Germaine Tillion et Aimé Césaire


article de la rubrique droits de l’Homme
date de publication : mardi 13 mai 2008
version imprimable : imprimer


Deux « exemples lumineux de vies marquées par la constante recherche de la compréhension de l’autre ».


La disparition d’Aimé Césaire et tout le lustre qui fut donné à ses obsèques ont fait passer au second plan la mort de Germaine Tillion.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de contester l’importance d’Aimé Césaire, mais de se poser une question. L’hommage qui lui fut rendu par l’actuel gouvernement n’était-il pas incongru, et les arrières pensées politiques n’étaient-elles pas quelque peu inconvenantes alors qu’Aimé Césaire n’était guère sensible aux honneurs dont le poids lui aurait été sans doute insupportable ?

Et de poser une autre question au sujet de Germaine Tillion.
Tout compte fait, n’est-elle pas, à certains égards, un personnage plus embarrassant qu’Aimé Césaire ?
L’un avait pour lui d’être poète. L’on pardonne beaucoup aux poètes. _ L’autre appartenait au monde tranquille de la société française du début du XXème siècle, celle qui avait bonne conscience et qui considérait que toute vérité ne devait pas être dite par l’un des siens. On faisait payer cher ce genre de « trahison ».

Le poète comme l’ethnologue vont trouver dans leurs disciplines respectives les armes de leurs combats au service des valeurs humaines essentielles. Elle était « "savante et militante à la fois », comme l’a écrit Tzvetan Todorov, président de la Fondation Germaine Tillion. Il était poète et homme politique, à la fois.

Arrêtons-là les parallèles. Il ne s’agit pas d’établir des comparaisons entre les vertus de l’un et de l’autre, mais de rendre à Germaine Tillion, au lendemain de sa mort, ce qui lui appartient.

Germaine Tillion, jeune ethnologue, a connu l’Algérie de l’avant guerre 39-45. On l’y avait envoyée étudier la culture des Berbères de l’Aurès. C’est peut-être là, parmi ces gens si différents de ceux qu’elle avait connus jusqu’alors, qu’elle a appris l’écoute, la compréhension de l’autre. Ses courts séjours dans l’Allemagne hitlérienne naissante ont inscrit en elle son horreur du nazisme et, plus tard, de toute dictature. C’est parce qu’elle savait de quoi étaient capables les nazis qu’en entendant Pétain capituler, elle dit : « J’ai vomi - ce n’est pas une image - dans les dix minutes qui ont suivi ». Pour elle la Résistance était une évidence. Elle entra dans l’un des premiers réseaux, celui du Musée de l’Homme.
Déportée à Ravensbrück, elle y perdit sa mère. Elle en ramena deux ouvrages, À la recherche de la Vérité qui deviendra plus tard Ravensbrück et Le Verfügbar aux enfers une opérette-revue destinée à maintenir le moral de ses co-déportées, créée en 2007 au Théâtre du Châtelet.

Pierre Mendès-France lui demanda, en 1955, de retourner en Algérie. Elle y créa les Centres sociaux pour les ruraux musulmans, dont elle révéla « la clochardisation ».
Elle dénonça ce qu’elle appela les « dysfonctionnements » du colonialisme. Elle s’éleva contre la torture et les lieux de détention.
Elle rencontra des responsables du FLN. Elle se fit un ennemi tenace et de poids, le général Massu.

Bref, à aucun moment de sa longue vie, elle n’a ménagé sa peine pour lutter contre l’injustice, pour se battre pour la liberté et pour prôner la solidarité.
On ne compte plus les hommages qui lui sont rendus, les livres qui lui sont consacrés. Des écoles portent son nom. Et elle est une des très rares femmes à être Grand’Croix de la Légion d’Honneur.

Il y a une phrase d’elle qui à mon avis est très significative. Elle l’a prononcée alors qu’une polémique était née pour savoir si Maurice Papon, malade, devait ou non sortir de prison. Voici cette phrase de Germaine Tillion, résistante de la première heure et déportée, citée par Alain Finkielkraut :
«  Nous aussi nous avons droit à la compassion, nous, les rescapés, et nous avons le droit de compatir  ».

Je ne sais trop pourquoi, tant ces deux personnages étaient différents, je ne peux m’empêcher de penser de Germaine Tillion et Aimé Césaire : l’un ne va pas sans l’autre. Peut-être parce qu’ils étaient de la même génération, et qu’au fond, ils étaient tout deux, ce que l’ambassadeur Hessel disait en rendant hommage à Germaine Tillion, « l’exemple lumineux d’une vie marquée par la constante recherche de la compréhension de l’autre ». L’un a écrit : « Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle ». L’autre a dit : « Je pense, de toutes mes forces, que la justice et la vérité comptent plus que n’importe quel intérêt politique. » Un homme, une femme qui se complétaient, en quelque sorte.

Jacques Vigoureux

Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP