Anne Crenier, ancienne présidente du SM, poursuivie par Marie-Paule Moracchini


article de la rubrique justice - police > Albert Lévy
date de publication : samedi 5 mai 2007
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Marie-Paule Moracchini reproche à Anne Crenier, à l’époque présidente du Syndicat de la Magistrature, de l’avoir mise en cause en septembre 2000 pour ses méthodes d’instruction dans les affaires concernant Albert Lévy, substitut au parquet de Toulon, et Bernard Borrel, magistrat coopérant retrouvé mort à Djibouti [1].
Cette plainte a de quoi surprendre, car le déroulement ultérieur de ces deux affaires semble avoir donné raison à Anne Crenier...

Le procès s’est déroulé à Lille les 2 et 3 mai 2007 — vous en trouverez ci-dessous des échos. La représentante du ministère public n’a rien requis. La décision du tribunal est attendue pour le 27 juin.

[Première publication le 23 avril, mise à jour le 5 mai 2007]

Voir en ligne : le tribunal a, le 27 juin 2007, prononcé une relaxe intégrale d’Anne Crenier

Albert Lévy et Marie-Paule Moracchini (© Cabu, n° 164 de Justice)

Jugée en diffamation, une présidente du Syndicat de la magistrature persiste

[LILLE (AFP) - le 2 mai 2007 - 16h51]

Anne Crenier, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature (SM), a assumé mercredi au premier jour de son procès en diffamation à Lille ses propos sur la « partialité » de la juge Marie-Paule Moracchini dans deux affaires qu’elle a instruites, dont celle de la mort du juge Borrel.

Dans un entretien à la revue catholique Golias paru en septembre 2000 intitulé « La présidente du syndicat de la magistrature dénonce la partialité de la juge Moracchini », Mme Crenier reprochait à la juge d’instruction en poste à Paris ses méthodes de travail dans l’instruction sur la mort du juge Bernard Borrel en 1995 à Djibouti, et dans une deuxième affaire visant un ancien substitut au parquet de Toulon, Albert Levy.

Elle est poursuivie au côté du journaliste de Golias Medhi Ba pour complicité de diffamation, tandis que le directeur de la publication Luc Terras comparaît pour diffamation.

A la barre, Anne Crenier a assumé ses propos et justifié sa position, estimant que Mme Moracchini était « sortie des clous » au cours de son instruction dans l’affaire visant M. Levy.

Celui-ci, poursuivi à partir de 1998 pour violation du secret de l’instruction dans une affaire d’attribution du marché des cantines scolaires par la ville de Toulon, alors dirigée par le Front national, a été définitivement relaxé en novembre 2006 après huit ans de procédure.
La juge aurait ainsi cherché à « psychiatriser » M. Levy : « Il y a une désignation d’un expert-psychiatre dès la garde à vue alors qu’il n’a aucun antécédent de cet ordre », dénonce Mme Crenier, estimant que par ce biais elle avait « aggravé la déstabilisation d’Albert Levy » qui « a dérangé le milieu, une partie de sa hiérarchie et le préfet » du Var, à l’époque Jean-Charles Marchiani.
La prévenue reproche également à Mme Moracchini l’utilisation de moyens « disproportionnés » pour cette enquête, notamment le recours à des filatures et des écoutes téléphoniques.

« Je n’ai jamais eu de tels moyens à ma disposition pour traquer le grand banditisme dans le Var », abonde Albert Levy, entendu comme témoin. Le magistrat confie avoir eu le sentiment d’un « acharnement judiciaire » à son encontre.

Dans l’enquête sur les circonstances de la mort du juge Borrel, l’ancienne présidente du SM — partie civile dans l’affaire — reproche à Mme Moracchini ses « opinions péremptoires » en cherchant à « valider la thèse du suicide » et en questionnant les experts en médecine légale sur cette seule hypothèse.

Chargée d’instruire ce dossier avec Roger Le Loire, Mme Moracchini avait été dessaisie par la chambre de l’instruction en juin 2000.

« Vous mettez clairement en cause l’impartialité des magistrats instructeurs, cela vous paraît-il proportionné par rapport au but poursuivi », l’interroge la présidente du tribunal.

« Le but, c’est quand même d’élucider le troisième assassinat d’un juge sous la Ve République », répond Anne Crenier. « Ce n’est pas un petit fait divers, c’est un sujet d’intérêt public ».

Pour Elisabeth Borrel, la veuve du juge, entendue comme témoin, « tous les actes de Mme Moracchini démontrent que son seul souci était de ne pas instruire sur l’assassinat [de son mari] » et « d’habiller » le dossier pour aboutir « à un non lieu sur le suicide ».

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Procès en diffamation : la juge Moracchini défend son impartialité

[LILLE (AFP), le 3 mai 2007 - 20h35]

La juge Marie-Paule Moracchini, qui cite une ancienne présidente du Syndicat de la magistrature, Anne Crenier, en diffamation devant le tribunal correctionnel de Lille, a défendu jeudi son impartialité dans ses instructions, notamment celle de la mort du juge Borrel. Se défendant d’avoir cherché à valider la thèse du suicide du magistrat mort en 1995 à Djibouti comme le dénonce Anne Crenier, Marie-Paule Moracchini a expliqué ne pas avoir eu « d’idée a priori » dans l’instruction qu’elle a menée de décembre 1997 à juin 2000, avant d’être dessaisie. « A l’époque où je récupère le dossier, c’est un suicide pour tout le monde, pour moi ce n’en est pas un », a-t-elle affirmé, ajoutant être aujourd’hui « certaine que Bernard Borrel s’est suicidé ». La magistrate a confié avoir acquis cette conviction lors d’une reconstitution sur place en mars 1999 où « de tous les scénarios - suicide, assassinat - le seul qui collait, c’était le suicide ». La magistrate s’est en revanche défendue d’avoir à partir de ce moment-là « fermé la porte » de la thèse de l’assassinat.

Marie-Paule Moracchini poursuit en diffamation Anne Crenier et deux journalistes de la revue Golias pour un entretien paru en septembre 2000 dans cette revue, intitulé "La présidente du syndicat de la magistrature dénonce la partialité de la juge Moracchini". « Ce n’est pas une banale affaire de diffamation », a estimé Mme Moracchini. « On me fait la pire offense qui peut être faite à un juge : être un juge sous influence. Je ne l’admets pas, le juge est neutre, il est impartial », a-t-elle martelé. « Toute ma pratique professionnelle a été centrée là-dessus ».

Dans l’instruction pour violation du secret de l’instruction dans une affaire d’attribution du marché des cantines scolaires par la ville de Toulon, alors dirigée par le Front national, visant l’ancien substitut au parquet de Toulon, Albert Levy, Mme Moracchini s’est également défendue des mises en cause de Mme Crenier. Les moyens mis en oeuvre dans cette enquête (écoutes, filatures) et jugés « disproportionnés » par Anne Crenier, ne sont pas de son fait, a-t-elle assuré, se défendant également d’avoir cherché à « psychiatriser » M. Levy. « J’ai toujours eu le respect des gens », a-t-elle avancé, expliquant avoir fait appel à un médecin-psychiatre dès la garde à vue d’Albert Levy car « les écoutes attestaient d’une grande détresse » du substitut, finalement relaxé fin 2006. L’avocat général s’en est remis à la « sagesse » du tribunal, lequel à mis son jugement en délibéré au 27 juin.

Marie-Paule Moracchini, victime ou juge « d’obstruction » ?

par Jacqueline Coignard, Libération, le 4 mai 2007

En procès, la magistrate a défendu ses instructions dans les affaires Borrel et Lévy.

Pendant des années, Marie-Paule Moracchini a été l’une des juges d’instruction de Paris les plus controversés. Devant le tribunal correctionnel de Lille, durant deux jours, elle a défendu son bilan. Elle poursuivait en diffamation Anne Crenier, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), qui avait critiqué, dans un entretien à la revue Golias, en juillet 2000, la partialité avec laquelle elle avait instruit deux affaires, Borrel et Lévy.

Depuis cet entretien [à la revue Golias, en juillet 2000], les dossiers ont suivi leur cours dans d’autres mains que celle de Marie-Paule Moracchini, dessaisie dans
les deux cas. Albert Levy, le magistrat de Toulon qu’elle cherchait à confondre dans une histoire de violation du secret de l’instruction, a été relaxé en novembre. Dans son jugement, le tribunal s’interrogeait, lui aussi, « sur le fait de savoir si l’enquête a toujours été conduite avec toute l’impartialité nécessaire ». Quant à l’affaire Borrel, les investigations menées par les juges qui ont succédé à Moracchini ­
dont la tentative de perquisition à l’Elysée mercredi ­ ont sérieusement ébranlé la thèse du suicide qu’elle voulait démontrer.

« Montage ». Selon la veuve du juge Borrel, magistrate
elle aussi, l’enquête menée par Moracchini se résume à un
« habillage de la thèse officielle du suicide : procès verbaux
erronés , examens médicaux orientés, conspiration générale du
silence... ». 
Et de citer le témoignage récent d’une personne qui
a assisté à l’enterrement de Bernard Borrel :
« "Ma cannette de bière tenait toute droite sur le crâne de votre
mari tellement il était enfoncé", m’a dit ce jeune homme. Et le
médecin n’aurait rien vu pendant l’autopsie ? » 
Elisabeth Borrel
dénonce aussi
« l’obstruction » de l’institution judiciaire et le colportage
de ragots :
« Je suis scandalisée par la rumeur exploitée sur la prétendue
pédophilie de mon mari. Mes fils, un jour, vont lire ça. Alors
qu’il n’y a pas le plus petit début de commencement de
preuve. » 
Me Olivier Morice, son avocat, explique qu’il aura
fallu la nomination d’un nouveau juge pour que l’instruction
retrouve un cours normal, et qu’une deuxième autopsie
« mette en évidence l’enfoncement du crâne, une fracture du bras
lié à un geste de défense, l’intervention obligatoire d’un tiers,
etc. » 

Marie-Paule Moracchini, elle, persiste et signe et se sent victime d’un
« montage », « d’une alliance entre les politiques et les médias,
orchestrée par une formation de la chambre d’accusation de Paris,
par le syndicat de la magistrature, sa présidente et son
bureau ». 
Qu’on puisse douter de son impartialité la révolte :
« Quand on travaille jour et nuit, on a le droit d’être
respecté », 
lance-t-elle. Elle va donc, pendant plusieurs heures,
reprendre ses instructions contestées.

Certes, son enquête dans l’affaire Lévy a été mise en lambeaux
par la cour d’appel de Paris en 1999 mais, selon elle, encore une
fois par des magistrats membres du SM. Certes, Albert Lévy a été
relaxé dans un jugement qui la critique :
« Le comportement du prévenu a été appréhendé sous un angle
psychiatrique 
[la magistrate avait ordonné une obligation de
soins, ndlr]
qu’aucun élément versé au débat ne vient justifier. » Le
tribunal reconnaissait ainsi que la juge avait voulu faire passer
Albert Lévy pour un fou parce qu’il voyait des fachos partout, dans
cette ville de Toulon aux mains du FN.
« Cette décision était orientée car les magistrats qui l’ont
prise sont tous membres du SM ? » 
l’interroge Me Antoine Comte,
avocat d’Anne Crenier.
« Oui », réplique encore Marie-Paule Moracchini. Des années
plus tard, elle se considère irréprochable, dans cette affaire, et
notamment à un moment où elle a bravé des ordres venus du ministère
de l’Intérieur pour l’empêcher de perquisitionner chez les RG de
Marseille. Elle maintient qu’Albert Lévy a utilisé la presse dans
la lutte qu’il menait contre le FN à Toulon. Or, pour Moracchini,
c’est très grave.
« Moi, je ne parle jamais à la presse », ne manque-t-elle pas
de rappeler toutes les cinq minutes.

Découverte. Dans l’affaire Borrel, elle est tout
aussi fière de son travail.
« En 2007, cette affaire a connu des développements importants.
Portez-vous un autre regard sur le passé ? » 
l’interroge la
présidente.
« Pas du tout, et même au contraire. Je suis certaine que Bernard
Borrel s’est suicidé », 
assène Marie-Paule Moracchini. Elle l’a
su dès son arrivée sur les lieux de la découverte du corps, dans un
ravin, à Djibouti :
« Une question d’atmosphère », « c’est un lieu où on se suicide »,
« j’ai compris qu’on se situait dans une démarche personnelle
expiatoire ». 
Elle revendique cette approche
« intuitive » , liée à sa condition de
« vieux magistrat », mais, étant aussi
« rigoureuse et honnête », elle étaye ses flashs par des faits,
des éléments objectifs. Muette pendant les deux jours d’audience,
la représentante du ministère public n’a rien requis. Décision le
27 juin.

Jacqueline Coignard

Communiqué de presse du SM

Une ancienne présidente du Syndicat de la magistrature (SM) poursuivie en diffamation

Paris, le jeudi 19 avril 2007

Les 2 et 3 mai 2007, Anne Crenier sera jugée par le tribunal correctionnel de Lille, poursuivie en diffamation sur plainte de Marie-Paule Moracchini, ancienne juge d’instruction à Paris, à la suite d’un entretien publié dans la revue Golias en septembre 2000.

Marie-Paule Moracchini reproche à Anne Crenier, à l’époque présidente du SM, de l’avoir mise en cause pour ses méthodes d’instruction dans les affaires concernant Albert Levy à l’époque substitut au parquet de Toulon et Bernard Borrel, magistrat coopérant retrouvé mort à Djibouti.

Le SM rappelle que les méthodes de Madame Moracchini dans l’instruction sur l’assassinat du juge Borrel lui ont valu d’être dessaisie par la chambre de l’instruction en juin 2000.

Le SM souligne également qu’après plus de 8 ans d’une procédure instruite par Madame Moracchini pour violation du secret professionnel et du secret de l’instruction, Albert Lévy a été relaxé par le tribunal correctionnel de Paris le 14 novembre 2006. Dans sa motivation, le tribunal n’a d’ailleurs pas hésité à mettre en cause les méthodes d’instruction employées contre lui, notamment la volonté d’appréhender « sous un angle psychiatrique » le comportement d’Albert Lévy, ou encore « le recours au moyen déloyal pour tendre un piège » aux prévenus.

Le SM n’a jamais hésité à dénoncer certaines pratiques judiciaires heurtant les principes fondamentaux et c’est à cette fin qu’Anne Crenier s’est exprimée dans la revue Golias.

Présidente du SM, Anne Crenier n’a fait qu’exposer librement une conviction syndicale aujourd’hui validée par des décisions judiciaires dans ces deux affaires.

Le SM apporte son entier soutien à son ancienne présidente et s’insurge contre le mauvais procès qui lui est fait pour avoir porté une parole syndicale.

Il invite l’ensemble de ses membres à se mobiliser à l’occasion du procès de Lille.

«  le premier qui dit la vérité ...  »

Notes

[1Pour les derniers développements de l’affaire Borrel, voir le palais de l’Elysée n’est pas perquisitionnable .


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