF) et celui des allocations peuvent être équivalents. On peut donc imaginer qu’un certain nombre de personnes qui en bénéficient, en particulier celles qui n’ont pas de formation, ne recherchent pas de manière « active » un emploi…

Mais l’affaire soulève également d’autres questions : Ernô Kállai, défenseur des minorités, a établi un rapport selon lequel ces décrets municipaux violent consciemment la loi et rendent possible une forme de discrimination indirecte. En effet, la population rrom constitue une partie importante, mais non exclusive, des personnes concernées. Il s’agit donc, selon certains, d’une question relative au sort des minorités et non pas d’une question sociale.

L’initiative de la municipalité de Monok a été reprise par plusieurs communes, entre autres par Ivád, Sárospatak et Kerepes. Chaque village a ainsi adhéré successivement à ce mouvement « du travail d’utilité publique contre les allocations sociales ». Le maire de Monok a par ailleurs déclaré vouloir organiser un référendum sur le sujet et s’est lancé pour ce faire dans une collecte de signatures (il lui en faut 200 000).

Même si le décret est tenu pour anticonstitutionnel par certains, il commence à jouir de plus en plus du soutien des partis politiques et le Premier ministre a d’ores et déjà élaboré un programme pointant les changements indispensables à apporter au système des aides.

Carte sociale à Monok

JFB, le 2 novembre 2008


La mairie de Monok a choisi de verser 60 % des allocations sociales via une carte spéciale que les usagers pourront utiliser de façon similaire à une carte bancaire afin de payer des services et des produits définis par la municipalité. Le maire de la ville, Zsolt Szepessy, souhaite ainsi contrôler l’utilisation de l’argent versé. Par exemple les utilisateur ne pourraient pas dépenser cette part des allocations en alcool ou en cigarettes. Les bénéficiaires de ces allocations recevront le reste de la subvention en argent liquide. Environ 500 municipalités souhaitent suivre l’exemple de la municipalité de Monok et 19 ont déjà décidé d’adopter ces mesures.

L’organisation civile Újkorcsoport, dont la sociologue Zsuzsa Ferge, spécialiste de la question de la pauvreté, fait également partie, s’est opposé à ce nouveau système dans une lettre publique adressée à l’ombudsman des droits civils, Máté Szabó. Les signataires de cette lettre déclarent que la carte stigmatise ses propriétaires. Selon les experts interviewés par le quotidien Népszabadság, l’introduction de cette carte est une violation de la constitution hongroise car les mairies ne procèdent pas seulement au virement des sommes relevant des allocations municipales, mais aussi de celles versées par l’État.

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La Hongrie met en place des camps de travail obligatoire

par Laurence Estival (Paris), MyEurop.Info, le 13 juillet 20011


Le gouvernement hongrois veut remettre les allocataires de prestations sociales au travail. Des policiers pourraient surveiller ces salariés regroupés dans des camps et affectés à de gros projets d’infrastructure. Principale cible de ce programme : les Roms dont le taux de chômage avoisine les 50 %.

En lançant en mai dernier sa proposition d’obliger les bénéficiaires du RSA (Revenu de Solidarité Active) à travailler, Laurent Wauquiez, alors ministre des Affaires européennes, avait suscité une violente polémique dans l’Hexagone. L’assimilation des allocataires sociaux à un "cancer de la société" était mal passée.

« En contrepartie du RSA, il faut que chacun assume, chaque semaine, cinq heures de service social »,

avait-il alors lancé, évoquant la possibilité que les allocataires assument des tâches comme la surveillance des sorties d’école, le nettoyage ou l’accueil des services publics.

Retour des grands travaux

Si le projet est pour le moment resté dans les cartons, ces idées semblent avoir trouvé un certain écho en Hongrie où une nouvelle loi devrait entrer en vigueur à partir du 1er septembre prochain. Les bénéficiaires d’aides sociales se verront alors proposer des tâches d’intérêt général sur de gros chantiers de travaux publics, tel la construction d’un stade de football à Debrecen (à l’Est du pays), le nettoyage des rues mais aussi l’entretien des parcs et des forêts. Et ceux qui refuseront seront privés de leurs allocations…

«  Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour comprendre que cette mesure vise principalement les Roms »,

explique le quotidien allemand die Tageszeitung. « Alors que le taux de chômage est en moyenne de 8 % dans l’Union européenne, l’employabilité de la plus grande minorité du continent est un problème endémique ». Selon les statistiques, près de 50 % des Roms - faiblement qualifiés et victimes de discrimination à l’embauche - seraient ainsi sans emploi. Du coup, nombre de familles vivent de l’aide sociale.

Gardés par des policiers à la retraite

Ce projet de travail obligatoire qui figurait dans le programme du parti Jobbik (extrème droite) a été repris par la droite nationaliste. Pire encore : le plan présenté par le gouvernement prévoit la construction de centres de logements collectifs, pouvant être dans certains cas des containers aménagés pour les personnes dont le lieu de résidence serait trop éloigné des chantiers.

« Et pour surveiller ces camps, Viktor Orbán, le premier ministre hongrois, a eu une très bonne idée : des policiers fraîchement partis à la retraite pourraient assurer la sécurité… »,

ajoute le quotidien allemand.

Ce à quoi le ministre de l’Intérieur Sándor Pintér répond, pragmatique :

« Ils ont les compétences nécessaires pour remettre au travail quelque 300 000 personnes ».

Main-d’œuvre bon marché pour investisseurs chinois

Si certains sites d’extrême gauche ne se privent pas de comparer ce plan avec les méthodes fascistes – les camps de travail obligatoires gardés par des policiers ramènent aux pires heures de l’Histoire européenne – le Tageszeitung souligne, quant à lui, que « ce n’est pas un hasard si l’annonce de ces mesures intervient après la visite du Premier ministre chinois, Web Jiabao, à Budapest. La grande puissance asiatique veut racheter la dette hongroise mais aussi investir dans l’industrie et les projets d’infrastructures du pays ». Et la possibilité de bénéficier d’une main-d’œuvre bon marché ne serait pas pour lui déplaire.

Le spectre du « camp de travail obligatoire » justifie les propos lancés par Daniel Cohn-Bendit, qui début juillet, aux termes d’une présidence hongroise ponctuée de polémiques, s’en était pris directement à Viktor Orbán l’accusant de « dégrader l’Europe ».

«  Je défendrai toujours la Hongrie contre les remarques et critiques, de Bruxelles ou d’ailleurs. La Hongrie n’est pas subordonnée à Bruxelles, Bruxelles n’est pas le centre de commandement de la Hongrie »,

avait alors répliqué le dirigeant hongrois. Sauf qu’il est parfois de sinistres références qui devraient, on l’espère, obliger Bruxelles à taper du poing sur la table…

Notes

[1Une carte sociale biométrique est en projet en France, ne l’oublions pas ...

[2Environ 330 Euro : 1 Euro = 273 HUF (Forints hongrois) le 18/07/2011.


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