C’est un fait établi, Claude Guéant est fâché avec les chiffres. Il l’a prouvé à de nombreuses reprises. En mai 2011, il affirmait que les deux tiers des enfants d’immigrés sortent de l’appareil scolaire sans diplôme, alors que selon le rapport du Haut conseil à l’intégration (HCI) ce pourcentage est de 11%. Il récidivait en août 2011 à propos de la délinquance impliquant des ressortissants roumains.
La question se pose de savoir si l’ancien ministre de l’Intérieur est de bonne foi quand il cite des chiffres inexacts, ou si c’est volontairement, par calcul, qu’il affirme des contre-vérités – peut-être convaincu qu’à force de répéter une statistique fausse celle-ci deviendrait vraie pour l’opinion.
Il y a quelques jours Claude Guéant, invité sur i-Télé, a affirmé que « 5% des délinquants font 50% de la délinquance ». Il reprenait ainsi une statistique fallacieuse – voir ci-dessous – utilisée par Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007 pour justifier la lutte contre la récidive et l’instauration des peines planchers – avec en arrière-fond, une idée simple : il suffirait d’être plus ferme avec ces 5% de délinquants pour diminuer la délinquance de 50%.
« Il ne faut pas oublier que, je me trompe peut-être de quelques points dans les chiffres mais la tendance est celle-là, 5% des délinquants font 50% de la délinquance. »
INTOX
C’est pavlovien, et cela fait plus de cinq ans que cela dure. A chaque fois qu’est abordé le thème de la récidive, l’UMP dégaine sa statistique fétiche. Hier, c’était au tour de Claude Guéant, ex-ministre de l’Intérieur, sur i-Télé : « Il ne faut pas oublier que, je me trompe peut-être de quelques points dans les chiffres mais la tendance est celle-là, 5% des délinquants font 50% de la délinquance. » Des propos entendus des dizaines de fois, le plus souvent dans la bouche de Nicolas Sarkozy, à qui l’on doit d’avoir popularisé cette statistique lors de la campagne présidentielle de 2007, et de l’avoir répété cinq ans plus tard, en 2012.
DESINTOX
Il ne suffit pas de répéter cent fois une statistique pour qu’elle devienne juste. Plus que sur la réalité de la délinquance en France, le chiffre de Guéant informe sur la manière dont peut naître une idée reçue, à partir d’une étude déformée et généralisée.
A la base, il y a une enquête sociologique sur les jeunes délinquants, menée en 2001 par Sebastian Roché. L’enquête s’appuie non pas sur les statistiques officielles, mais sur les témoignages anonymes de 2 300 jeunes de 13 à 19 ans questionnés sur leurs faits et méfaits dans des collèges et lycées de Saint-Etienne et Grenoble. D’après les déclarations recueillies, sur plus de 20 000 actes délictuels recensés (fraude dans les transports en commun, agressions, vols…), le directeur de recherche au CNRS aboutissait à la conclusion que les 5% des jeunes les plus actifs commettaient plus de la moitié des délits. En 2007, la lutte contre la récidive est le cheval de bataille de Sarkozy, qui s’empare de cette étude : « 5% des délinquants commettent 50% des délits », se met-il à affirmer. La démonstration pêche doublement par manque de rigueur. Sebastian Roché réagit d’ailleurs rapidement pour dénoncer une première imprécision dans la récupération de son travail. Dans une interview au Monde, il explique : « J’ai parlé de 5% d’une classe d’âge et non de 5% des délinquants. » De fait, ce n’est pas la même chose de déclarer que 5% de l’ensemble des jeunes (qu’ils soient ou non délinquants) commettent la majorité des délits et de dire que 5% des jeunes délinquants commettent la majorité des délits.
Mais cette erreur pèse bien peu par rapport à l’essentiel de l’intox : Nicolas Sarkozy généralisant les résultats de l’étude à l’ensemble de la délinquance en France, majeurs et mineurs compris. Et voilà comment une enquête déclarative menée localement sur 2 000 jeunes devient une vérité générale. Très vite, les syndicats de magistrats ou les spécialistes de la délinquance insistent sur le fait qu’il n’existe aucune statistique, policière ou judiciaire, permettant une telle extrapolation. Les chiffres concernant la fréquence de la récidive (perpétuation d’un délit de même nature ou assimilable dans les cinq ans) ou de la réitération (perpétuation d’un délit de nature différente) n’apportent guère plus de réponses. L’une des dernières études en date (menée par le ministère de la Justice en 2010) indique par exemple que « parmi les 544 845 personnes condamnées en 2007 pour délit, 8% étaient en état de récidive légale, 26,7% en simple réitération sur cinq ans ». Mais cela ne nous renseigne pas sur le poids du noyau des récidivistes ou réitérants les plus actifs dans la délinquance globale. Il est, dès lors, assez cocasse de voir Guéant affecter un pseudo souci de rigueur en évoquant une petite marge d’erreur de « quelques points » dans les chiffres qu’il fournit. Le fait est qu’ils ne reposent sur rien.
Tant que les électeurs de l’UMP y croient...