Cuers : le choc des cultures


article de la rubrique libertés > Cuers
date de publication : vendredi 11 avril 2008
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Le 29 mars dernier, des employés de la mairie de Cuers ont recouvert de peinture noire les messages du spectacle « Kristin ». Un « caviardage » dénoncé par le milieu culturel, mais qui révèle surtout la volonté de Gilbert Pérugini de reprendre en main la programmation théâtrale de sa ville (voir à Cuers, on goudronne les mots).

Ce matin les protestations d’un public nombreux ont empêché le maire de procéder au changement des serrures.


Dernière minute

[informations que nous a adressées l’Orphéon]

Ce matin à 9h30, suite à l’article paru dans Var Matin d’aujourd’hui, le maire de Cuers a donné l’ordre de changer les verrous de la bibliothèque. Après discussion, le premier adjoint de la ville de Cuers, présent dans les locaux de notre bibliothèque, a annoncé devant témoins que « pour l’instant » la municipalité ne changerait pas les serrures de l’entrée principale, ni celles de la bibliothèque mais uniquement celles de la salle de spectacles et celles de la salle d’exposition où notre expo sur “68 année théâtrale” est installée depuis le 22 mars et jusqu’au 22 mai (avec lettre recommandée d’accord de l’ancien maire). Lorsque l’employé a entrepris de commencer son travail sur la porte de la salle d’exposition, il a dû abandonner face à un public nombreux venu pour protester contre cette décision.

A Cuers, le nouveau maire veut tirer un trait sur le spectacle de rue

F. P. (avec G. B.), Var Matin, le 11 avril 2008
En une de Var Matin, le 11 avril 2008.

A Cuers, « capitale varoise du spectacle vivant »
passée du PCF à l’UMP lors des municipales, les changements de cap culturels s’opèrent à coups de peinture noire, de visite de la gendarmerie et de dépôts de plaintes au pénal. Une « méthode », qui, si elle dénote un certain sens théâtral, met aujourd’hui le monde culturel en émoi, le conseil général dans l’embarras et le nouveau maire de la commune, Gilbert Pérugini, en vedette sur... internet.

Depuis le 29 mars, date de trois spectacles gratuits donnés à Cuers dans le cadre des « P’tits bonheurs de mars », une vidéo peu flatteuse est présentée sur un site de partage [1]. Sous le titre « Goudronner les mots », on y voit les services municipaux recouvrir de noir des messages peints sur le bitume, tels que cette phrase de Camus : «  Je me révolte donc je suis...  » Cinq textes en tout, partie intégrante de « Kristin », spectacle de la compagnie Princesses Peluches coproduit par le Centre national de création des arts de la rue, déjà joué à Londres et bientôt à Valladolid... Son auteur-interprète, Caroline Amoro, est désormais sous le coup d’une plainte pour « dégradation de la voie publique ». Quant à la programmation de l’association Orphéon, pilier de voûte du théâtre vivant à Cuers, elle est suspendue jusqu’en octobre.

« Une forme de provocation »

Pour le maire, il s’agissait «  d’abord, de protéger  » la voirie. Un test aurait démontré, selon lui, que la peinture utilisée pour le spectacle « n’était pas éphémère ».
Conclusion contredite par l’artiste qui a déjà peint... et effacé à l’eau, le bitume d’une quarantaine de villes. Et puis, fraîchement élu, Gilbert Pérugini a aussi cru déceler «  une forme de provocation  » dans la tenue de ces spectacles qu’il n’avait pu décider.

Pour les responsables d’Orphéon, « le maire n’a de toute façon rien compris à ce qu’on fait dans cette ville depuis des années » et cherchait surtout prétexte «  à dénoncer la convention le liant à l’association ».

Plainte chez les gendarmes

Car ces mémorables « Bonheurs de mars » auront été émaillés de beaucoup d’autres incidents, présentés de manière très différente par les deux parties. Ainsi, la veille du 29, lorsque la compagnie « Calao » met en place des draperies rouges pour un spectacle de cirque aérien, le maire les assimile à des «  drapeaux  » rouges. De même, au cours de la représentation de « Katrin », jouée malgré tout, l’apposition d’un drapeau tricolore sur un passage clouté est prise pour un «  outrage  ». Autre « délit » et autre plainte, méthodiquement enregistrée par les gendarmes de Pierrefeu appelés en renfort pour le dernier acte
de cette folle journée. Aujourd’hui, le successeur de Guy Guigou (décédé mercredi [2]) ne s’en cache pas : il veut «  reprendre la main  » sur le théâtre cuersois.

« Virage à 90° »

L’ancien opposant qui, sur son site de campagne, dénonçait la « danseuse du maire » - et «  l’argent dépensé par le contribuable sans contrepartie culturelle accessible au plus grand nombre » rêve même d’opérer un virage «  à 90°, au moins ».

Et voir à Cuers «  des spectacles peut-être moins intellectuels mais qui, au moins, ne font pas seulement plaisir à ceux qui les font ». La convention actuelle, liant la ville pour trois nouvelles années, avait été approuvée en janvier par l’ancien conseil municipal. Elle prévoyait d’allouer 26 000 euros pour l’association en 2008. 30 000 euros sont également destinés à payer la saison théâtrale, la mairie rétribuant directement les compagnies invitées.

La « révolution culturelle » du nouveau maire est toutefois loin d’être gagnée. La réputation d’Orphéon va bien au-delà des frontières de Cuers. Très pointue sur les arts de rue, elle dispose d’une salle, l’Abattoir, et dispense des cours dans les écoles. Elle est aussi devenue une référence en matière d’écriture théâtrale, grâce à une bibliothèque spécialisée et à des résidences d’auteurs. Par le jeu des subventions, la Région, l’Etat et le Département se sont impliqués dans ses actions.

Une pétition en ligne

Dire qu’aux affaires culturelles du conseil général le sujet embarrasse est donc un euphémisme. « C’est désolant pour l’image culturelle du Var  », peste une employée. La collectivité, qui a accordé cette année une aide à la création de 9 000 euros et signé un chèque de 16 000 euros pour la bibliothèque, préfère pour l’heure évoquer «  un malentendu  ». Une réunion « des tutelles » avec tous les partenaires pourrait être organisée pour tenter de calmer les esprits.

De son côté, le Centre national des arts de rue a lancé une pétition contre le « caviardage » de Cuers. Sur son site, la [section de Toulon de la] Ligue des droits de l’homme rappelle que les projets « culturels » d’un maire ne sauraient « justifier une atteinte à la liberté d’expression ». A défaut de révolution, voilà déjà une jolie pagaille.

F. P. (avec G. B.)
Photo de Vincent Lucas, facteur d’images, prise à Aubagne en 2007.

Notes

[2Les obsèques Guy Guigou, ancien maire de Cuers ont lieu ce matin. [Note de LD-Toulon].


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