Henri Leclerc : la déchéance de nationalité est une idée “insupportable”


article de la rubrique démocratie > terrorisme : 13 novembre
date de publication : vendredi 25 décembre 2015
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Maître Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, réagit vivement aux décisions et aux déclarations du gouvernement, qu’il s’agisse de la mise en place de l’état d’urgence ou des projets de modification de la Constitution — voir cette page.

Ces jours derniers, il a manifesté son inquiétude concernant les projets qui touchent à la binationalité (3.3 millions de personnes résidant en France auraient une double nationalité). Vous trouverez ci-dessous deux entretiens qu’il a donnés récemment à la presse.


« La déchéance de nationalité est une idée “insupportable” »

propos recueillis par Michel Deléan, publiés sur Médiapart le 24 décembre 2015 [1]


Avocat depuis 1956, figure emblématique de la gauche judiciaire, Henri Leclerc a défendu des ouvriers, des mineurs et des paysans, et reste, à 81 ans, un avocat militant. Il est président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme (LDH, organisation qu’il a présidée de 1995 à 2000). Sollicité par Mediapart, il se prononce sans détour contre la déchéance de nationalité et l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution.

  • Que vous inspire le projet de déchéance de la nationalité qui sera soumis prochainement aux parlementaires ?

Le Conseil d’État a dit, en substance, que cela ne créerait pas d’inégalité entre les citoyens, mais il relève qu’une telle mesure « pourrait se heurter à un éventuel principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant de priver les Français de naissance de leur nationalité ». Il n’en donne pas moins, hélas, un avis favorable. La déchéance de nationalité, c’est une mesure qui serait avant tout symbolique, qui n‘entrerait pas beaucoup en pratique, mais l’idée me paraît insupportable.

Théoriquement, on pourrait déchoir de la nationalité une personne née en France et qui a des parents ou des grands-parents originaires de pays où l’on ne peut pas renoncer à sa nationalité, comme le Maroc. On toucherait là un fondement de la personne. Ce serait une atteinte à un principe fondamental, celui de l’acquisition de la nationalité à la naissance.

  • Que signifie cette idée politiquement ?

C’est un alignement sur une vieille idée d’extrême droite, qui a été reprise par Nicolas Sarkozy en 2010 dans son discours de Grenoble, et qui avait alors été combattue par toute la gauche. On est face aujourd’hui à un ralliement à ces thèses, et je trouve que c’est détestable.

  • Pensez-vous qu’il faille inscrire l’état d’urgence dans la Constitution ?

Il n’y a aucune nécessité d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution. En fait, cela peut permettre de prolonger l’état d’urgence quand ses causes mêmes auront disparu et qu’il n’y a plus de menace. Je ne vois pas quel est le gouvernement qui dira que la menace a disparu. On va aller de loi en loi, avec la perspective d’un maintien de l’état d’urgence qui deviendra permanent. Je rappelle qu’en 1961, quand de Gaulle a prononcé l’état d’urgence en vertu des pleins pouvoirs que lui conférait l’article 16 de la Constitution, ça a duré jusqu’en 1963. C’est très dangereux car on ne sait pas qui arrivera au pouvoir demain.

Toutes proportions gardées, souvenons-nous qu’en 1933, Hitler a trouvé des
outils législatifs mis en place par les sociaux-démocrates. Si un jour on a un pouvoir d’extrême droite, il pourrait trouver des outils pour mettre en place les politiques ultra sécuritaires et épouvantablement répressives. Je crains que cette réforme constitutionnelle, fondée plus sur des raisons de tactique politique que sur une efficacité contestable contre le terrorisme, ne soit votée, et je le déplore.

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« La dernière fois qu’on a utilisé durablement l’état d’urgence, cela a donné les massacres du 17 octobre 1961 et du métro Charonne »

propos recueillis par Alexandre Fache, publiés dans L’Humanité le 22 décembre 2015


Président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, l’avocat pointe les dangers d’un état d’urgence qui deviendrait quasi permanent.

« Je suis très réservé sur le fait d’intégrer à notre loi fondamentale un régime de réduction drastique des libertés, alors qu’on aurait très bien pu se contenter d’en passer par la loi. Cette volonté de l’inscrire dans la Constitution me paraît témoigner de la recherche d’un objectif politique, beaucoup plus que d’une réelle efficacité. De mon point de vue, il était plus urgent de sortir de la Constitution l’état de siège ou les pleins pouvoirs prévus par l’article 16. Et si aujourd’hui, on se presse pour modifier la Constitution, c’est aussi parce que dans les réformes prévues, il y en a une qui est totalement contraire à ses principes : la déchéance de nationalité pour les personnes nées en France et condamnées pour terrorisme. C’est une atteinte à notre conception républicaine de la citoyenneté. L’exécutif semble hésiter sur le sujet. J’espère bien qu’il va faire machine arrière. Par ailleurs, le projet de révision constitutionnelle prévoit la possibilité de prolonger certaines mesures, hors état d’urgence, pendant une durée de six mois, si la menace terroriste persiste. Mais qui pourra dire un jour que la menace terroriste n’existe plus ? On glisserait alors vers un état d’urgence permanent, un état d’exception pérenne. C’est pour le moins préoccupant. L’état d’urgence peut certes être un moyen de se défendre face à une agression, mais il doit être très limité dans le temps

« Quand vous donnez des pouvoirs à la police, elle ne se limite pas aux raisons pour lesquelles vous lui avez donné ces pouvoirs. Certes, les perquisitions menées dans le cadre de l’état d’urgence (2700 – NDLR) ont permis de saisir des armes (187 procédures ont été lancées sur cette base – NDLR) et de la drogue (167 procédures – NDLR), mais cela n’a rien à voir avec le terrorisme. L’état d’urgence n’est pas fait pour ça. Enfin, l’utiliser pour des raisons politiques est encore plus scandaleux. C’est ce qui a été fait avec l’interdiction de certaines manifestations ou l’assignation à résidence de militants écologistes lors de la COP 21.

« Plus on prolonge un état qui donne des pouvoirs considérables à l’exécutif, plus le risque de dérives est grand. Nous avons connu ça lors de la dernière utilisation durable de l’état d’urgence en France : en 1961, après le putsch des généraux à Alger. Cela a produit le couvre-feu pour les Algériens, qui est à l’origine des massacres du 17 octobre 1961. Puis, l’interdiction de la manifestation du 8 février 1962, qui est à l’origine des morts du métro Charonne. Voilà quelles peuvent être les conséquences d’un état d’urgence qui se prolonge exagérément. »

Notes

[1Cet entretien a été repris de cet article.


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