Sous-locataires depuis 1987 d’un logement de 56 m2 totalement insalubre, douze "chibanis" [1] sont aujourd’hui sous le coup d’une ordonnance d’expulsion sollicitée par la commune de Carqueiranne.
Un article de Var-Matin, paru le 22 octobre 2005, suivi du point de la situation le 29 octobre.
Pas d’eau chaude, pas de chauffage, une installation électrique antédiluvienne et la pluie qui s’infiltre partout dans la maison : un bâtiment de 56 m2 assorti d’une caravane et d’un mobil-home décrépis, au pied de la Colle Noire à Carqueiranne. Dans ce misérable taudis s’entassent douze ressortissants algériens.
Sous-loués par la commune
Ils étaient quinze à l’origine, comme l’a établi, en 2002, un rapport des services sociaux du Conseil général du
Var. L’enquêteur y signale « les conditions de logement très précaires des occupants [...] une maison très vétuste et non conforme aux règles de sécurité ». Et précise que la commune, qui « ne souhaite pas renouveler ce dispositif, a mis en demeure les quinze personnes d’évacuer les lieux au 31 décembre 2002. »
Car la location de ce logement indécent n’est pas le fait d’un cynique marchand de sommeil. Ce « dispositif » a été mis en place par la municipalité de Carqueiranne en 1987. La commune louait la propriété à un privé, puis sous-louait à chacun de ces travailleurs, moyennant un loyer mensuel de 35 €. Du provisoire qui aura duré 18 ans... Sollicité par la municipalité de Carqueiranne et transmis en préfecture, le rapport de l’unité territoriale sociale de Toulon n’a entraîné aucun arrêté de péril, ni d’insalubrité depuis 2002.
Saisi par la commune [2]
, le tribunal de grande instance d’Hyères a ordonné, le 18 mars dernier, l’expulsion des lieux, au besoin avec l’aide de la force publique. La commune a soutenu que les douze occupants « ne pouvaient se prévaloir des dispositions de la loi du 6 juillet 1989 et d’une obligation de relogement car ils sont hébergés dans le cadre d’une convention dérogatoire à titre temporaire ». Depuis, ils attendent les huissiers ...
Appel au préfet
Le groupe de la gauche plurielle carqueirannaise a demandé au préfet de surseoir à l’expulsion, d’imposer un arrêté d’insalubrité et de prévoir, sur la commune, le relogement de ces personnes « dans des conditions décentes et dignes ».
Me Christine Ravaz, l’avocate des douze locataires, dénonce « une situation déplorable sur le plan humain. La mairie, qui hébergeait ces personnes dans ces conditions et qui encaissait les loyers, avait la responsabilité de les reloger ».
MARC GIRAUD : « UNE
RESPONSABILITÉ PARTAGÉE »« La commune a sollicité les services de l’Etat dès 1991 pour que le projet de relogement de ces travailleurs soit pris en compte dans le Plan Départemental d’action ; et des démarches ont été menées auprès de divers organismes », avance le maire de Carqueiranne, Marc Giraud, vice-président du Conseil général et de TPM qui s’est récemment illustré par ses virulentes prises de position à l’encontre du quota de logements sociaux imposé par la loi SRU [3]. « Nous avons régulièrement informé les occupants, depuis décembre 2001, de l’imminence de cette fin de bail ». Sur l’insalubrité des locaux, il précise : « si responsabilité il y a, elle doit être régulièrement partagée... Le propriétaire, la commune et les occupants sont assurément tout aussi responsables de l’état actuel des locaux ».
Le point de la situation, le 29 octobre 2005
Aux élections municipales de 1983, la municipalité sortante de gauche, conduite par Armand Conan (communiste), est battue par une équipe de droite menée par Bernard Houillot.
Depuis lors, Carqueiranne a été gérée par des municipalités de droite, le maire actuel, Marc Giraud (UMP), ayant succédé à Bernard Houillot décédé en cours de mandat en 1997.
En 1987, un foyer qui hébergeait depuis 1962 une douzaine d’ouvriers du bâtiment d’origine algérienne est démoli pour laisser passer la déviation de Carqueiranne. Pour reloger les occupants, la municipalité loue à un particulier une fermette, la "Maison Savant", qu’elle leur sous-loue.
Cette solution "provisoire" a duré jusqu’à aujourd’hui. En 1996, le maire, Bernard Houillot, leur avait fait des promesses de relogement(voir ci-dessous).
Promesses que le maire actuel ne se sentait apparemment pas tenu d’honorer. D’autant que Marc Giraud s’est livré récemment à des déclarations quelque peu provocantes, reprises dans la presse nationale [4].
Le 21 octobre dernier, Bernard Barbagelata, président de la gauche au conseil municipal, a envoyé deux courriers, l’un au maire, l’autre au préfet, demandant en urgence de « surseoir à toute expulsion des locataires ; de prendre un arrêté d’insalubrité des logements ; enfin de prévoir sur la commune le relogement des (travailleurs algériens) dans des conditions décentes et dignes » [5]. L’association des Harkis du Var, représentée par son président Azzedine Sellaoui apporte également son appui à ses compatriotes.
On semble s’orienter vers un compromis permettant de reloger les chibanis dans l’attente de futurs appartements sociaux dont la livraison est prévue pour 2007.
[1] Chibanis (arabe) : vieux travailleurs.
[2] Le propriétaire des lieux a fait savoir que, n’ayant pas manifesté sa volonté de ne plus louer son bien, il n’était pas à l’origine de la procédure ( voir La Marseillaise du 29 octobre 2005).
[3] Voir le logement social dans le Var.
[4] Si vous ne l’avez pas encore fait, c’est le moment de lire : le logement social dans le Var.
[5] La Marseillaise, le 24 octobre 2005.